3 - Le groupe TVA
L’article 162 de la loi de finances pour 2021 transpose en droit interne l’article 11 de la directive TVA, lequel permet la constitution d’un groupe TVA. Parallèlement, le régime de TVA des groupements de personnes est révisé.
Armelle Courtois-Finaz et Philippe Breton analysent les grandes lignes de la réforme.
L’essentiel
Le groupe TVA permet la création d’un assujetti unique au sein d’un groupe d’entreprises liées sur le plan financier, économique et organisationnel. / 3-1 et 3-4
Le groupe implique un champ d’application territorial limité au territoire national. / 3-3
L’avantage principal du groupe TVA réside dans la simplification qui en résulte grâce à l’avènement d’un assujetti unique, détenteur d’un seul numéro d’identification et déposant une seule déclaration. / 3-7
Le régime doit permettre la neutralisation des flux intragroupes et pallier la restriction jurisprudentielle du champ d’application sectoriel de l’exonération prévue pour les groupements relevant de l’article 261 B du CGI. / 3-1 et 3-7
Le régime est optionnel et souple dans la mesure où le périmètre est librement choisi et peut être adapté ultérieurement. / 3-11
La question de la détermination et de la gestion des droits à déduction apparaît particulièrement délicate et amène à s’interroger sur le calcul du coefficient de taxation globale au niveau du groupe. / 3-10
Le régime de groupe ne concerne que la TVA et il ne sera pas possible de constituer un groupe en matière de taxe sur les salaires.
Présentation générale de la réforme
Une série de décisions rendues par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) le 21 septembre 2017 a remis en cause l’application au secteur financier et assurantiel de l’exonération prévue à l’article 132 1.f de la directive TVA (dir. 2006/112/EC du 28 novembre 2006) dédiée aux services rendus au sein des groupements autonomes de personnes (GIE, SEP, groupement de faits…) et transposée en France à l’article 261 B du CGI.
Ces décisions ont conduit la France à examiner la possibilité de se doter, comme la plupart de ses voisins européens, d’un groupe TVA en utilisant la faculté offerte par l’article 11 de la directive TVA, de « considérer comme un seul assujetti les personnes qui sont indépendantes du point de vue juridique, mais qui sont étroitement liées entre elles sur le plan financier, économique et de l’organisation ».
Cette démarche a abouti au vote de l’article 162 de la loi de finances pour 2021 (loi 2020-1721 du 29 décembre 2020, art. 162 ; CGI art. 256 C nouveau) et à la création d’un groupe TVA. L’entrée en vigueur de ces règles a été décalée au 1er janvier 2022 en vue d’une utilisation par les opérateurs dès le 1er janvier 2023 (voir FH 3873, §§ 1-1 à 1-19).
Raison d’être du groupe TVA
Le principal avantage du groupe TVA est de supprimer les frottements de TVA sur les flux internes du groupe ainsi constitué. Un assujetti unique sera en effet constitué (CGI art. 256), ce qui place en dehors du champ d’application de la TVA les opérations effectuées entre les membres du groupe.
Ainsi, le groupe TVA permettrait de garantir une plus grande neutralité de la TVA sur les choix d’organisation des entreprises. Cette solution pourrait parfaitement s’appliquer au secteur bancaire, financier, et assurantiel.
En revanche, le nouveau dispositif reste sans incidence sur les autres impôts, taxes, droits et prélèvements de toute nature dont sont redevables ses membres, en particulier, les taxes assises et recouvrées comme en matière de TVA (CGI art. 256 C nouveau).
Principes de fonctionnement
Entités du groupe TVA
Les entités éligibles à la formation d’un groupe TVA sont les assujettis à la TVA, indépendants d’un point de vue juridique. Pour bénéficier du régime du groupe TVA, la présence d’au moins deux assujettis à la TVA est nécessaire. Par ailleurs, un groupe TVA ne peut pas être membre d’un autre groupe TVA.
Le groupe TVA concerne toutes les personnes assujetties à la TVA qui ont en France le siège de leur activité économique ou un établissement stable ou, à défaut, leur domicile ou leur résidence habituelle (CGI art. 256 C, I). Ainsi, les établissements stables situés à l’étranger d'assujettis à la TVA en France n’entrent pas dans le périmètre du groupe TVA. En revanche, les succursales françaises de sociétés étrangères peuvent être membres d’un groupe TVA en France.
Pour pouvoir opter pour ce nouveau régime, les assujettis doivent être étroitement liés entre eux, aussi bien sur le plan financier, économique qu'organisationnel (CGI art. 256 C, II) (voir §§ 3-4 et 3-5). Ces liens doivent exister lors de l’exercice de l’option pour le régime du groupe TVA, et de manière continue pendant toute la période couverte par la demande.
