4 - L’observatoire des redressements en matière de TVA
Les avocats de l’équipe TVA du cabinet KPMG Avocats présentent une sélection des redressements de l’année, grâce à l’observatoire de la TVA mis en place à Paris comme dans les nombreux bureaux en régions.
L’essentiel
Les éléments de preuve d’une exportation diffèrent selon que l’expédition des biens est effectuée par le vendeur ou par l’acquéreur. / 4-1 et 4-2
La TVA à l’importation doit être acquittée par la personne désignée comme destinataire sur la déclaration d’importation. / 4-3 et 4-4
La TVA appliquée sur une LASM de travaux immobiliers peut être contestée sur le fondement du droit communautaire. / 4-8 et 4-9
Un litige concerne les travaux d’ingénierie à incorporer dans la base de la valeur en douane. / 4-10 à 4-12
La tolérance fiscale relative au régime de la marge pour ventes en filières ne peut pas s’appliquer à une entreprise qui ne l’a pas invoquée. / 4-10 et 4-11
La remise en cause des taux de TVA de 5,5 % et de 10 % appliqués par une société proposant des offres composites doit être motivée par catégories de produits et toute méthode imprécise est contestable. / 4-15 à 4-18
L’administration a abandonné le redressement portant sur la remise en cause du taux de 10 % appliqué aux ventes de semences traitées aux fongicides et aux graines utilisées dans la production d’huiles végétale, mais a maintenu l’amende pour défaut de mention obligatoire sur des factures d’avoirs. / 4-19 à 4-23
La remise en cause de taux de 5,5 % applicable à la vente de produits alimentaires à emporter ne peut pas être fondée sur le mode de conditionnement des produits. / 4-24 et 4-25
Si l’administration entend appliquer des majorations pour manquement délibéré au motif que l’entreprise savait ou ne pouvait ignorer la fraude de ses fournisseurs, elle doit rassembler des éléments de preuve suffisants. / 4-26 et 4-27
Un litige porte sur le lien direct entre les primes d’économie d’énergie octroyées par une société et ses autres opérations, conditionnant l’étendue de ses droits à déduction de la TVA. / 4-38 à 4-31
Flux internationaux
Exonération de TVA : exportation de véhicules
Le redressement
Une société a pour activité la vente de véhicules de tourisme au profit de particuliers résidant en dehors de l’Union européenne (UE). À ce titre, celle-ci maîtrise les opérations de logistique et de transport des véhicules jusqu’au pays de destination.
La société ne facture pas de TVA à ses acquéreurs en se fondant sur les dispositions de l’article 262, I. 1° du CGI, selon lesquelles les livraisons de biens expédiés en dehors de l’UE bénéficient d’une exonération de TVA, dès lors que l'entreprise réalisant ces exportations se conforme aux obligations comptables et documentaires visant à établir la réalité de l’exportation.
Le service des impôts remet en cause cette exonération en estimant que, dès lors que la vente à l’exportation est réalisée au profit de particuliers non-assujettis, la société doit être en mesure de prouver :
-la réalité de l’exportation ;
-et que l’acquéreur n’a pas sa résidence principale en France.
La société n’est pas en mesure de fournir cette preuve au titre de plusieurs de ses ventes, n’ayant pas réclamé de documentation en ce sens.
Le service des impôts tire cette interprétation de l’article 262, I.2° du CGI, aux termes duquel l’exonération s’applique aux livraisons de biens expédiés ou transportés par l’acheteur qui n’est pas établi en France, ou pour son compte, hors de l’UE.
S’agissant particulièrement des livraisons de véhicules neufs expédiés ou transportés par l’acheteur non établi en France, ou pour son compte, hors de l’UE, l’administration précise que les personnes visées doivent justifier auprès du vendeur de la sortie effective des véhicules du territoire de l’UE. À cette fin, elles doivent remettre au vendeur (BOFiP-TVA-CHAMP-30-30-10-20-§ 460-28/05/2013) :
-l’exemplaire de la déclaration en douane d’exportation ;
-une copie du certificat provisoire d’immatriculation WW ;
-selon le cas, la preuve de l’affectation hors de l’UE (déclaration de l’employeur) ou une attestation des autorités administratives du lieu de la nouvelle résidence ou une autorisation provisoire de séjour attestant d’une résidence hors de l’UE.
La contestation
La société conteste le fondement juridique adopté par le service des impôts, les conditions tenant à l’exonération des ventes à l’exportation différant, selon que l’expédition des biens est effectuée par le vendeur (CGI art. 262, I.1°) ou par l’acquéreur (CGI art. 262, I.2°).
Le service vérificateur se fonde sur le 2° de l’article 262, I du CGI, sans même démontrer en quoi, de manière concrète, l’acquéreur particulier serait en charge de l’expédition du véhicule.
Les véhicules sont expédiés par la société, en dehors du territoire de l’UE. Si l’acheteur prend effectivement possession de son véhicule au port de départ et embarque ce véhicule dans un ferry, il n’est cependant pas en charge matériellement des formalités légales afférentes à cette exportation. Le déroulement des opérations de vente et d’expédition des véhicules à l’étranger est entièrement maîtrisé par la société, qui ne livre pas le véhicule si elle n’est pas assurée qu’il embarque dans le ferry.
Ce sont les dispositions du 1° de l’article 262, I du CGI qui doivent s’appliquer au cas particulier. Celles-ci exonèrent de TVA la livraison de biens expédiés en dehors du territoire de l’UE par le vendeur ou pour son compte, sans aucune condition d’établissement relative à l’acquéreur des biens. Si des conditions supplémentaires tenant à la résidence de l’acquéreur se justifient lorsque l’expédition des biens objets de l’exportation est réalisée par l’acheteur particulier ou pour son compte, ou encore lorsque la livraison porte sur les biens à emporter dans les bagages personnels des voyageurs, celles-ci ne sont pas applicables lorsque l’expédition est réalisée par le vendeur ou pour son compte.
Conformément à la législation applicable, et aux commentaires BOFiP afférents, la société peut prétendre au bénéfice de l’exonération de TVA de ces exportations, dès lors :
-qu'elle justifie du respect de ses obligations comptables ;
-et dispose de preuves tenant à la réalité des exportations réalisées, ce que le service vérificateur ne remet pas en cause.
