18 - Comment facturer ses missions en gestion de patrimoine ?
La qualité de la relation entre l’expert-comptable et son client est un prérequis pour la confiance, les affaires et la fidélisation dans le temps. Mais avec des prestations qui se robotisent et des besoins nouveaux identifiés, notamment en gestion de patrimoine, l’expert-comptable doit faire évoluer son métier (aller aussi vers le particulier), ses pratiques (facturer des honoraires) et son positionnement (montrer l’intérêt de ses « autres qualifications »). Vers de nouvelles missions rémunératrices.
Pascal PINEAU, Formateur AUREP, Associé de METISSE Finance (organisme de formation dédié aux métiers du Conseil en Gestion de Patrimoine)
La relation de confiance entre le client et son expert-comptable est reconnue pour être forte, durable et respectueuse.
Au nom de cette relation historique et fidèle, peu osent parler d’argent, de facturation au-delà des missions classiques (un CA de 9 milliards d'euros par an dont 10 % en activité de conseil, avec 2 millions d’entreprises clientes) (voir Profession CGP mars 2016), de la production comptable (70 % du CA), oubliant que le service à rendre peut être aussi à vendre.
Coté expert-comptable
Et pourtant, comme l’indiquait Philippe Arraou (voir Profession CGP Mars 2016, Spécial Expert-Comptable), alors Président du Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables : « L’ouverture de nos missions à la Gestion de Patrimoine est (donc) une démarche logique et cohérente pour les Experts-Comptables qui s’y engagent : c’est le prolongement naturel de notre offre qui répond aux attentes de nos clients ».
D’ailleurs, la loi Macron du 6 août 2015 permet de délivrer cette prestation de conseil sans mission comptable (voir FH 3606, §§ 1-1 et 1-2). Une porte s’ouvre…
Selon l’Enquête IFOP de juillet 2015 (voir Profession CGP Mars 2016, préc.), les experts-comptables étudieraient pour 64 % d’entre eux une offre de services pour les particuliers, auraient pour 62 % une volonté réelle d’interprofessionnalité et souhaiteraient pour 78 % le faire dans une même structure.
Ce nouvel axe de développement leur permettrait de garder le lien privilégié construit dans le temps avec leurs anciens clients entrepreneurs dorénavant en retraite.
Cette mission d’accompagnement patrimonial à titre maintenant personnel serait donc à facturer à partir d’une lettre de mission ponctuelle ou durable (tel un contrat d’abonnement). La facturation du conseil devient incontournable là aussi, là surtout (car l’expert-comptable ne peut plus compenser ce temps passé par ses activités classiques au service de l’entreprise).
Côté client
Le « client » (du latin protégé) attend des ressources de son conseil expert-comptable pour faire face à ses problèmes et bâtir ses projets, et son conseil attend légitimement, par ses honoraires, d’en vivre.
Et pourtant, avec un marché du conseil estimé à près de 80 milliards sur les TPE-PME (voir AGEFI Actifs n° 700, mai 2017, Interview de Charles-René Tandé, Président de l’Ordre des Experts-Comptables), la facturation des préconisations n’est pas si aisée, et peu pratiquée : l’expert-comptable doit faire payer son client, à nouveau, à partir d’un acte commercial – et ce n’est souvent pas dans son ADN.
Vers un chaînage vertueux
La mission
Comme tous les professionnels du conseil, nous devons nous poser les questions suivantes : quel est mon périmètre d’intervention et quels sont les intérêts pour mon client ? Quelle est mon autorisation à poser des questions pertinentes hors contexte principal ? Suis-je toujours dans mon rôle, ma mission ?
Les choses sont plus simples si le client aborde directement les problématiques patrimoniales (protection du conjoint, achat programmé, départ en retraite, gestion des aléas de la vie).
Mais notre mission n’est-elle pas aussi de rendre visible ce que notre client ne sait pas, ne veut pas voir, ce dont il a peur ? D’ailleurs, qui a le plus peur ? Qui est le plus en risque ?
La mission du conseil est, d’abord et avant tout, de (re)présenter toutes les facettes de son métier, sa méthodologie et son aide. Une offre lisible dont certains sujets ne seront pas (de suite, voire jamais) retenus par son client. Mais cela permet d’établir un cadre, une ressource, pour une (prochaine) mission.
Des effets
Quand une mission est commandée, le donneur d’ordre attend des impacts, des effets, des changements, un « avant » et un « après » votre intervention. Et parfois, c’est délicat car difficilement mesurable : comment évaluer l’impact d’une clause bénéficiaire dans un contrat d’assurance-vie si ce n’est par la disparition, quasi immédiate, du souscripteur ?
En gestion de patrimoine, beaucoup d’effets ne sont pas durables par les changements de lois, d’environnement, de tendances et donc de performances… et par le comportement des clients eux-mêmes !
Et puis, tout est-il mesurable ? Qu’en est-il de la paix et de l’équilibre familial, de la sérénité de savoir qu’en cas de disparition un professionnel sera là aux côtés des vôtres ?
Une étude indique que les produits et services apportent des éléments de valeur fondamentaux qui répondent à quatre besoins (fonctionnels, psychologiques, transfigurateurs et sociaux) (HBR - Harvard Business Review d’Octobre 2017). En étant plus concret, l’étude propose d’autres effets plus qualitatifs que le seul impact quantitatif ou de performance tels : le gain de temps obtenu, la simplification des démarches, la réduction du risque, une nouvelle organisation, une intégration de plusieurs univers et données, une réduction de l’effort, une ouverture d’esprit, de l’espoir, de la motivation sur la faisabilité…
L’expert-comptable peut et doit se positionner comme un créateur d’effets au-delà des chiffres.
