14 - Démembrement et droits sociaux : transmettre en préservant le donateur
Une question préoccupe lorsqu’on entend transmettre : comment donner sans trop se dessaisir, comment gratifier ceux que l’on aime en préservant au mieux ses vieux jours ? De nombreuses techniques de rétention insérées dans les donations existent. Dans ce contexte, le démembrement de propriété, cher au Doyen Aulagnier (Usufruit et nue-propriété dans la gestion de patrimoine, éd. Maxima) s’avère une technique efficace de transmission du patrimoine lorsqu’il est appliqué aux droits sociaux, permettant ainsi d’anticiper la peur de manquer que le donateur ressentira légitimement.
Catherine ORLHAC, Président de l'AUREP
L'essentiel
Au confluent du droit des biens et du droit des sociétés, l’usufruit de droits sociaux présente cette singularité que de devoir s’accommoder de deux branches du droit, souvent concurrentes et obéissant à des logiques distinctes.
Si leur articulation n’est pas toujours aisée, elle peut pourtant s’avérer une technique très efficace de transmission du patrimoine tout en préservant les intérêts du donateur.
En la matière, si l’indigence de la loi peut être perçue comme dangereuse, car elle engendre de nombreuses incertitudes, elle doit surtout être appréciée comme une opportunité en ce qu’elle laisse une large place à la liberté contractuelle.
Usufruit de parts sociales et rétention du pouvoir
Rétention du droit de vote : des jurisprudences favorables aux parents donateurs
Principe général
Instrument de pouvoir, la répartition du droit de vote s’avère cruciale lorsque des parents entendent transmettre tout en conservant la gouvernance.
Le code civil et le code de commerce disposent tous deux de règles supplétives, proposant une répartition plus ou moins équilibrée du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire.
L’article 1844 du code civil, plutôt généreux avec le nu-propriétaire, lui accorde l’ensemble des droits de vote à l’exception de celui relatif à l’affectation des bénéfices, pour lequel l’usufruitier devra officier.
L’article L. 225-110 du code de commerce, réservé aux sociétés par actions, propose quant à lui une répartition du vote en fonction de la nature des assemblées : l’usufruitier vote dans les assemblées générales ordinaires (AGO), le nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires (AGE).
Clauses dérogatoires possibles
Bien entendu, les dérogations statutaires sont parfaitement autorisées et résultent même d’une ouverture légale (c. civ. art. 1844, al. 4 ; c. com. art. L. 225-110, al. 4).
Par ailleurs, la jurisprudence a précisé, au fil des années, les limites au-delà desquelles il n’est pas permis d’aller. Et celles-ci sont plutôt favorables aux usufruitiers donateurs qui entendent, dans la majorité des cas, se réserver de larges pouvoirs dans la société dont ils transmettent les parts.
Ainsi, le nu-propriétaire peut être totalement écarté du droit de vote par les statuts, sous condition d’être régulièrement convoqué aux assemblées générales (cass. com. 4 janvier 1994, n° 91-20256 ; cass. com. 22 février 2005, n° 03-17421 ; cass. com. 2 décembre 2008, n° 08-13185).
Inversement, la Cour de cassation considère que l’usufruitier ne peut pas être privé de son droit de voter l’affectation des bénéfices, sous peine de vider l’usufruit de sa substance (cass. com. 31 mars 2004, n° 03-16694).
Le professionnel devra donc être attentif à proposer des clauses statutaires adaptées qui permettront de rassurer les parents donateurs dans la conservation du pouvoir.
Attention
Pour bénéficier de l’exonération « Dutreil » lors de la donation de la nue-propriété des parts, l’article 787 B du CGI précise que « les dispositions du présent article s'appliquent en cas de donation avec réserve d'usufruit à la condition que les droits de vote de l'usufruitier soient statutairement limités aux décisions concernant l'affectation des bénéfices » (CGI art. 787 B, i).al. 2). Par conséquent, les clauses d’extension des droits de vote au profit des usufruitiers devront être évitées, du moins sur les titres objets de la donation, si l’on entend bénéficier des abattements prévus par la loi.
Une qualité d’associé contestée
Lorsque des parts de société sont démembrées, la question est de savoir qui, de l’usufruitier ou du nu-propriétaire, possède la qualité d’associé. Si l’attribution de cette qualité au nu-propriétaire fait l’unanimité, elle est beaucoup plus discutée pour l’usufruitier.
