11 - Le conjoint et la qualité d'associé
La situation de l’associé marié en communauté éveille toujours chez son Conseil une attention particulière. Et pour cause, cet associé-là est soumis à deux corps de règles distincts : celles de la société, bien sûr, mais également celles de son régime matrimonial. À chaque étape de la vie de la société et de l’associé marié, l’articulation de ces règles soulève des questions.
Natacha FAUCHIER, Diplômée notaire, Formateur AUREP
L'essentiel
Le droit des régimes matrimoniaux impose de distinguer pouvoir et propriété dès l'apport/acquisition de titres sociaux non négociables. / 11-4
Si la valeur des parts sociales entre en communauté (finance), la qualité d'associé (titre) reste propre à l'époux concerné. / 11-2, 11-3 et 11-11
L'époux et lui seul peut exercer les prérogatives d'associé, mais la finance dépend de la communauté (dividendes et créance de compte courant alimenté en deniers communs). / 11-12
Au cours du mariage, la cession des droits sociaux non négociables requiert l'accord des deux époux. / 11-15
À la dissolution du mariage, les parts reviennent à l'époux associé qui en devra la contre-valeur à la communauté. / 11-13
Droit des régimes matrimoniaux et droit des sociétés : des rapports troubles
Le droit des régimes matrimoniaux entretient de longue date des rapports troubles avec le droit des sociétés. Si les régimes séparatistes peuvent présenter quelques difficultés, ce sont les régimes communautaires qui concentrent les questions à la fois les plus fréquentes et les plus complexes. La situation de l’associé est singulière chaque fois qu’il est marié en communauté car elle devra être considérée à travers le prisme de son régime matrimonial.
Dans une société, il existe un certain nombre d’attributs fondamentaux attachés à la qualité de l’associé. En cette qualité, l’intéressé, et lui seul, bénéficie de droits politiques et financiers tandis que lui incombent certaines obligations. La qualité d’associé est reconnue à celui qui réalise un apport lors de la constitution de la société ou au cessionnaire des titres sociaux existants.
Dans un couple marié sous un régime de communauté de biens, on distingue les biens propres des biens communs (c. civ. art. 1401 à 1408). Les premiers obéissent aux pouvoirs exclusifs de l’époux propriétaire (c. civ. art. 1428) tandis que les seconds sont en principe soumis aux pouvoirs concurrents des époux, chacun pouvant les gérer et en disposer librement sans le consentement de l’autre (c. civ. art. 1421).
Cependant, ce principe souffre d’importantes exceptions, et très souvent les biens communs seront soumis à la cogestion, nécessitant l’intervention conjointe des deux époux. C’est précisément le cas des parts sociales dépendant du patrimoine commun (c. civ. art. 1424) (voir § 11-15).
À l’évidence, ces deux corps de règles qui s’imposent à l’associé commun en biens n’ont pas été établis en contemplation l’un de l’autre. Au contraire, ils se heurtent et l’on ne sait à quel corpus se référer pour répondre aux nombreuses questions qui jalonnent la vie du couple et de la société.
Ainsi, depuis l’entrée en société jusqu’à la fin du mariage, il convient de s’interroger sur les pouvoirs de l’associé marié au travers du prisme de son régime matrimonial. C’est ce que la présente étude se propose de faire de manière synthétique.
Le point de départ : la distinction du titre et de la finance
Nature commune des parts souscrites ou acquises pendant le mariage (la finance)
La nature propre ou commune des parts souscrites ou acquises pendant le mariage (sauf déclaration de remploi, voir §§ 11-5 et 11-7) a longtemps suscité des débats doctrinaux aujourd’hui clos. La jurisprudence a rejeté l’idée selon laquelle les parts sociales constitueraient des biens propres par nature en raison du caractère personnel très marqué qui leur serait attaché (c. civ. art. 1404), sur le fondement de l’intuitu personae existant entre les associés d’une société de personnes.
Il est désormais acquis que ces parts constituent des acquêts, autrement dit, des biens communs (dès cass. req. 13 nov. 1860 : DP 1861, 1, 198).