L’interlocuteur départemental a confirmé la position du service vérificateur à ce stade de la procédure.
Qualification de l’importateur : TVA due à l’importation
Le redressement
Une filiale américaine d’une société établie en France réalise des ventes en ligne de biens au profit de clients, personnes physiques, domiciliées en France. En pratique, les clients commandent sur la plateforme, puis les biens sont expédiés depuis les États-Unis vers la France en indiquant le nom du client comme destinataire des biens dans la déclaration en douane CN22.
Les biens sont facturés par la filiale américaine sans TVA, à charge pour le client destinataire de payer la TVA due à l’importation en France.
L’administration fiscale conteste le régime de TVA appliqué à la vente au motif, qu’en pratique, le plus souvent, le client final n’acquitte pas la TVA à l’importation. Celle-ci considère alternativement que la filiale américaine réalise une exportation :
-depuis les États-Unis et importe les biens en France avant de réaliser une livraison domestique à des personnes physiques établies en France. À cet égard, la filiale américaine devrait payer la TVA à l’importation, puis facturer de TVA au titre de la vente domestique subséquente ;
-à destination de sa maison mère française, cette dernière important les biens en France, puis réalisant une vente domestique aux clients domiciliés en France. Dans cette hypothèse, la maison mère devrait payer la TVA à l’importation, puis facturer une vente domestique de biens à destination des clients domiciliés en France avec de la TVA.
La contestation
La TVA doit être acquittée par la personne désignée comme destinataire réel des biens sur la déclaration d’importation (CGI art. 293 A). D’un point de vue pratique, le destinataire des biens est celui qui est indiqué comme tel dans la déclaration CN22. Le fait d’indiquer dans la déclaration CN22 le nom du client le rend redevable de la TVA à l’importation.
En conséquence, dès lors que la déclaration CN22 est dûment complétée en indiquant le client comme destinataire des biens, l’administration fiscale ne peut pas contester le régime de TVA applicable et c’est bien le client particulier qui est redevable de la TVA à l’importation, quand bien ce dernier n’a pas payé la TVA à l’importation en pratique.
À noter
Nous recommandons d’indiquer clairement dans les conditions générales de vente et d’utilisation que le client est redevable de la TVA à l’importation, qui demeure à sa charge, afin d’éviter tout risque de remise en cause du régime appliqué par l’administration fiscale.
Solidarité du représentant indirect en douane à l’importation
Le redressement
Dans le cadre de son activité économique, une société établie en France a réalisé des opérations d’importation en France de matériels électroniques, en utilisant les services d’un transporteur qui agit également en tant que représentant indirect en douane.
Ces opérations ont fait l’objet d’un contrôle par les services douaniers, et se sont soldées par un rappel de plus de 8 M€ de droits de douane et de 12 M€ de TVA. Les redressements portent sur le classement tarifaire et la valeur en douane des biens importés. À la suite du contrôle, les services douaniers ont adressé les avis de mise en recouvrement à la fois à la société importatrice et au représentant en douane qui est solidairement tenu au paiement de la dette douanière et fiscale. La société importatrice est placée en situation de redressement judiciaire par le tribunal de commerce.
La contestation
La société importatrice a contesté au fond les redressements effectués par les services douaniers et a porté l’affaire devant les tribunaux compétents.
En parallèle, la société a déposé auprès de l’administration fiscale une demande de compensation portant sur le montant des rappels de TVA afin d’éviter d’avoir à acquitter une TVA sur les opérations d’importation, alors que cette TVA est par ailleurs entièrement déductible. Ce paiement des droits, au vu des montants en jeu et du placement sous procédure collective de la société, mettrait certainement en péril l’existence même de la société.
De son côté, le transporteur, solidaire de la dette fiscale et douanière en sa qualité de représentant indirect en douane, a entrepris des démarches pour limiter les conséquences des redressements aux droits de douane, évoquant le fait que cette solidarité est contraire au principe de neutralité de la TVA.
Si l’enjeu TVA sur les opérations en question est neutre pour les finances publiques, en l’état du droit, le transporteur solidaire au paiement des droits ne dispose pas corrélativement d’un droit à déduction lui permettant de neutraliser l’impact des rappels, puisqu’il n’est pas l’importateur en titre, seul susceptible de déduire la TVA en douane. Le contribuable proposera sans doute au juge de l’impôt, si le contentieux prospère, de saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle à ce titre.
Les perspectives
Cette affaire met en exergue le fait que la concurrence de deux administrations distinctes pour recouvrer la TVA en douane, d’une part, et la déduire, d’autre part, engendre des problématiques qui n’existent pas dans le régime intérieur.
À compter du 1er janvier 2022, ces difficultés devraient être levées du fait de la généralisation du mécanisme de paiement déduction simultané (voir « Dictionnaire Fiscal » RF 2021, § 14095).
Le redevable devrait être en mesure de déclarer la TVA rappelée sur les opérations d’importation en même temps que la TVA déductible afférente, neutralisant ainsi l’effet de trésorerie. La généralisation du mécanisme de paiement déduction simultané s’accompagne de fait d’une limitation de la solidarité du représentant indirect en douane au plan de la TVA.
Au plan contentieux, c’est le mécanisme de solidarité qui pourrait être remis en cause, eu égard à sa potentielle non-conformité au droit européen. Comment peut-on être astreint à la collecte de la TVA en douane en qualité de redevable solidaire, hors cas de fraude, sans être en droit de la déduire ?
Base d’imposition
Livraison à soi-même et régularisation globale
Le redressement
Une société a acquis un immeuble, qu’elle a démoli et reconstruit à neuf, en vue de son exploitation commerciale (activité de para-hôtellerie soumise à la TVA). La construction nouvelle a fait l’objet d’une livraison à soi-même (LASM), mentionnée sur la déclaration de TVA de la société du mois de novembre 2014 (déduction totale du montant de TVA correspondant à la LASM), conformément à l’article 257 du CGI en vigueur à la date des faits, qui imposait de constater des LASM au titre des opérations « pouvant donner lieu à régularisation ».
En 2019, la société a cédé l’immeuble. Cette cession, n’ayant pas été soumise à la TVA, a fait l’objet d’une régularisation globale de la TVA antérieurement déduite au titre de la LASM pour la période de régularisation restant à courir (CGI, ann. II art. 207).