L’enjeu est important puisque, à la qualité d’associé, sont attachées de nombreuses prérogatives politiques et financières au rang desquelles le droit à l’information, le droit de participer aux décisions collectives, le droit d’exercer une action sociale, de solliciter la désignation d’un expert.
D’autres conséquences pratiques découlent de l’attribution de la qualité d’associé : certaines sociétés exigent un nombre minimal d’associés pour exister, d’autres imposent que le gérant soit choisi parmi les associés.
L’on perçoit vite le danger en présence d’un démembrement au sein duquel les usufruitiers entendent conserver un pouvoir étendu. Refuser cette qualité à l’usufruitier reviendrait donc à le priver de l’ensemble des prérogatives visées ci-dessus.
Sans se prononcer clairement, deux arrêts de la Cour de cassation semblent refuser de manière implicite la qualité d’associé à l’usufruitier.
Dans un arrêt du 29 novembre 2006 (cass. civ., 3e ch., 29 novembre 2006, n° 05-17009), la Cour approuve l’arrêt d’appel refusant la qualité d’associé à un usufruitier qui, avant de céder la nue-propriété de ses parts, en était pourtant plein propriétaire.
Allant encore plus loin, dans un arrêt du 15 septembre 2016 (cass. civ., 3e ch., 15 septembre 2016, n° 15-15172), la Cour précise que la nullité d’une assemblée générale ne peut être prononcée alors même que l’usufruitier n’a pas été convoqué, au motif « que l'assemblée générale avait pour objet des décisions collectives autres que celles qui concernaient l'affectation des bénéfices ». Voilà qui pourrait priver l’usufruitier de son droit à l’information !
À noter
Les décisions rapportées, aussi surprenantes que contestables, doivent inciter le praticien à protéger l’usufruitier donateur contre les conséquences induites par ce déni de la qualité d’associé. A minima, et en attendant que la Cour de cassation ou le législateur reviennent à un pragmatisme plus raisonnable, la prudence commande de lui attribuer systématiquement une part en pleine propriété.
Usufruit de parts sociales et rétention des revenus
L’usufruitier a droit au bénéfice distribué
Bien souvent, la peur de manquer redoutée par celui qui s’apprête à transmettre doit amener le conseil à réfléchir aux techniques de rétention des revenus. Si la réserve d’usufruit insérée dans une donation est aujourd’hui assez usuelle, elle s’avère plus délicate lorsqu’elle porte sur des parts sociales. En effet, l’interposition d’une personne morale devient perturbatrice quand il s’agit de définir les fruits revenant à l’usufruitier.
Commençons par rappeler le principe légal : « L'usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l'objet dont il a l'usufruit » (c. civ. art. 582).
En matière de droits sociaux, il convient de bien distinguer ce qui appartient à la société de ce qui appartient aux associés. En effet, le dividende n’a pas d’existence juridique tant qu’il n’a pas été voté par l’assemblée générale.
Ainsi, le bénéfice distribuable constitue le fruit de l’actif social et demeure la propriété de la société.
Alors que les bénéfices sociaux distribués sont les fruits des titres sociaux et appartiennent en tant que tels aux associés (cass. com. 5 octobre 1999, n° 97-17377 ; cass. com. 10 février 2009, n° 07-21806).
L’usufruitier a donc seul le droit d’appréhender le résultat distribué, devenu dividende, sans avoir à indemniser le nu-propriétaire d’une quelconque manière.
Poussant le raisonnement un peu plus loin, on peut alors s’interroger sur le sort des résultats exceptionnels. L’usufruitier peut-il encaisser le bénéfice distribué s’il provient d’une opération exceptionnelle ? La jurisprudence n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ce dernier point. Pour notre part, nous pensons que les résultats mis en distribution constituent des fruits revenant à l’usufruitier sans distinction de leur origine, ce qui permet à l’usufruitier d’appréhender à la fois le résultat courant mais aussi le résultat exceptionnel, dès lors qu’ils font l’objet d’une distribution. Là encore, pour éviter toute incertitude, le praticien pourra utilement conseiller une clause statutaire prévoyant le sort des profits exceptionnels distribués.