Cette qualification tranchée, la véritable question est celle de savoir si le conjoint de l’associé, en raison de son régime matrimonial et de la nature commune des parts sociales, peut exercer les prérogatives appartenant à son époux associé. La réponse doit être négative (voir § 11-3).
Mais qualité d'associé propre à l'apporteur/acquéreur (le titre)
Le régime matrimonial de l’époux associé ne peut permettre à son conjoint de s’immiscer dans les affaires sociales, puisqu’il est étranger au contrat de société. C’est précisément là que le droit du régime matrimonial doit s’effacer derrière le droit des contrats et des sociétés. Si par principe chacun des époux a pouvoir pour engager les biens communs lorsqu’il contracte, l’engagement contractuel de l’un ne rend pas l’autre cocontractant. Concurrence des époux dans les pouvoirs de gestion des biens communs ne signifie pas interchangeabilité des époux dans le contrat. Et l’exception que constitue la cogestion (ou gestion conjointe) ne saurait permettre à l’époux du contractant d’agir comme partie au contrat, c’est-à-dire ici comme un associé.
Et puisque c’est l’immixtion du conjoint dans les affaires sociales que l’on craint, c’est que le problème est nécessairement circonscrit aux sociétés dans lesquelles existe un fort intuitu personae. À défaut d’intuitu personae, la question ne se pose pas. Il est indifférent pour les autres actionnaires de savoir qui de l’un ou l’autre des époux copropriétaires des titres communs peut agir. En d’autres termes, ce sont les titres des sociétés de personnes, les titres non négociables, encore appelés parts sociales (par opposition aux actions désignant les titres de sociétés de capitaux) qui cristallisent les difficultés. Sont donc concernées notamment : les sociétés civiles, les SCP, les SARL, les SCS (sociétés en commandite simple) ou encore les SNC.
Ainsi, la doctrine a donné naissance à ce que l’on nomme « la distinction du titre et de la finance » avec, pour vocation, de concilier le caractère personnel à l’un des époux de certains biens avec leur appartenance au patrimoine commun.
Il s’agit notamment des offices ministériels, dans lesquels le titre ne peut être détenu à défaut de tel diplôme, ou des parts de sociétés dans lesquelles existe un fort intuitu personae.
Cette théorie a franchi très tôt le seuil des tribunaux et a été adoptée par la Cour de cassation dès le milieu du XIX° siècle, appliquée à plusieurs reprises à des professions libérales ainsi qu’à des parts de société en nom collectif et en commandite simple (pour un historique des décisions, voir J. DERRUPPE, « Régimes de communauté et droit des sociétés », JCP N 1971, I, 2403, n° 9). S’ensuivront de nombreux arrêts concernant des parts de SARL notamment, comme les célèbres arrêts Floret (cass. com. 23 décembre 1957 : D. 1958, J, P. 267), Bourcier (cass. civ., 1re ch., 22 décembre 1969, n° 68-11.737) ou Gelada (cass. civ., 1re ch., 9 juillet 1991, n° 90-12.503) pour un GAEC, qui consacrent tous la distinction du titre et de la finance.
Suivant cette distinction, le titre d’associé est propre et seule la valeur des parts entre en communauté. Autrement dit, si les parts ont été souscrites ou acquises pendant le mariage, leur valeur est commune. En revanche, le titre d’associé et les prérogatives y attachées demeurent propres à l’époux associé et lui reviennent exclusivement. L’autonomie de gestion de l’époux associé est assurée et les droits pécuniaires de la communauté sont préservés.
La solution, bien que séduisante, n’est pourtant pas la panacée. La Cour de cassation y est depuis longtemps attachée, alors que les conséquences qu’elle en tire manquent parfois de cohérence. C’est pourquoi il est nécessaire de passer en revue un certain nombre de questions.
La souscription ou l’acquisition de titres sociaux par l’époux commun en biens
Contexte
C’est dès l’entrée en société de l’époux commun en biens que les premières questions se posent. Si l’associé est marié sous un régime communautaire, il convient d’abord de savoir si l’apport est réalisé au moyen de biens propres ou communs. En réalité, la réponse à cette question est déterminante à deux points de vue : qui a le pouvoir de réaliser l’apport et les parts sont-elles propres ou communes (voir §§ 11-5 à 11-8) ?
