5 - TVA déductible : la reconnaissance tant attendue du « prorata mondial »
Après la Cour de Justice, c’est au tour du Conseil d’État de confirmer l’existence d’un « prorata mondial », notamment dans le cadre des relations siège – succursales. Les modalités de détermination de chaque « prorata » devront cependant être déterminées avec précision afin d’éviter tout risque de remise en cause.
CE 5 avril 2019, n° 389105, Morgan Stanley et Co International PLC
Les faits
La succursale française de la société Morgan Stanley et Co International PLC a déduit l’intégralité de la TVA grevant les dépenses affectées à la réalisation des opérations bancaire et financière pour lesquelles elle avait opté pour la TVA ainsi que celle afférentes aux services rendus à son siège situé en Grande-Bretagne.
Cette déduction intégrale a été remise en cause par l’administration fiscale française qui considérait pour sa part que les dépenses engagées au titre des services rendus au siège ouvraient droit à déduction de la TVA à hauteur du seul coefficient de taxation du siège. Pour les dépenses mixtes affectées à la fois aux services rendus au siège et aux opérations bancaires et financières propres à la succursale, l’administration fiscale française a considéré que la TVA était déductible à hauteur du coefficient de taxation du siège, corrigé du chiffre d’affaires de la succursale ouvrant droit à déduction.
Saisi de cette problématique épineuse, le Conseil d’État a renvoyé l’affaire devant la Cour de justice de l'Union Européenne (CJUE) en mars 2017.
La reconnaissance attendue du « prorata mondial » par la Cour de Justice
La CJUE n’avait pas validé la possibilité d’utiliser un « prorata mondial » dans une précédente affaire (CJUE, 12 septembre 2013, aff. 388/11). En effet, celle-ci avait considéré que le siège ne pouvait pas, pour déterminer son coefficient de taxation, prendre en considération le chiffre d’affaires réalisé par ses succursales établies dans d’autres États membres.
Or, saisie du renvoi préjudiciel du Conseil d’État dans l’affaire Morgan Stanley (CE 29 mars 2017, n° 389105), la CJUE est venue préciser les modalités de détermination du droit à déduction de la TVA grevant les dépenses engagées par une succursale française, notamment au titre des opérations réalisées pour son siège situé dans un autre État membre de l'UE, et valider l’utilisation d’un « prorata mondial » (CJUE, 24 janvier 2019, aff. 165/17, Morgan Stanley).
En premier lieu, la CJUE souligne que pour les dépenses grevées de TVA et exposées par la succursale exclusivement pour des opérations réalisées par son siège, le coefficient de taxation forfaitaire (ou prorata) applicable à de telles dépenses devrait être déterminé comme suit :
-au numérateur le chiffre d’affaires taxable du siège qui ouvrirait droit à déduction s’il était réalisé dans le pays d’établissement de la succursale (la France au cas d’espèce), y compris lorsque ce droit à déduction résulte d’une option exercée par la succursale ;
-au dénominateur le chiffre d’affaires total du siège ;
-étant souligné que seul le chiffre d’affaires auquel concourent les dépenses en cause doit être pris en compte pour les deux termes de ce ratio.
En second lieu, la Cour fait une application du « prorata mondial » pour les frais généraux exposés par la succursale pour la réalisation à la fois de ses opérations propres et des opérations du siège. En effet, le coefficient de taxation forfaitaire (prorata) applicable à de telles dépenses est défini comme suit :
-au numérateur le chiffre d’affaires taxable réalisé par le siège et la succursale, dès lors qu’il ouvre droit à déduction de la TVA ou qu’il ouvrirait droit à déduction s’il était réalisé dans le pays d’établissement de la succursale ;
-au dénominateur le chiffre d’affaires correspondant aux opérations réalisées par le siège et la succursale.
Le principe du « prorata mondial » validé par le Conseil d’État
Dans sa décision du 5 avril 2019, le Conseil d’État, après avoir rappelé le contexte de cette affaire, vient détailler l’analyse de la CJUE.
Il souligne notamment qu’une succursale est en droit de déduire la TVA grevant les dépenses engagées par cette succursale en lien avec les opérations ouvrant droit à déduction réalisées par le siège dans un autre État Membre.
En effet, conformément à la décision de la CJUE, le Conseil d’État confirme que le siège et sa succursale forment un seul assujetti. Il conclut donc au renvoi de l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Versailles, qui ne devrait pas pouvoir contester l’application d’un « prorata mondial » aux faits de l’espèce.
Des opportunités non négligeables mais à manier avec précaution
Cette décision, qui offre de nouvelles perspectives notamment aux établissements bancaires, peut sembler complexe à mettre en œuvre en raison de la possible multiplication de coefficients de taxation forfaitaires devant être articulés en eux.
En effet, l’affectation de chacune des dépenses devra être réalisée avec précision pour écarter tout risque de remise en cause ultérieur.
Une fois les dépenses affectées, il conviendra de déterminer un coefficient de taxation forfaitaire par catégorie de dépenses. Là encore, la nature des opérations ouvrant droit ou non à déduction devra être analysée précisément, notamment au regard de la réglementation applicable dans l’État Membre dans lequel le droit à déduction est exercé.
Enfin, l’articulation des différents coefficients de taxation forfaitaire, mais également la prise en compte des éventuelles exclusions du droit à déduction applicables conduiront les redevables à réaliser une véritable cartographie de leurs droits à déduction.
Il n’en demeure pas moins que cette décision, attendue depuis de nombreuses années, offre des opportunités non négligeables et devrait donner lieu à des réclamations contentieuses pour le passé.