À l’issue de son contrôle, le service vérificateur a prononcé des rappels de TVA correspondant à une partie de la TVA antérieurement déduite par la société au titre de la LASM constatée à la suite de la construction de l’immeuble neuf. Ce service a remis en cause les modalités de calcul retenues par la société dans le cadre de la régularisation globale au motif que ce calcul n’incluait pas la totalité du coût des travaux.
La contestation
Afin de contester le redressement, la société soutient que :
-l’obligation pour les assujettis récupérateurs de la TVA de constater une LASM au titre de l’affectation des biens « pouvant faire l’objet d’une régularisation » en vigueur à la date des faits était contraire à la directive TVA ;
-la société n’avait donc pas à constater de LASM lors de l’achèvement de son immeuble neuf (dépôt en mairie de la déclaration). En d’autres termes, la société n’avait ni à collecter, ni à déduire de TVA au titre de la construction de l’immeuble.
En conséquence, les rappels d’une partie de la TVA déduite par la société au titre de la LASM, dont le fondement résultait d’une disposition contraire au droit européen, sont infondés.
TVA en douane – Travaux d’études et d’ingénierie (Nouvelle-Calédonie)
Remarque préliminaire
Les dispositions applicables en matière douanière à l’importation en Nouvelle-Calédonie sont quasi-identiques à celles en vigueur au sein de l’UE. La taxe générale sur la consommation (TGC) perçue à l’importation est l’équivalent de la TVA dans l’UE. Le redressement ainsi que les axes de contestation repris ci-après pourraient donc s’appliquer en France ou dans l’UE dans une situation similaire.
Le redressement
Une société établie en Nouvelle-Calédonie a réalisé les travaux de construction d’un magasin. Pour les besoins de la construction de cet immeuble, elle a acquis les terrains et signé les contrats de construction avec différents prestataires impliquant l’importation de biens meubles et de matériaux de construction. La société a agi en qualité de maître d’ouvrage. Elle était le preneur des travaux immobiliers réalisés par ses différents prestataires.
Pour des raisons pratiques, la société a agi en qualité d’importateur pour le compte de l’un de ses prestataires non établi localement, s’agissant de l’importation des matériaux de construction.
Le service vérificateur a contesté l’assiette des droits de douane et de la TGC pour les matériaux de construction importés, au motif que celle-ci devrait comprendre le coût des travaux d’études et d’ingénierie réalisés pour les besoins de la construction de l’immeuble.
Le service fonde sa position sur les dispositions du code des douanes de Nouvelle-Calédonie selon lesquelles :
« 1 - Pour déterminer la valeur en douane par application de l’article 19-1, on ajoute au prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises importées : a - Les éléments suivants, dans la mesure où ils sont supportés par l’acheteur mais n’ont pas été inclus dans le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises : IV - Travaux d’ingénierie, d’étude, d’art de design, plans et croquis exécutés ailleurs qu’en Nouvelle-Calédonie et nécessaires pour la production des marchandises importées ».
La société s’est rapprochée de ses différents prestataires de services/fournisseurs afin d’obtenir le détail des valeurs déclarées en douane à l’importation. Ces derniers ont établi sous la forme d’une attestation un détail des coûts et du revient des matériaux importés.
Malgré les éléments de réponses apportés, le service vérificateur a reconstitué la valeur en douane des marchandises importées sur le fondement des dispositions des articles 19-1 et 19-7 du code des douanes de Nouvelle-Calédonie, conduisant à un redressement.
La contestation
Afin de contester le redressement, la société avance plusieurs arguments.
En application des textes en vigueur, seuls les frais d’études réalisées en dehors de la Nouvelle-Calédonie qui se rapportent aux marchandises importées peuvent être incorporés dans la valeur en douane, s’ils sont facturés séparément ou ne sont pas déjà intégrés dans le prix du produit.
Il y a lieu de distinguer les prestations afférentes à l’ingénierie technique rattachée à chaque bien importé, des travaux de conception générale ou d’études d’ensemble du projet immobilier, ainsi que ceux afférents à l’exécution des travaux sur place, qui ne sont pas concernés par la valeur en douane à l’importation.
Si (par extraordinaire) les fournisseurs avaient réalisé des travaux d’ingénierie nécessaires à la production des marchandises importés, la valeur de ces prestations serait d’ores et déjà comprise dans le prix des biens fournis, sauf à vouloir considérer que ces fournisseurs, tous tiers à la société contrôlée, facturent des biens et matériaux pour un prix ne comprenant pas leur valeur incorporelle, ce qui serait un non-sens économique. Tel est le cas par exemple de la fabrication des charpentes et des structures métalliques, qui a nécessité des études intégrées dans le coût de production.
Les études réalisées qui ne concernent pas la fabrication ou la production de la marchandise importée ne sont pas à comprendre dans la valeur en douane.
Le centre commercial n’ayant pas pu être importé déjà construit, les prestations générales liées à sa construction ne peuvent être considérées comme se rapportant à des biens importés.
Le service vérificateur a maintenu sa position et proposé un règlement transactionnel à la société. Cette dernière a été contrainte d’accepter le redressement en raison de la difficulté pratique nécessitant de recourir à la coopération d’un opérateur tiers (le prestataire fabricant des biens importés) pour les besoins de sa défense et son argumentation dans l’hypothèse d’un contentieux. La société contrôlée n’étant pas le fabricant des matériaux de construction importés, celle-ci n’était pas en mesure de produire les éléments chiffrés nécessaires.
À noter
Ce redressement met en exergue l’importance pour un assujetti de ne pas agir en qualité d’importateur, s’il n’est pas en capacité de maîtriser les éléments clés de l’importation en douane.
Ventes en filières
Le redressement
Certains opérateurs français du secteur agroalimentaire réalisent des ventes en filière.
Les ventes en filière sont la résultante de contrats successifs de gré à gré, de conditions contractuelles strictement identiques, à l’exclusion du prix, conclus sur le marché libre et mis en filière. Les opérateurs ayant acheté et revendu successivement le même lot s’accordent afin que ces biens soient directement livrés du premier vendeur au dernier acheteur.