L’époux associé peut-il réaliser seul l’apport ou l’acquisition ?
Réalisation des apports
Apports de biens propres
En présence de biens propres, l’époux a le pouvoir de réaliser seul l’apport (c. civ. art. 225).
Concernant les biens corporels (apport en nature), la subrogation a lieu automatiquement, de sorte que les parts ainsi souscrites seront nécessairement propres à l’époux (c. civ. art. 1407).
Concernant l’apport en numéraire, l’époux devra formaliser une déclaration de remploi pour que les parts constituent des propres (c. civ. art. 1434).
Dans ces deux cas, il n’y a plus de question à se poser pour la suite puisque l’époux dispose de pouvoirs exclusifs quant à la gestion de son patrimoine propre.
Apport de biens communs
En présence de biens communs, les parts souscrites auront nécessairement le caractère de bien commun (c. civ. art. 1401). Cependant, selon la nature des biens apportés, l’intervention du conjoint sera ou non nécessaire.
Si le bien apporté est l’un de ceux visés à l’article 1424 du code civil (immeuble, fonds de commerce et exploitation, droits sociaux non négociables, ou tout droit réel portant sur l’un de ces biens), alors l’acte d’apport est soumis à la cogestion et nécessitera l’intervention du conjoint de l’associé.
En revanche, en cas d’apport en numéraire, le consentement du conjoint n’a pas lieu d’être.
Acquisition de parts sociales
En cas d’acquisition de parts sociales, les mêmes principes valent.
Si le prix est payable en numéraire, l’époux a le pouvoir de payer seul. Concernant la propriété des parts acquises, on distinguera selon que les deniers sont propres ou communs. En présence de deniers propres, l’époux devra effectuer les formalités du remploi pour que les parts lui soient propres (c. civ. art. 1434). Dans les autres hypothèses, les parts seront communes en valeur.
Si le prix est payable en nature, les pouvoirs dépendront de la nature des biens remis en paiement.
Si le bien est propre, l’époux peut payer seul et les parts acquises sont propres par le jeu de la subrogation réelle automatique. Si les biens sont communs, les parts acquises seront nécessairement communes. Les pouvoirs dépendront du type de bien commun. Par exemple, s’agissant de biens ou droits immobiliers, les deux époux devront intervenir conjointement en vertu des dispositions de l’article 1424 du code civil précité (voir § 11-6).
Récapitulatif
Le droit des régimes matrimoniaux, impose de distinguer pouvoir et propriété dès l’apport/acquisition des parts sociales.
Pouvoirs pour apporter/payer | Propriété des parts souscrites/acquises | |||
---|---|---|---|---|
Associé seul | Associé + conjoint | Propres à l’associé | Communes | |
Apport/paiement en numéraire | ||||
Fonds propres à l’associé | X | X Si déclaration de remploi | X À défaut de déclaration de remploi | |
Fonds communs | X | X | ||
Apport/paiement en nature | ||||
Biens propres à l’associé | X | X | ||
Biens communs | ||||
Visés à 1424 du c. civ. | X | X | ||
Autres | X | X |
Le conjoint peut-il s’opposer à l’entrée en société ?
Le conjoint ne peut pas s’opposer à l’entrée en société de son époux. Tout au plus, peut-il refuser de donner son consentement à l’apport en nature ou au paiement du prix d’acquisition en nature, dès lors qu’il s’agit des biens communs évoqués ci-avant (c. civ. art. 1424) (voir § 11-6). Dans une telle hypothèse, il sera loisible à l’époux apporteur de proposer à ses associés de substituer un apport en numéraire, dont le montant sera fonction de ses facultés financières ou un apport en industrie.
Le conjoint peut-il revendiquer des droits dans la société ?
Information du conjoint
La loi distingue selon la nature des titres souscrits ou acquis.
S’il s’agit de titres sociaux non négociables, la loi offre au conjoint de l’associé des droits particuliers (c. civ. art. 1832-2).