Modifier la répartition des bénéfices ne constitue pas une donation indirecte
La Cour de cassation a refusé la qualification de donation indirecte dans une opération de répartition inégale des bénéfices, confortant ainsi l’écran que constitue la personnalité morale (cass. com. 18 décembre 2012, n° 11-27745). En l’espèce, des parents détenaient 95 % de l’usufruit de parts d’une société civile tandis que leurs deux enfants en détenaient la nue-propriété. L’assemblée générale avait décidé de transférer temporairement (pendant 5 ans), 61 % des dividendes au profit des enfants nus-propriétaires. L’administration fiscale avait vu dans cette opération une donation indirecte des parents envers leurs enfants. Ce que refusa la Cour de cassation au motif que le bénéfice distribuable appartenait toujours à la société lorsque l’assemblée générale a décidé de sa répartition et non pas aux parents qui, dépourvus de droits, ne pouvaient consentir une libéralité. On ne peut pas donner ce que l’on ne possède pas !
L’épineuse question des réserves
Qui, de l’usufruitier ou du nu-propriétaire, doit profiter de la distribution des réserves ?
Rappelons en premier lieu que les réserves n’appartiennent pas aux associés puisqu’elles sont la propriété de la société. Il serait donc vain de vouloir arbitrer leur appartenance à l’un ou à l’autre de l’usufruitier ou du nu-propriétaire : ces derniers n’ont aucun droit direct sur les réserves. Tout au plus, pourrait-on dire que chacun d’entre eux bénéficiera indirectement de la constitution des réserves via la valorisation des droits sociaux démembrés.
En réalité, pour que l’usufruitier et le nu-propriétaire puissent revendiquer un droit direct sur les réserves, il faudrait que ces dernières fassent l’objet d’une répartition en cours de vie, soit au travers d’une incorporation au capital, soit lors d’un partage anticipé (suite à une liquidation par exemple), soit lors d’une distribution. Et c’est bien sur ce dernier point que les difficultés apparaissent.
Deux arrêts de la Cour de cassation sont venus préciser les choses, sans trancher définitivement le débat. Ces décisions consacrent toutes deux le principe de capitalisation des réserves (cass. com. 27 mai 2015, n° 14-16246 ; cass. civ., 1re ch., 22 juin 2016, nos 15-19471 et 15-19516).
En effet, les réserves sont comprises dans la situation nette de la société et font partie des capitaux propres qu’elles contribuent à augmenter. C’est ce qui confère aux réserves un caractère capitalistique : en ne distribuant pas les bénéfices, la société « met de côté », elle capitalise.
Elles traduisent la volonté de l’assemblée générale de ne pas gratifier ses associés mais de renforcer durablement les ressources de la société.
Cette interprétation va dans le sens de la doctrine majoritaire qui considère les réserves tantôt comme un accroissement de capital (J. Leblond, « Des droits respectifs du nu-propriétaire et de l’usufruitier dans les bénéfices, les réserves, les remboursements et amortissements de capital », Gaz. Pal. 1956-2 doctr. 1 ; P. Cordonnier, « De quelques problèmes concernant les actions grevées d’usufruit en cas d’augmentation du capital social par mise en souscription d’actions nouvelles », J. des sociétés mars-avril 1961, art. 6542 ; A. Rabreau, « L’usufruit de droits sociaux », Litec, 2006, n° 128 et s.), tantôt comme un accroissement de la situation nette de la société (R. Gentilhomme, « Affectation de résultats et distribution de dividendes dans les sociétés à capital démembré », Droit fiscal n° 12, 19 mars 2009).
Mettre en réserve n'est pas donner
La Cour de cassation a eu à se prononcer sur la qualification de mises en réserve successives par des usufruitiers (cass. com. 10 février 2009, nos 07-21806 et 07-21807). En l’espèce, une mère avait donné la nue-propriété des parts d’une société civile à ses enfants en se réservant l’usufruit. La société avait ensuite opté pour l’IS et l’assemblée générale avait décidé la mise en réserve des résultats durant 5 années consécutives. L’administration s’en était émue, considérant que la mère avait ainsi consenti une donation indirecte à ses enfants. Sur des fondements identiques à ceux évoqués précédemment (voir § 14-4), la Cour de cassation a refusé cette qualification, réaffirmant une nouvelle fois la primauté des règles du droit des sociétés : avant l’assemblée, l’usufruitier n’a aucun droit sur les bénéfices qui appartiennent uniquement à la société. Les parents n’ont donc pas pu consentir une donation sur un bien qui ne leur appartenait pas.
La distribution des réserves constitue un produit
En réalité, en prenant cette position, la Cour tranche également une question de fonds relative à la distinction entre fruits et produits.