Le régime de la TVA appliqué n’est pas uniforme. Certains professionnels considèrent que le régime de TVA applicable est celui d’une livraison de biens, d’autres celui d’une prestation de services, d’autres enfin celui d’une indemnité hors du champ d’application de la TVA.
Eu égard au caractère particulier de ces transactions, la doctrine administrative admet l’application d’un régime de TVA sur la marge pour les intermédiaires de la filière (BOFiP-TVA-BASE-10-20-10-§§ 410 et 420-07/08/2019).
Les opérateurs appliquent pour la plupart ce régime de marge, mais en l’adaptant et en s’éloignant donc de la lettre de la doctrine (en prenant en compte la différence entre le prix le plus bas de la filière et le prix de vente, plutôt que la véritable marge opérationnelle). Dans ce contexte, l’administration fiscale a redressé un opérateur en justifiant son redressement sur le fondement de cette doctrine administrative.
La contestation
La société a contesté le redressement avec les arguments suivants :
-celle-ci et les autres opérateurs n’appliquaient pas à la lettre la doctrine administrative entendue comme une doctrine de faveur (calcul de marge par différence), dès lors que la jurisprudence européenne n’est pas alignée sur cette doctrine. L’administration ne peut donc pas redresser sur le fondement de cette doctrine de faveur, si les opérateurs ne s’en sont pas clairement prévalus ;
-la doctrine administrative est opposable uniquement à l’administration (LPF art. L. 80 A). Celle-ci ne peut pas motiver son redressement sur la base de sa propre doctrine si la jurisprudence de la CJUE ou la directive TVA lui sont clairement opposées.
À noter
En définitive, l’administration fiscale a abandonné le redressement au stade du recours hiérarchique, faisant droit aux arguments de la société.
Une réforme globale du régime va en découler prochainement.
Taux de TVA
Taux de 5,5 % applicable aux livres et aux offres composites
Le redressement
L’administration fiscale a remis en cause l’application du taux réduit de TVA de 5,5 % aux offres composées d’un livre et d’un produit accessoire (CD, DVD, clé USB, etc.) et certains produits d’édition tels que les almanachs, calendriers, les albums photos ou les coloriages. Celle-ci considère :
-soit que la société aurait dû ventiler les taux de TVA applicables (livre à 5,5 % et produit accessoire à 20 %) en ce qui concerne les offres composées d’un livre et d’un produit accessoire ;
-soit que la société aurait dû appliquer le taux de TVA de 20 %, en ce qui concerne les produits ne répondant pas à la définition fiscale du livre.
Compte tenu du nombre de références dont était composée la base des produits de la société, l’administration, pour notifier son redressement, a procédé par échantillonnage en réalisant une recherche par mot-clé. À titre d’exemple, les produits dont l’intitulé incluait la mention « CD » ou « calendrier » ont été soumis au taux standard de TVA de 20 %, sans qu’une justification produit par produit ne soit apportée par le service des impôts dans sa proposition de rectification.
La contestation
Taux de TVA applicable aux ventes de livres
Rappelons que, pour être considéré comme un livre au sens de la réglementation TVA, un ouvrage doit remplir les conditions cumulatives suivantes :
-être constitué d’éléments imprimés (ou possiblement sur tout type de support physique, y compris ceux qui sont fournis par téléchargement et les livres audio) ;
-reproduire une œuvre de l’esprit ;
-ne pas présenter un caractère commercial ou publicitaire marqué ;
-ne pas contenir un espace important destiné à être rempli par le lecteur.
Taux de TVA applicable aux offres composites
Lorsque des opérations passibles de taux différents font l’objet d’une facturation globale et forfaitaire, il appartient au redevable de ventiler les recettes correspondant à chaque taux, de manière simple et économiquement réaliste, sous sa propre responsabilité et sous réserve du droit de contrôle de l’administration fiscale. À défaut d’une telle ventilation, le prix doit être soumis dans sa totalité au taux normal.
Méthode erronée conduisant à renverser la charge de la preuve
Au cas particulier, la société a contesté la totalité du redressement dès lors que la méthode utilisée par l’administration fiscale ne permettait pas de justifier le redressement avec une précision suffisante.
En effet, le seul fait qu’un produit soit intitulé « calendrier » ne permet pas de justifier que ce dernier ne remplit pas les critères nécessaires pour être qualifié de livre au sens de la réglementation TVA. Par ailleurs, le fait que la base produits mentionne « livre + CD » ne permet pas de justifier que ce produit ne peut pas être soumis au taux réduit de TVA dès lors que les livres audio sont également soumis au taux réduit de TVA.
Dans ce contexte, la méthode utilisée par l’administration fiscale conduit à inverser la charge de la preuve, en mettant la société dans l’obligation de justifier ligne par ligne le redressement qui lui a été notifié. Or, c’est à l’administration fiscale qu’incombe en principe l’obligation de justifier son redressement de manière suffisamment précise.
Cet argument est renforcé par le fait que, pour plusieurs entités du groupe auquel appartient la société ayant fait l’objet du contrôle fiscal, les mêmes références de produits ont été parfois comprises, parfois non comprises dans les redressements notifiés. Cette incohérence souligne que la méthode utilisée par l’administration fiscale pour justifier son redressement n’est pas pertinente au cas d’espèce.
À noter
Compte tenu de ce qui précède, les commentaires suivants peuvent être formulés :
-il convient de contester toute méthode de redressement qui ne permet pas à l’administration fiscale d’atteindre le niveau de précision nécessaire pour justifier sa proposition de rectification et qui conduirait à inverser la charge de la preuve ;
-au cas particulier des offres composites dans le secteur de l’édition, les nouvelles dispositions de la loi de finances pour 2021 (loi 2020-1721 du 29 décembre 2021, art. 44 ; CGI art. 257 ter nouveau ; voir FH 3872, § 7-1) limitent significativement la possibilité, pour l’administration fiscale, de justifier un tel redressement. En effet, celle-ci devra désormais être en mesure d’apporter la preuve, pour soumettre l’offre composite au taux standard, que le produit principal n’est pas le livre, mais l’objet qui l’accompagne.