La constitution d’un groupe TVA étant facultative, chaque entité remplissant les conditions est libre d’adhérer au groupe. Il sera ainsi possible d’arbitrer en fonction des effets financiers, voire de créer plusieurs groupes TVA (tout en sachant qu’une entité ne peut adhérer qu’à un seul groupe).
Liens financiers entre les entités du groupe TVA
Le critère financier est satisfait dès lors qu’un assujetti ou une personne morale non assujettie détient plus de 50 % du capital ou des droits de vote d’un autre assujetti directement ou indirectement par l’intermédiaire d’autres assujettis ou personnes morales non assujetties.
Signalons que pour la CJUE, le lien étroit sur le plan financier ne requiert pas l’existence d’une relation de contrôle ou de subordination (CJUE 16 juillet 2015, Larentia + Minerva, aff. C-108/14, § 44-45).
Il convient de préciser que des présomptions de liens financiers ont été créées pour les entités non capitalistiques comme les banques mutualistes, les mutuelles d’assurances et les associations relevant de groupes paritaires de protection sociale énumérées par la loi ou encore les sociétés de coordination mentionnées à l’article L. 423-1-2 du code de la construction et de l’habitation.
Critères économiques et liés à l'organisation
Le critère économique sous-entend l’existence d’une véritable coopération économique entre les membres du groupe et définit plusieurs critères alternatifs. À titre illustratif, cela vise les cas où l’activité principale exercée par chacun des membres du groupe est similaire/identique, ou que les activités des membres du groupe sont complémentaires/interdépendantes ou encore qu’un membre du groupe exerce une activité qui bénéficie entièrement/substantiellement aux autres membres du groupe (voir FH 3873, § 1-6).
Sur le plan organisationnel, sont considérés comme liés entre eux les assujettis qui sont en droit ou en fait, directement ou indirectement, sous une direction commune ou qui organisent leurs activités totalement ou partiellement en concertation.
Modalités d’option
L’option devra être formalisée auprès de l’administration pour trois ans, et devra être formulée avant le 31 octobre de l’année précédant la formation du groupe (pour la première fois le 31 octobre 2022). Il sera nécessaire de désigner une tête de groupe qui assurera le suivi des obligations formelles et déclaratives (déclaration, paiement).
Le représentant du groupe (« tête de groupe ») sera désigné librement par les membres du groupe. Le périmètre sera déterminé lors de l’option et librement choisi. Mais une fois réalisé, celui-ci sera figé pour trois années civiles pour ceux qui ont adhéré initialement au groupe.
Une adaptation du périmètre pourra être prévue. Les membres qui ne remplissaient pas initialement les conditions pourront toutefois rejoindre le groupe au cours de la période de trois ans (fusions, acquisitions, restructurations). Pour cela, l’option doit être formulée avant le 31 octobre pour le 1er janvier de l’année suivante.
À l’issue de la période de 3 ans, il sera possible pour un membre du groupe de se retirer. Par ailleurs, de nouveaux membres pourront être intégrés au sein du groupe au moment du renouvellement.
Dans le cadre du groupe TVA, des règles formelles entourent la constitution et le suivi du groupe. En effet, la déclaration faite par le représentant du groupe auprès de son service des impôts doit être accompagnée de l’accord des membres. Le représentant doit par ailleurs informer annuellement de la composition du groupe au plus tard le 31 janvier de chaque année. De plus, à l’issue de la période de 3 ans, dans l’hypothèse d’un retrait d’un membre du groupe, il convient de notifier ce retrait avant le 31 octobre de l’année précédente.
Avantage principal : neutralisation des flux internes
Le schéma suivant décrit les deux situations alternatives avec ou sans groupe TVA. Compte tenu du pourcentage de détention, on constate que toutes les entités ne respectent pas le critère financier selon lequel la société doit détenir 50 % du capital ou 50 % des droits de vote de la filiale, ce qui emporte des conséquences sur le nombre de flux constituant des opérations imposables.
Seuls les flux internes entre membres du groupe TVA (remplissant les conditions de détention) vont pouvoir être neutralisés et être ignorés au regard de la TVA. Comme illustré dans le schéma, sans groupe TVA, il est fait état de la prise en compte de 16 flux de biens et services, contre 7 avec le groupe TVA, ce qui permet une réduction drastique des opérations devant être déclarées.
Droits à déduction
Principes applicables
Ces principes sont sommairement rappelés.
Toute entité membre du groupe constitue un secteur d’activité distinct de l’assujetti unique aux fins de la TVA. Les opérations réalisées entre les entités du groupe sont traitées comme des opérations internes sans incidence pour l’application de la TVA. Pour cela, le principe d’affectation doit prévaloir. Autrement dit, ces dépenses doivent pouvoir être affectées à un ou plusieurs secteurs ou au groupe lui-même, en fonction de l’existence d’un lien direct entre les dépenses en amont et les opérations en aval.