Pour la Cour de cassation, les réserves distribuées ne constituent pas des fruits sans quoi, l’usufruitier pourrait les appréhender en toute propriété. Au contraire, la distribution des réserves n’altère en rien leur nature capitalistique et s’analyse en une attribution anticipée du capital. C’est ainsi qu’elles appartiennent à la catégorie des produits. Et sur ce point, les décisions rendues par la première chambre civile et la chambre commerciale sont en harmonie.
Le point de discorde : le dividende de réserve revient au nu-propriétaire et à lui seul
Une fois tranchée la question de la qualification des réserves distribuées, la Cour Suprême devait se prononcer sur leur appartenance à l’usufruitier ou au nu-propriétaire. Et c’est sur ce dernier point que la discorde apparut.
Alors que la chambre commerciale avait consacré le principe du quasi-usufruit sur les réserves distribuées (cass. com. 27 mai 2015, n° 14-16246) faisant ainsi de l’usufruitier un quasi-propriétaire et du nu-propriétaire un créancier à terme, la première chambre civile (cass. civ., 1re ch., 22 juin 2016, nos 15-19471 et 15-19516) énonce quant à elle, sans d’ailleurs laisser aux parties la possibilité d’une convention contraire, que les fonds provenant de la distribution des réserves « doivent bénéficier au seul nu-propriétaire ». Ce faisant elle prend une position qui tranche avec celle de la chambre commerciale en reniant à l’usufruitier tout droit sur ce dividende exceptionnel.
Pour notre part, nous ne partageons pas cette dernière analyse et nous rallions à la thèse du quasi-usufruit proposée par la chambre commerciale (cass. com. 27 mai 2015 préc.). En effet, s’il est de tradition de considérer que les fruits appartiennent à l’usufruitier, et les produits au nu-propriétaire, il nous faut pourtant constater que rien n’est moins vrai. L’exclusivité conférée au nu-propriétaire sur les produits de la chose est différée à la date à laquelle il sera devenu plein propriétaire du bien, c’est-à-dire, à l’extinction de l’usufruit. Mais tant que ce dernier perdure, les produits n’appartiennent au nu-propriétaire que sous réserve des droits de l’usufruitier.
C’est ainsi, par exemple, qu’une plus-value réalisée lors de la vente d’un bien démembré, alors même qu’il s’agit d’un produit, est répartie entre l’usufruitier et le nu-propriétaire (c. civ. art. 621) ou, par convention, attribuée à l’usufruitier sous la forme d’un quasi-usufruit.
C’est ainsi également que, lorsque le nu-propriétaire exerce le droit préférentiel de souscription, les titres nouvellement acquis font l’objet d’un démembrement (c. com. art. L. 225-140), préservant ainsi les droits de l’usufruitier.
Ou encore que, lors d’une augmentation de capital par incorporation des réserves, usufruitier et nu-propriétaire profitent conjointement de l’opération, soit parce que la valeur du titre démembré augmente, soit parce que le démembrement se reporte, par subrogation, sur les nouveaux titres émis (c. com. art. L. 225-140).
On doit transposer ce raisonnement à la distribution des réserves. S’agissant d’un produit, ce dividende exceptionnel ne peut appartenir au nu-propriétaire que sous réserve des droits de l’usufruitier. Le mécanisme de subrogation s’impose puisque l’usufruit existant sur le bien initial (le capital) n’a pas pris fin. Les réserves viennent en quelque sorte remplacer le capital social démembré et la subrogation justifie alors le maintien de l’usufruit sur la somme distribuée. L’usufruitier ne peut prétendre exercer sur celle-ci qu’un droit de jouissance. Et par suite, s’agissant d’un bien consomptible, il doit se traduire par un quasi-usufruit légal, en vertu de l’article 587 du code civil.
À noter
Cette divergence jurisprudentielle est bien regrettable et complique la tâche des praticiens. Elle instaure une source de conflit potentiel entre usufruitier et nu-propriétaire dont on peut espérer qu’elle sera bientôt tranchée par une chambre mixte. Dans cette attente, le conseiller devra aménager les statuts pour prévoir la solution la plus adaptée à ses clients. La solution du quasi-usufruit nous semble être la solution de compromis dans la mesure où elle préserve les droits de chacun : ceux des parents donateurs qui continueront à bénéficier de la totalité du dividende de réserve et ceux des enfants au travers de leur créance de restitution.