Application du taux intermédiaire de 10 % aux opérations effectuées dans le secteur des huiliers (suite et fin)
Le redressement
Dans cette affaire, déjà évoquée lors de la précédente journée « TVA comprise » (voir FH 3841, §§ 5-9 et 5-10), l’administration fiscale a remis en cause l’application du taux intermédiaire de TVA de 10 % à des opérations de ventes réalisées par une société française spécialisée dans le négoce de céréales, de semences, d’engrais et de produits chimiques nécessaires aux exploitants agricoles.
Les opérations concernées sont les suivantes :
-ventes de semences traitées aux fongicides (l’administration considérant que les produits agricoles ont subi une transformation, rédhibitoire pour l’éligibilité au taux réduit) ;
-ventes de graines et céréales utilisées dans la production d’huiles végétales, mais potentiellement aussi de biocarburant (graines vendues non-exclusivement pour les besoins de l’alimentation humaine, contrairement au texte d’éligibilité au taux réduit).
La société a également été redressée s’agissant d’un défaut de mentions obligatoires sur des factures d’avoir émises (la référence au numéro et à la date de la facture initiale faisait défaut).
La contestation
Taux de TVA applicable aux ventes de semences traitées aux fongicides
Les semences traitées aux fongicides vendues par la société doivent bénéficier du taux intermédiaire de 10 % en qualité de produits agricoles non transformés car le traitement des semences n’a pas pour effet de les transformer, mais leur permet, au contraire, de les aider à remplir leur fonction première, c’est-à-dire celle de la reproduction végétative.
Il convient également de noter que ni le CGI ni la doctrine fiscale ne donnent de définition précise de la notion de transformation.
Taux de TVA applicable aux ventes de graines et céréales utilisées dans la production d’huiles végétales
Les graines et céréales vendues par la société doivent bénéficier du taux intermédiaire de 10 % étant initialement et normalement toujours destinées à être utilisées dans la préparation de denrées alimentaires ou dans la production agricole, quand bien même ces produits seraient « in fine » affectés au secteur du biocarburant, à l’issue de leurs différentes étapes de transformation, plusieurs maillons en aval dans la chaîne économique. De plus, la société, au moment de la vente des produits aux clients, n’en connaît que la première destination, celle-ci étant obligatoirement alimentaire ou agricole. La destination finale qui sera réservée par les clients aux produits à l’issue de leurs différentes étapes de transformation est en pratique inconnue par la société. Ainsi, au moment de la vente, celle-ci se trouve dans l’incapacité de savoir que les produits seront finalement utilisés dans la production de biocarburants.
Défaut de mentions obligatoires
La société conteste ce redressement en fournissant un tableau comprenant la liste des avoirs émis sur la période vérifiée. Cela a permis d’affiner le calcul et donc de diminuer le montant de l’amende prononcée à l’encontre de la société (la pénalité appliquée étant de 15 € par mention manquante par facture).
La décision
L’administration fiscale a abandonné en totalité les redressements prononcés à l’encontre de la société s’agissant de l’application du taux intermédiaire de TVA de 10 % à l’ensemble des produits vendus (ventes de semences et ventes de graines).
Celle-ci a souhaité maintenir en totalité l’amende fiscale retenue pour défaut de mentions obligatoires sur les factures d’avoir émises.
La société a déposé une demande de remise gracieuse des pénalités, notamment en raison de la crise sanitaire et des difficultés financières causées par celle-ci. Sur la base des arguments invoqués par la société, l’administration fiscale a consenti à réduire de moitié l’amende fiscale prononcée.
Le montant final des redressements est donc passé de plusieurs centaines de milliers d’euros à quelques milliers.
Taux de TVA applicable aux produits alimentaires
Le redressement
Une société est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de sushis et de plats asiatiques à emporter. À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause l’application par la société du taux réduit de 5,5 % applicable à la vente de produits alimentaires à emporter et y a substitué le taux de 10 % relatif aux ventes de produits alimentaires destinés à une consommation immédiate.
Pour ce faire, le service vérificateur soutient que le conditionnement révèle que les produits sont destinés à une consommation immédiate dès lors que :
-les employés préparent au fur et à mesure les sushis qui constituent des produits fragiles ne pouvant être préparés longtemps à l’avance, s’ils ne sont pas placés sous un emballage permettant leur conservation (sous vide, surgelés, conserves),
-et que les sushis sont conditionnés dans des barquettes ne permettant pas leur conservation.
La contestation
Afin de contester le redressement, la société soutient que seules les conditions suivantes doivent être satisfaites pour l’application du taux de 5,5 % :
-les produits sont destinés à l’alimentation humaine ;
-ils sont destinés à une consommation différée.
Aucune condition mentionnant le type de conditionnement admis n’est prévue par le législateur, de sorte que l’administration ne peut légitimement soutenir que seuls les conditionnements sous vide, en conserve ou la congélation permettent une consommation différée.
Les produits vendus par la société ont une date limite de consommation d’un à trois jours, permettant ainsi leur consommation différée. Ce court délai n’est pas lié au conditionnement des produits mais à leur nature, puisque les sushis sont principalement constitués de poisson cru, dont la date limite de consommation serait identique voire plus courte si les produits étaient acquis directement auprès d’un poissonnier.
L’activité de la société est assimilable à celle des traiteurs effectuant des ventes à emporter et bénéficiant du taux réduit de 5,5 %, à moins d’instaurer une condition relative à l’origine ethnique des plats proposés à la vente.
Droits à déduction de la TVA
La société savait ou ne pouvait ignorer la fraude de ses fournisseurs
Le redressement
Une société de droit français exerce une activité d’achat / revente de minutes téléphoniques. Elle a fait l’objet d’une procédure de visite et de saisie domiciliaire par la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), qui soupçonne des fraudes dans le secteur. À l’occasion de cette perquisition, deux courriels ont notamment été relevés, parmi une grande masse de données. Il s’agissait de courriels internes par lesquels des salariés de la société faisaient état de changements de domiciliation et de raison sociale de deux fournisseurs, potentiellement pour des raisons fiscales.
À l’issue d’une vérification de comptabilité faisant suite à cette perquisition, le service vérificateur a émis une proposition de rectification, refusant à la société son droit à déduction de la TVA grevant l’ensemble des factures émises par ces fournisseurs, au titre des prestations de télécommunications rendues. Le service vérificateur mettait en avant l’existence d’une fraude à la TVA des fournisseurs et d’autre part, prétendait que la société « savait ou ne pouvait ignorer » que par ses acquisitions de minutes, elle participait à la fraude consistant pour les fournisseurs à ne pas reverser la taxe due.