D’abord, le conjoint doit être informé de l’entrée en société réalisée par son époux dès lors qu’elle est faite moyennant finance commune. Cette obligation d’information pèse sur l’époux associé et doit être justifiée dans l’acte même de constitution de société ou d’acquisition des parts. Elle est sanctionnée par la nullité de l’opération. Il ne s’agit pas d’un consentement mais bien d’une information, destinée à éclairer le conjoint de l’associé, le cas échéant, sur l’impact de l’engagement sociétaire. Rappelons, en effet, que dans certaines des sociétés concernées (sociétés civiles notamment), l’associé répond indéfiniment des dettes sociales, et peut donc être poursuivi sur son patrimoine personnel par les créanciers de la société. Dit autrement, il engage, en devenant associé, son patrimoine propre mais aussi l’essentiel du patrimoine commun des époux en cas de difficultés de la société. Les dispositions protectrices de la masse commune (c. civ. art. 1415 ; en matière d'emprunt et de cautionnement) ne sont pas applicables en la matière, nul besoin de recueillir le consentement du conjoint pour que le patrimoine commun se trouve engagé.
Revendication de la qualité d'associé
Ensuite, le conjoint a la possibilité de revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises (c. civ. art. 1832-2, al. 3). C’est la seconde finalité de l’obligation d’information. Au moment de l’entrée en société, trois voies lui sont ainsi possibles :
-renoncer définitivement à prendre la qualité d’associé : dans ce cas, il renonce à pouvoir interférer de quelque manière que ce soit dans la société et il protège son patrimoine propre s’il s’agit d’une société à responsabilité indéfinie. Sa décision est irrévocable ;
-revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites/acquises : les statuts devront alors préciser pour quelles parts chacun des époux à la qualité d’associé. Et puisque qui peut le plus peut le moins, le conjoint peut revendiquer cette qualité sur moins de la moitié des parts concernées. L’agrément donné pour l’un vaut pour l’autre. Il n’est pas possible d’empêcher l’entrée en société du conjoint à ce stade. Le point est d’importance : chaque fois qu’un nouvel associé marié obtient l’agrément dans ces circonstances, il appartient aux Conseils d’avertir l’ensemble des associés sur le fait que cet agrément vaut pour le couple le cas échéant. Si le conjoint devient associé, il pourra jouir des prérogatives d’associé et répondra des dettes sociales le cas échéant (l’ensemble du patrimoine des époux étant alors engagé en cas de difficultés sociales s’agissant d’une société à responsabilité indéfinie) ;
-ne pas se prononcer : dans ce cas, la faculté de revendiquer la qualité d’associé lui reste ouverte, et ce, jusqu’à la fin du mariage. En revanche, les statuts peuvent prévoir que si le conjoint se manifeste postérieurement à l’entrée en société, il sera soumis à agrément. Attention toutefois car son époux ne peut pas participer au vote. C’est dire que l’époux déjà associé ne pourra ni s’opposer ni appuyer la volonté de son conjoint.
À noter
L’hypothèse peut être fort inconfortable pour l’époux associé unique d’une EURL dans laquelle il exerce son activité professionnelle notamment. Le conflit conjugal pourrait inciter le conjoint à se manifester tardivement et revendiquer la qualité d’associé, mettant à mal son autonomie de gestion et par là même sa principale source de revenus… En effet, c’est seulement une fois le divorce devenu définitif que le conjoint resté silencieux perd la possibilité de revendiquer la qualité d’associé.
CONSEIL PRATIQUE
Pour des raisons évidentes, les Conseils devront donc inviter l’époux associé à obtenir une décision définitive de son conjoint au jour de l’apport/acquisition, au risque de voir un jour le conflit conjugal se larver en conflit social. À tout le moins, il est prudent de prévoir que le conjoint sera soumis à agrément en cas de revendication postérieure de la qualité d’associé. Pour les mêmes raisons, il convient d’être pointilleux sur le respect de l’obligation d’information du conjoint, son contenu et sa preuve.
Le conjoint de l’associé dispose d’un délai de 2 ans à compter du jour où il a connaissance de l’acte pour en demander la nullité (c. civ. art. 1427).