Usufruit de parts sociales et fiscalité
Imposition des bénéfices dans les sociétés translucides
Nous n’envisagerons ici que le cas d’une société soumise à l’impôt sur le revenu. En effet, la société soumise à l’IS ne pose aucune difficulté majeure, elle s’acquittera de l’IS dans un premier temps et les associés paieront l’IR sur les dividendes reçus.
La situation se complique nettement lorsqu’il s’agit d’identifier le redevable de l’impôt dans l’hypothèse d’une société translucide. On le sait, la taxation du bénéfice se fera sans se préoccuper un instant de son affectation.
Aussi, usufruitier et nu-propriétaire pourront être contraints de payer un impôt sur une somme qu’ils n’appréhenderont peut-être pas.
L’article 8 du CGI prévoit que « en cas de démembrement de la propriété de tout ou partie des parts sociales, l'usufruitier est soumis à l'impôt sur le revenu pour la quote-part correspondant aux droits dans les bénéfices que lui confère sa qualité d'usufruitier. Le nu-propriétaire n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu à raison du résultat imposé au nom de l'usufruitier. »
Les modalités de répartition de la charge fiscale entre usufruitier et nu-propriétaire ont été précisées par la doctrine administrative (BOFiP-BIC-CHAMP-70-20-10-20-§ 100-12/09/2012) : l’usufruitier est imposable à hauteur des bénéfices courants de l'exploitation et le nu-propriétaire à hauteur des profits exceptionnels.
Toutefois, l'usufruitier et le nu-propriétaire de droits sociaux démembrés peuvent décider d'une répartition conventionnelle des résultats sociaux, opposable à l'administration fiscale à condition qu'elle ait été conclue ou insérée dans les statuts avant la clôture de l'exercice aux termes d'un acte régulièrement enregistré, ayant date certaine.
Attention
Là encore, le praticien doit opportunément utiliser la souplesse conventionnelle autorisée par l’administration fiscale. Par exemple, lorsque les parties décideront de distribuer la totalité du résultat au seul usufruitier, y compris lorsque celui-ci proviendra d’opérations exceptionnelles, le praticien conseillera la rédaction d’une convention afin de faire peser la charge fiscale sur la tête du seul usufruitier.
À qui revient l'imputation du déficit ?
L’administration prévoit, dans sa doctrine administrative, que la prise en compte des déficits fiscaux revient de droit au nu-propriétaire, considérant que, en tant qu’associé, il doit répondre seul des pertes de la société (BOFiP-BIC-CHAMP-70-20-10-20-§§ 130 et 150-12/09/2012).
Cette position est contestable, avant tout parce qu’elle repose sur une confusion entre perte et déficit (voir en ce sens P. Fernoux, « Déficit d’une société de personnes dont les parts sont démembrées : retour à la raison par les principes de l’impôt », Newsletter AUREP n° 267, février 2018), deux notions qu’on ne peut assimiler l’une à l’autre.
Ensuite, parce qu’elle porte atteinte au principe de neutralité de l’impôt : l’usufruitier est contraint de payer l’impôt lorsque le résultat fiscal est positif et ne peut le déduire lorsqu’il est négatif. Le déséquilibre entre imposition et imputation est déconcertant.
Mais le Conseil d’État vient de mettre fin à cette iniquité (CE 8 novembre 2017, n° 399764) avec une logique irréprochable, qui tranche avec celle de la doctrine administrative : « l'usufruitier des parts est soumis à l'impôt sur le revenu à raison de la quote-part des revenus fonciers correspondant aux droits dans les résultats de cette société que lui confère sa qualité. Lorsque le résultat de cette société de personnes est déficitaire, l'usufruitier peut déduire de ses revenus la part du déficit correspondant à ses droits ». Voilà de quoi rassurer le praticien.
Conclusion
Plus que tout autre, l’usufruit portant sur les droits sociaux est résolument favorable à celui qui, volontaire pour donner, n’en a pas moins l’intention de garder le contrôle absolu. Facilitée par une liberté contractuelle et une jurisprudence favorable, le praticien trouvera dans cette technique une palette de solutions adéquates aux parents usufruitiers, sous réserve d’une rédaction appropriée des statuts. La matière est décidément propice au conseil et à l’ingénierie patrimoniale. Conseillers, à vos plumes !
« Transmission d'entreprise », RF 2016-6, §§ 3230 à 3233
« Dividendes – Distributions », RF 2017-2, §§ 1270 à 1279