Le tribunal administratif a confirmé le redressement notifié, considérant que la société ne pouvait ignorer qu’elle participait à des opérations relevant d’une fraude à la TVA, au motif que :
-les fournisseurs, n’avaient pas accompli leurs obligations déclaratives en matière de TVA, et avaient mis en place un schéma de fraude à la TVA en ne reversant pas la TVA qu’elles avaient facturée ;
-la société avait nécessairement connaissance de cette situation, puisque durant la procédure de visite domiciliaire, ont été relevés des courriels de salariés, dans lesquels ces derniers faisaient état de soupçons sur la moralité fiscale de ces deux fournisseurs ;
-ces fournisseurs, dont certains dirigeants étaient communs et les activités étaient liées, procédaient à de fréquentes modifications sociales, en l’occurrence des changements de dirigeants, de siège social, y compris en recourant parfois à des adresses de domiciliation ;
-la société n’établissait pas qu’elle avait cherché à rencontrer les dirigeants de ses fournisseurs, se contentant de traiter commercialement avec un intermédiaire tiers n’appartenant à aucune des deux sociétés, mais ayant fait le lien avec elles.
La contestation
En vertu des textes et de la jurisprudence applicables, l’administration doit apporter la preuve, sur la base d’éléments objectifs incontestables, que l’acquéreur avait connaissance de la fraude de son fournisseur. À défaut, elle doit apporter la preuve que celui-ci ne pouvait pas l’ignorer, donc que les éléments de fait réunis sont tels, que l’opérateur ne peut valablement pas prétendre avoir méconnaissance de la fraude.
Cette démonstration nécessite la réunion d’un faisceau d’indices sérieux, nombreux et concordants. Au cas d’espèce, lors de la procédure en appel, la société n’a pas remis en cause l’existence d’une fraude commise par les fournisseurs, matérialisée par le non-reversement de la TVA collectée.
L’enjeu du contentieux portait donc sur la deuxième composante de la démonstration, à savoir établir que les éléments réunis par le service vérificateur ne suffisaient pas à prouver que la société savait ou ne pouvait ignorer être impliquée dans cette fraude.
La stratégie adoptée a été la suivante :
-dans un premier temps, contester fermement l’argument de l’administration tendant à considérer que la société avait connaissance de la situation de ses fournisseurs, eu égard à la teneur des deux courriels. En effet, si ces derniers faisaient état d’un certain étonnement s’agissant des changements d’adresse et de dénomination sociale des fournisseurs, ceux-ci étaient susceptibles d’être interprétés de manière très différente, n’étaient pas explicites et ne pouvaient suffire à établir la connaissance d’une fraude à la TVA par la société ;
-à défaut de tels éléments, alors que l’administration considérait apporter valablement la preuve que la société ne pouvait ignorer la fraude, à l’aide de son faisceau d’indices précis et concordants précité, la société a procédé à un examen exhaustif de la jurisprudence des juges du fond sur 5 ans, ayant retenu la responsabilité d’assujettis dans de telles circonstances. Un tableau des critères retenus a été établi, en nombre, en moyenne et en importance, avant de faire la démonstration que la société ne remplissait pas ces critères. En effet, dans les décisions analysées, chaque fois qu’un assujetti a été réputé ne pas ignorer participer à une fraude par le juge de l’impôt, les éléments rassemblés à son encontre étaient nombreux, non-équivoques et s’inscrivaient dans des contextes très « criminogènes », ce qui n’était pas le cas en l’espèce (en moyenne 5 à 6 indices convergents contre 2 en l’espèce).
La cour administrative d'appel de Versailles a ordonné l’abandon total des rappels de TVA (CAA Versailles 3 mars 2020, n° 18VE00585).
Primes d’économie d’énergie
Le redressement
Une société française est spécialisée dans les opérations d’économies d’énergie. Cette société est un « obligé » au sens du code de l’environnement, qui verse à des partenaires des « primes d’économie d’énergie » (donc des incitations financières) afin de les accompagner dans la réalisation de travaux déclenchant des économies d’énergie, sur la base des factures adressées par les prestataires réalisant chez les clients les travaux éligibles. Le versement de ces primes permet à la société d’obtenir des certificats d’économie d’énergie dont elle peut ensuite faire le négoce soumis à la TVA, et ainsi de répondre aux obligations imposées par le code de l’environnement.
L’administration fiscale a remis en cause la TVA grevant les factures de prestataires de travaux, représentatives des primes d’économie d’énergie pour les motifs suivants :
-les primes d’économie d’énergie versées par l’obligé ne constitueraient pas la contrepartie directe de biens ou de services utilisés par l’obligé, en lien direct avec ses propres opérations imposables ;
-la TVA grevant ces primes ne pourrait, dès lors, pas être admise en déduction.
La contestation
Sur le terrain de la loi fiscale
La prime versée par la société constitue la contrepartie du service rendu par le partenaire qui réalise des travaux éligibles aux économies d’énergie et qui transmet à l’obligé un dossier complet (informations et documents relatifs à ces travaux permettant à la société d’obtenir des certificats d’économie d’énergie).
En outre, la prime versée présente bien un lien direct et immédiat avec l’activité économique de la société (si elle ne verse pas ses primes, elle ne peut obtenir les certificats dont elle fait ensuite le négoce).
Sur le terrain de la doctrine administrative
Une note de la direction de la législation fiscale publiée sur le site du ministère de l’écologie et du développement durable en date du 16 janvier 2020 prévoit expressément que « les sommes versées par les financeurs aux porteurs constituent la contrepartie de la fourniture de prestations de services imposables à la TVA effectuées par les porteurs. […]. Les financeurs sont également fondés à opérer la déduction de la taxe grevant les prestations fournies par les porteurs dans les conditions de droit commun prévues aux articles 271 et suivants du CGI ».