La valeur
Tout le débat de la facturation pourrait se résumer à « Combien vaut ma prestation ? ».
Il y a souvent une confusion entre la valeur, le coût et le prix.
Oui, la valeur est relative, elle ne prend en compte ni les coûts (de fabrication du conseil), ni le prix à payer (aussi faible ou irrationnel soit-il).
Dans le cadre de la cession d’entreprise, on dit souvent que « la valeur brille dans les yeux de l’acheteur ». C’est un état de désir, une volonté d’avoir ou de ne plus avoir : avoir un bien, de la sérénité, un professionnel à ses côtés, une solution pour son projet. Ou ne plus avoir de peur, de doute, de troubles face à ses problèmes. Le prix ici importe peu, seule la certitude renforcée ou la souffrance disparue ont du sens.
Certains gestionnaires de patrimoine demandent « Jusqu’à quel point êtes-vous motivé, est-ce indispensable pour vous, urgent, voire vital ? ». La valeur n’est pas juste, elle dépend du client, de son état, et elle donne une indication sur les conditions de fabrication de la (des) solution(s), ce qui impacte son coût et son prix.
Le coût
C’est le temps de la fabrication de la (ou des) solution(s) pour notre client selon son cahier des charges et le savoir-faire de l’expert-comptable. Il nous serait présomptueux de faire un long chapitre sur le calcul des coûts directs, indirects, immédiats et différés, sans parler des coûts cachés.
Sur le plan commercial d’autres questions méritent d’être posées : le client doit-il payer au moins ce que cela coûte ?
L’expert-comptable pourrait se lancer dans une forme d’industrialisation de ces missions : chaque mission finalisée est une opportunité de clonage. Quels seraient donc les autres clients pouvant bénéficier de cette (nouvelle) expertise ?
Ainsi, le cabinet pourrait voir une nouvelle mission achevée comme une nouvelle offre, comme une forme d’investissement rentable dans le temps car reproductible auprès d’une partie de ses clients.
Le coût d’acquisition serait mutualisé et le prix plus accessible pour les clients.
Certains pourraient même s’aventurer sur le terrain de prix différents selon le segment de client de son portefeuille, voire selon la valeur qui brille dans leurs yeux…
Et le prix
C’est ce chiffre qui est communiqué au client. Nos coûts de fabrication ne l’intéressent pas, d’ailleurs il nous proposerait de mieux nous organiser pour un meilleur prix.
Le client peut-il au regard de ses moyens financiers et de la valeur qu’il donne à son projet ou à son problème payer le prix annoncé ? Le facteur de son référentiel (de ce qu’il paye déjà) rentre en jeu dans cette évaluation. Il s’agit de ce qu’il paye déjà à son expert-comptable en tant que client sur d’autres sujets, et de ce qu’il paye déjà ailleurs pour d’autres sujets quasi similaires.
La tentation de la gratuité dans sa demande ou pour mesurer notre générosité se profile.
Trop souvent les professionnels du conseil passionnés par leur métier, par leurs clients passent du service à la servitude. La règle est simple : le premier prix de quelque chose dans un cadre donné sera toujours associé aux prix suivants. Il sera très difficile de vendre plus cher. Votre premier prix doit être fort, justifié et justifiable (en terme de valeur et d’effets notamment).
Cependant, en étant très lisible dans une démarche commerciale, l’expert-comptable peut trouver des stratégies gagnantes pour les deux parties : réduction ponctuelle afin de prouver l’intérêt de la mission, mise en place d’avoir pour de prochaines missions complémentaires, édition d’une facture avec le prix réel et l’indication du geste commercial au titre de cette année …
Le prix validé par le client est le marqueur de votre valeur reconnue.
Enfin, une fois de plus, ce prix est toujours fixé selon la valeur qui brille dans les yeux de notre client : quand la vie ne tient qu’à un fil, c’est fou le prix du fil !
À noter
Les enjeux de l’expert-comptable pour facturer ses honoraires passent donc par une offre lisible (ce que je peux faire de plus pour vous), un impact visible (ce que je vous propose a un réel intérêt), une valeur fixée (tant pour le client en tant que « livrable » que pour le cabinet d’expertise-comptable en tant que « à livrer »), un coût maîtrisé (souvent par son industrialisation) et un prix acceptable et accepté (permettant en plus la fidélisation).
Et pour ceux qui aiment se faire peur
Le métier classique de l’expert-comptable peut-il avoir un réel avenir face à (non plus la délocalisation) l’uberisation, à la digitalisation ?
Une étude des chercheurs de l’Université d’Oxford en partenariat avec le cabinet Deloitte porte sur « les métiers les plus menacés par la robotisation » (voir La Profession Comptable, Février 2017 et Les Échos du 14 septembre 2015).
Celui de l’expertise-comptable a un taux de disparition programmé de 97 % en restant sur ses fondamentaux.
Le mode de calcul identifie les neuf qualifications professionnelles les moins accessibles pour l’instant aux robots : clairvoyance sociale, négociation, persuasion, assistance aux autres, originalité, sens artistique, dextérité manuelle, et nécessité de travailler à l’étroit.
Sans devenir thérapeute (avec un taux de disparition limité à 0,7 %), l’expert-comptable peut continuer et amplifier son rôle d’interlocuteur privilégié au-delà des chiffres statiques.
Ses prochaines missions (et/ou avec un volume plus accentué) peuvent intégrer beaucoup de ces qualifications professionnelles autour des chiffres au service des projets et problèmes des clients particuliers et/ou entreprises.
Le travail et la demande sont là. Reste à en vivre !