Les statuts devront mentionner expressément que l’information a été délivrée au conjoint et en justifier par la production de la déclaration faite par l’intéressé en ce sens. Celle-ci sera contenue dans le corps des statuts (à cet effet, le conjoint sera présent ou représenté en vertu d’une procuration annexée), ou dans un écrit séparé, annexé en original aux statuts le jour de la signature.
L’exercice des droits politiques et financiers de l’associé marié
Au cours de la vie sociale, le conjoint associé, et lui seul, peut exercer les prérogatives d’associé.
Concernant les droits politiques, il n’existe pas de difficulté. L’époux associé est le seul à être informé sur les comptes et la politique sociale, à être convoqué aux assemblées, à participer aux votes mais aussi à avoir un droit de contrôle sur les dirigeants. C’est dire que son conjoint, qui n’a pas revendiqué la qualité d’associé, ne dispose d’aucune faculté pour s’opposer à la gestion qui est faite de la société quand bien même le patrimoine commun des époux peut être engagé en raison de la forme sociale choisie et de la responsabilité indéfinie qui pèserait sur son époux associé.
Concernant les droits financiers et patrimoniaux, il convient d’appliquer pleinement la distinction du titre et de la finance.
Les décisions et pouvoirs reviennent au seul époux associé, en cette qualité, mais la finance dépend de la communauté, ce qui signifie notamment que :
-l'époux associé vote seul l’affectation du résultat ; les dividendes accroissent la communauté ;
-l'époux associé affecte seul des fonds communs en compte courant d’associé et a seul pouvoir pour en exiger le remboursement ; la créance de compte courant est un actif commun.
La fin du mariage de l’associé
Lorsque le mariage prend fin, la question est de savoir qui aura la propriété des parts sociales. En principe, tout actif commun dépend de l’indivision post-communautaire et se trouve donc indivis :
-entre les ex-époux en cas de dissolution par divorce ;
-entre le conjoint survivant, d'une part, et les héritiers de l’époux décédé, d'autre part, en cas de dissolution par décès.
Cependant, dans ces hypothèses, la jurisprudence applique la distinction du titre et de la finance. Il en résulte que les parts sociales échappent à l’indivision et que seule leur valeur est indivise.
Si les parts ne sont pas dans l’indivision, c’est donc qu’elles ne seront pas soumises à l’aléa du partage.
L’époux associé en conserve la propriété exclusive, en cas de divorce ou de prédécès de son conjoint (en cas de divorce : arrêt Floret précité ; cass. civ., 1re ch., 19 avril 2005, n° 02-18.288 ; cass. civ., 1re ch., 4 juillet 2012, n° 11-13.384 ; en cas de décès : arrêts Bourcier et Gelada précités ; cass. civ., 1re ch., 10 février 1998, n° 96-16.735 ; cass. com. 15 mai 2012, n° 11-13.240).
C’est là une dérogation exorbitante du droit commun qui résulte de la distinction du titre et de la finance.
En d’autres termes, les parts ne peuvent revenir à un autre que l’époux associé mais ce dernier en devra la contre-valeur à la communauté. Ses droits sont pérennisés. Au regard du droit des contrats et des sociétés, on ne peut que se féliciter de la solution.
Attention
Les SAS ne sont pas concernées par la distinction du titre et de la finance. Même si la grande liberté statutaire laissée par les textes se traduit souvent par l’existence d’un fort intuitu personae marqué par des clauses d’agrément (SAS dite « fermée »), elle n’en demeure pas moins une société par actions. En tant que telle, et en l’absence de jurisprudence, la distinction du titre et de la finance ne lui est pas applicable. En cas de divorce, les actions de SAS sont donc indivises entre les ex-époux et celui qui n’était pas associé peut revendiquer la propriété des parts dans le cadre du partage. Les actions peuvent donc échapper en tout ou partie à celui des époux qui était associé. S’agissant de la société dans laquelle l’époux exerce son activité professionnelle, il aura la possibilité de demander au juge l’attribution préférentielle (c. civ. art. 831). S’agissant d’une société holding, la solution est beaucoup plus incertaine.
Quid des dividendes ?