La société relève également l’opposabilité de la doctrine administrative sur l’absence de condition de propriété des biens ou des services acquis aux fins de la déduction de la TVA, dont les exemples cités par la doctrine administrative s’appliquent au cas d’espèce (exemple des réparations sous garanties) (BOFiP-TVA-DED-40-40-§§ 190 et s.-12/09/2012 ; CE 13 octobre 1986, n° 52501, « Labo Industries » ).
Sur le terrain de la jurisprudence communautaire
La CJUE a retenu qu’un assujetti est en droit de récupérer la TVA grevant des travaux dans la mesure où les dépenses qu’il expose sont liées à l’exercice de son activité économique, peu importe, à ce titre, que les dépenses bénéficient à une personne tierce (CJUE 14 septembre 2017, n° C/132-16, Iberdrola Immobiliaria ; CJUE 1er octobre 2020, C-405/19, Vos Aannemingen BVBA).
TVA immobilière
Cession d’immeuble non soumise à la TVA
Une société a fait l’acquisition de terrains afin d’y faire construire une usine. Après avoir effectué de nombreux travaux de viabilisation, la société fait face à différents contentieux administratifs l’empêchant de mener à bien son projet. Dans ce contexte, la société a cédé les terrains à une collectivité, cession que le notaire en charge du dossier n’a pas soumise à TVA. Après la réalisation de l’opération, les équipes de la société identifient que la cession aurait dû être soumise à la taxe. Par conséquent, la société identifie un risque de redressement à plusieurs égards :
-au titre de la cession des terrains, dès lors qu’elle a été réalisée sans TVA ;
-au titre des travaux immobiliers qui ont été immobilisés.
En effet, la société devrait avoir reversé la TVA par 20e sur les coûts supportés.
Avant tout contrôle, et sans préjudice de la responsabilité potentielle du notaire, la société souhaite régulariser la situation en reversant la TVA à l’État, sans toutefois diminuer la marge résultant de la cession des terrains.
Procédure de régularisation
À défaut de mention HT ou TTC, le prix est en principe réputé toutes taxes comprises (CE 14 décembre 1979, n° 11798, Comité de propagande de la banane). D’un point de vue civil, la Cour de cassation juge en revanche que les prix s’entendent HT entre commerçants (cass. com. 9 janvier 2001, n° 97-22.212, Méditerranée Poids Lourds). Dans la mesure où l’acquéreur est une entité de droit public, donc non commerçante, la jurisprudence civile rejoint la jurisprudence administrative. Ainsi la modification du prix implique d’obtenir le consentement de l’acheteur car la TVA ne peut venir en sus du prix fixé par les parties.
Dans ce contexte, en l’absence d’accord de la collectivité, la société devrait calculer la TVA au sein du prix, diminuant d’autant sa marge.
Après avoir réalisé une étude des actes d’acquisition des terrains, la société a identifié que les terrains n’avaient pas été soumis à la TVA à l’achat. Ainsi, la base imposable devait être la marge.
Après négociation, la société obtient que collectivité consente à verser un supplément de TVA, lui permettant ainsi de sauvegarder sa marge.
Afin de régulariser la situation, le notaire et les parties doivent modifier l’acte et le présenter à l’enregistrement. La société pourra ainsi reverser la TVA et éviter toute pénalité ou régularisation sur la TVA déduite. Cela pourra toutefois entraîner le versement d’intérêts de retard à taux réduit en cas de contrôle.
Pénalités et procédures
Pénalité pour manquement délibéré
Le redressement
Une société de droit étranger a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au cours de laquelle le service des impôts a mis en exergue des discordances significatives.
La société a suivi la méthode de comptabilisation de la TVA sur la base de la date d’émission des factures. Ainsi, pour chaque facture émise par la société, la TVA a été comptabilisée au moment de l’enregistrement de la facture en comptabilité. Toutefois, aux fins du paiement de la TVA exigible, la méthode de la comptabilité de caisse a été suivie. La société a retenu au titre de la procédure de comptabilisation et de déclaration de la TVA, les informations émanant du système SAP, en relation avec les factures apurées. Cependant, une erreur s'est produite dans le cas où le paiement a été crédité sur le compte bancaire de la société, mais pour lesquels le détail des factures correspondantes était soit inconnu, soit non fourni par le client au moment du paiement à la société.
Le service a procédé à un rappel de TVA collectée d’un montant de 860 000 €, résultant de l’écart existant entre la méthode d’exigibilité de la TVA retenue par la société et la méthode de comptabilisation appliquée aux factures de prestations de services y afférentes.
Le rappel de TVA a été accompagné de l’intérêt de retard et de la pénalité pour manquement délibéré de 40 %, le service estimant qu’il était impossible, au regard de l’importance du montant rappelé, que la société n’ait pas eu conscience de la faiblesse de la TVA collectée déclarée.
La contestation
La société accepte l’intégralité des rappels proposés par le service, ainsi que l’intérêt de retard. Celle-ci conteste cependant la pénalité pour manquement délibéré de 40 % pour les raisons suivantes :
-le service ne motive pas l’application de la majoration pour manquement délibéré et fait découler de l’importance du montant de TVA rappelé l’élément intentionnel ;
-la société a commis une seule erreur dans le régime comptable et d’exigibilité à appliquer aux prestations qu’elle réalise, l’erreur ayant d’ailleurs été presque intégralement commise au titre d’un seul exercice ;
-l’erreur, commise de bonne foi et ayant conduit au rappel de TVA, a été immédiatement reconnue par la société dès qu’elle a été portée à sa connaissance par le service. La société avait même entamé une revue de ces opérations et entendait régulariser sa situation lorsque le contrôle fiscal a débuté.
Prescription de l’action en recouvrement
Le redressement
Une société établie en Martinique exerce une activité de livraison et d’installation de modules de chantier (de type « ALGECO »). La société a facturé l’ensemble de ses prestations en exonération de TVA, par application des spécificités locales. Le service des impôts conteste le traitement TVA appliqué à la livraison, ainsi que la prestation de pose de ces modules, estimant que l’ensemble de ces prestations doit être considéré comme revêtant le caractère de travaux immobiliers, soumis à la TVA.
Malgré la réponse à la proposition de rectification adressée par la société (datée du 21 février 2012), le service vérificateur a maintenu les rectifications par un courrier daté du 14 décembre 2012.
Un avis de mise en recouvrement (AMR) a été adressé à la société le 14 janvier 2013. Une réclamation contentieuse assortie d’une demande de sursis de paiement a été adressée par la société au service le 18 février 2013, complétée par un second courrier daté du 9 septembre 2013.
Le service a rejeté la réclamation qui lui avait été adressée par un courrier en date du 21 avril 2020, soit plus de sept ans plus tard.
Pour rappel, par application de l'article L. 274 du Livre des procédures fiscales, l'action en recouvrement est prescrite si le comptable public n'a fait aucune poursuite contre un contribuable retardataire pendant quatre années consécutives, à partir du jour de la mise en recouvrement.
En principe, la réclamation préalable adressée au service n’interrompt pas l’exécution de l’avis de mise en recouvrement (et donc le délai de prescription afférent), sauf si elle est assortie d’une demande de sursis de paiement.
La demande de sursis formulée par la société met le comptable dans l’impossibilité d’agir et suspend la prescription de l’action en recouvrement, jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la réclamation, soit par l’administration, soit par le tribunal compétent.
S’agissant de la notion de « décision définitive », la réclamation ne peut être analysée comme ayant fait l’objet d’une décision implicite de rejet susceptible de devenir définitive, à défaut d’être contestée devant la juridiction compétente à l’expiration du délai de six mois.
La réclamation déposée par la société le 18 février 2013 n’a jamais cessé de produire ses effets. Il en résulte que l’action en recouvrement du service des impôts n’est pas prescrite et justifie que ce dernier puisse, même sept années plus tard, procéder au rejet de la réclamation préalable lui ayant été adressée. Les pénalités de recouvrement ont donc continué à courir pendant sept ans, jusqu’au rejet de cette réclamation.
La contestation
La société ne conteste plus le fond de l’affaire. Un arrêt rendu postérieurement par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris 26 septembre 2019, n° 17PA20052) tend à donner raison à l’administration au fond.
Toutefois, la société sollicite et obtient une remise partielle des intérêts de retard et une remise totale des pénalités de recouvrement, pour les motifs suivants.
Le litige opposant la société au service résulte d’une divergence d’interprétation de la loi fiscale, et non de la commission d’une infraction ou d’une fraude de la part de la société. À titre de bonne foi, cette dernière s’est conformée, pour l’avenir, à la position adoptée par le service, soumettant ainsi l’ensemble de ses prestations de pose et de livraison de modules, à la TVA.
La société, malgré le contexte particulier de l’affaire, a procédé au paiement des droits dès réception de la mise en demeure de payer. Elle a continuellement fait preuve de civisme fiscal dans le cadre de son activité, se conformant dûment à ses obligations déclaratives et de paiement.
L’importance du montant des pénalités de recouvrement (supérieur à 25 % des droits rappelés) s'explique par le fait que le rejet de la réclamation est intervenu plus de sept ans après sa notification, les pénalités de recouvrement ayant ainsi continué à courir sur plus de 114 mois. Or, au cas particulier, le préjudice financier subi par le Trésor résulte, en grande partie, du manque de diligence du service des impôts.
Si le service n’est effectivement soumis à aucun délai pour procéder au rejet de la réclamation, il n’en reste pas moins redevable d’un certain devoir de loyauté vis-à-vis du contribuable, d’autant plus lorsque les intérêts de retard continuent à courir.
En raison de la crise sanitaire actuelle, la société rencontre des difficultés économiques majeures, car celle-ci doit faire face à une baisse significative de son chiffre d’affaires, tout en assurant le paiement de nombreuses charges afin de maintenir son activité et ses emplois. Le montant des pénalités, au cas particulier, se révèle être disproportionné et risque de placer la société dans une situation financière délicate.
Assujettissement à l’octroi de mer interne
Le redressement
Des sociétés établies dans les départements de Guadeloupe et de Martinique font l’objet de demandes d’identification à l’octroi de mer interne de la part de l’administration des douanes, au titre de leur activité de restauration sur place et à emporter, de leur activité de boulangerie et de pâtisserie. L’administration des douanes considère que les activités de restauration traditionnelle sur place ou à emporter, de boulangerie et de pâtisserie sont des activités de production au sens de l’octroi de mer interne.
Les sociétés visées par ces procédures contestent leur assujettissement à l’octroi de mer interne.
Pour rappel, sont assujetties à l’octroi de mer interne, les opérations de fabrication, de transformation ou de rénovation de biens meubles corporels ainsi que les opérations agricoles. Les activités de négoce (achat et revente de biens en l’état) ou de prestations de services sont exclues du champ d’application de l’octroi de mer interne.
Tous les opticiens des Antilles, de La Réunion et de Guyane sont également visés, au motif qu’adapter des verres dans une monture s’analyserait en une activité d’assemblage, assimilée à une transformation ou à une production.
La contestation
Les sociétés considèrent qu’elles n’exercent pas une activité de production au sens de l’octroi de mer interne pour les motifs suivants :
-les opérations réalisées par les sociétés ne sont ni des opérations de fabrication ni des opérations de transformation. L’activité des sociétés doit s’analyser, non comme une activité de production, mais comme une activité de services visant à fournir aux clients des aliments à consommer immédiatement (ou à adapter des verres à une monture) ;
-cette interprétation s’inscrit dans le cadre des arrêts de la Cour de cassation, indiquant qu’il s’agit d’activités dites « d’apprêt » dont les manipulations concourent à rendre les aliments propres à une consommation immédiate (cass. com. 16 février 2016, n° 14-16666, Bameli ; cass. com. 16 février 2016, n° 14-16667, Sadeco ; cass. com. 16 février 2016, n° 15-13816, Arcos Dorados) ;
-de telles activités sont des prestations de services exclues du champ d’application de l’octroi de mer interne. Cette position a, en outre, été réaffirmée par la Cour de cassation, laquelle retient que les sociétés procèdent, pour l’élaboration des repas de restauration collective, à de simples découpes et assemblages, voire à la cuisson, de produits alimentaires qu’elles rendent propres à la consommation et que ces manipulations, exemptes de tout traitement complexe, ne caractérisent pas une activité manufacturière (cass. com. 14 octobre 2020, n° 18-14.378, Datex).
À noter
Un litige similaire est actuellement pendant près la Cour de cassation pour des activités de restauration rapide.