Les dividendes versés à l’époux associé pendant l’indivision post-communautaire sont qualifiés par la jurisprudence de fruits accroissant à l’indivision post-communautaire, profitant ainsi à tous les indivisaires. Un arrêt récent illustre la question (cass. civ., 1re ch., 28 mars 2018, n° 17-16.198).
L’histoire est celle d’un commissaire aux comptes, dont le divorce avait été prononcé en 2009 mais dont le partage de communauté n’avait pas été réalisé faute d’accord avec l’ex-épouse. Parmi les biens communs, devenus indivis, se trouvaient les parts de la SCP dans laquelle il exerçait son activité professionnelle. Chaque année, est votée la distribution des bénéfices de l’exercice social, environ 480 000 euros cumulés pour notre intéressé au moment où l’affaire est portée devant les tribunaux.
Il a été jugé que ces dividendes n’appartenaient pas exclusivement à l’époux associé mais accroissaient l’indivision post-communautaire. Dit autrement, l’ex-épouse a des droits de moitié sur ces dividendes, et ce, jusqu’au partage définitif ! Sans entrer dans les détails, on précisera que la situation de l’ex-époux salarié est différente puisque ses salaires lui sont personnels dès la date de l’ordonnance de conciliation.
La cession des titres par l’époux
Une fois le mariage dissous
Dans la continuité de ce qui vient d’être écrit (voir § 11-13), une fois le mariage dissous, l’époux associé a seul pouvoir pour céder les parts sociales (en cas de divorce : cass. civ.,1re ch., 22 octobre 2014, n° 12-29.265 ; en cas de décès : arrêts précités : Bourcier, Gelada ; cass. civ., 1re ch., 10 février 1998 ; cass. com. 15 mai 2012, n°11-13240 ; cass. civ., 1re ch., 12 juin 2014, n° 13-16.309). L’époux a seul qualité d’associé. L’associé est seul dévolutaire des parts à la fin du mariage. L’époux associé est seul cédant de ces/ses parts. Le syllogisme est implacable. La distinction du titre et de la finance est salvatrice même si son fondement juridique apparaît fragile aux yeux de certains.
À noter
Relevons tout de même que la nature du prix de cession est incertaine : si le prix est indivis, comme l’était la valeur des parts, alors tout acte de disposition sur ce prix relève de l’unanimité des indivisaires (c. civ. art. 815-3). C’est la raison pour laquelle les Conseils rédacteurs de telles cessions peuvent difficilement mettre en œuvre ces solutions jurisprudentielles. La remise de l’intégralité du prix au seul ex-époux associé est susceptible d’engager la responsabilité des professionnels en cas d’insolvabilité du cédant au moment du partage ultérieur de divorce ou de succession.
CONSEIL PRATIQUE
En dépit de la jurisprudence, les Conseils rédacteurs de telles cessions seraient bien avisés, pour éviter toute action en responsabilité ultérieure, de recueillir le consentement de l’ex-conjoint de l’associé cessionnaire sur la vente et la remise du prix au seul époux concerné.
En cours de mariage
La solution retenue pour la cession des parts sociales en cours de mariage est en revanche beaucoup moins favorable à l’époux associé.
Il résulte en effet de la jurisprudence que, pendant le mariage, la cession des parts sociales n’échappe pas aux règles du régime matrimonial (cass. civ., 1re ch., 9 novembre 2011, n° 10-12.123).
Conformément aux dispositions de l’article 1424 du code civil, la cession des droits sociaux non négociables relève de la cogestion. Cela signifie que l’époux associé qui souhaite vendre les parts sociales pendant l’union doit le faire aux côtés de son conjoint et avec son accord.
Conclusion
L’appartenance à une société est souvent difficile à conjuguer à un régime matrimonial communautaire. C’est pourquoi l’entrée en société de l’époux est souvent précédée d’une réflexion sur la nécessité ou non d’adapter le régime matrimonial en amont.
À défaut, rien n’est impossible, mais il convient d’informer l’associé et son conjoint sur l’ensemble de leurs droits immédiats et sur ceux qu’ils pourraient être – ou ne pas être - en cas de divorce ou décès.
Un associé averti en vaut deux…