L’appartenance au groupe TVA fait perdre à chaque membre sa qualité d’assujetti à la TVA au profit du groupe, considéré comme assujetti unique. L’assujetti unique sera identifié par un numéro individuel d’identification à la TVA. En revanche, chaque membre continuera de disposer de son numéro propre. Ce maintien du numéro d’identification des membres du groupe sera utile pour permettre une identification de ces derniers en matière de flux intracommunautaires.
Incertitudes
S’agissant de la question des droits à déduction, certaines incertitudes subsistent.
Les secteurs pourront-ils comporter des « sous-secteurs d’activité » ? Quelles seront les conséquences pour les transferts d’immobilisations ? Il pourrait être admis que chaque entité puisse tenir compte, pour le calcul des droits à déduction, des secteurs d’activité qu’elle avait constitués antérieurement à son entrée dans le groupe devenant ainsi des « sous-secteurs » des secteurs d’activité du groupe.
Par ailleurs, il convient de s’interroger quant à la notion de « prorata du groupe » pour les frais généraux qui seraient engagés par le groupe. De plus, l’affectation d’une dépense grevée de TVA par un membre du groupe pourra-t-elle relever du prorata du secteur d’un autre membre dans certaines conditions ?
L’avantage financier procuré par le régime de groupe devra être mis en balance avec les impacts de la jurisprudence Skandia pour les groupes pouvant disposer de succursales implantées à l’étranger. Les transactions entre le groupe et les succursales étrangères seront dorénavant comprises dans le champ de la TVA. Il résulte en effet de la jurisprudence Skandia de la Cour de Justice (reprise par le Conseil d’État) que les prestations de services fournies par un siège à une succursale établie dans un autre État membre où cette dernière est membre d’un groupe TVA, doivent être regardées comme des opérations imposables réalisées entre deux assujettis distincts (CJUE, aff. C-7/13 du 17 septembre 2014). Il conviendra d’attendre sur ce point les précisions de l’administration fiscale qui n’a pas encore commenté cette jurisprudence.
Diverses modalités pratiques
Neutralisation des conséquences de la perte de la qualité d’assujetti
S’agissant des implications liées au changement de statut pour un membre du groupe, la perte de la qualité d’assujetti est neutralisée. Une dispense de taxation pour les transferts de biens et services du membre vers le groupe est permise (CGI art. 257 bis). Ces transferts sont réputés constituer une « universalité » et n’entraînent pas de taxation au titre des biens et services réputés transférés. Le groupe étant réputé être le successeur de ses membres, celui-ci devra veiller aux régularisations du droit à déduction pour les immobilisations. Ainsi, dans l'hypothèse où le produit du coefficient de taxation forfaitaire et du coefficient d’assujettissement du groupe varierait de plus de 10 points par rapport aux coefficients de référence utilisés par le membre du groupe dans la période de régularisation (5 ou 20 ans pour les immobilisations), le groupe TVA devra effectuer les régularisations.
Les options fiscales existant au sein d'un « secteur d’activité » seront maintenues. En effet, ces options pourront être gérées par le membre du groupe au sein du secteur d’activité, que ce soit l’option pour l’assujettissement des services financiers (CGI art. 260-B) ou l’option pour les débits (CGI art. 269.2.c). En revanche, d’autres options ou régime devront faire l’objet d’éclaircissements : contingents d’achats en franchise, régimes particuliers de taxation…
Obligations déclaratives et procédures fiscales
La transposition du régime du groupe TVA entraîne l’adaptation d’une multitude de règles procédurales relative aux obligations déclaratives, à la responsabilité solidaire des membres, et aux modalités du contrôle.
En effet, le représentant du groupe est responsable des obligations déclaratives et des formalités en général (en particulier l’option et son suivi), du dépôt des demandes de remboursement de crédit de TVA, du paiement des redressements, intérêts de retard et pénalités.
La nature de la déclaration (et de ses annexes) à produire par le représentant de l’assujetti unique sera définie par voie d’arrêté probablement courant 2021.
Toutefois les membres du groupe resteront tenus de conserver les documents et supports relatifs aux opérations internes et justifiant de la déclaration.
S’agissant de la responsabilité solidaire des membres, ces derniers sont solidairement responsables du paiement de l’impôt et des redressements à hauteur de la somme à laquelle ils auraient été tenus en l’absence de groupe TVA. L’administration doit indiquer aux membres de l’assujetti unique le montant auquel ils auraient été tenus en l’absence d’appartenance au groupe. Le membre du groupe peut pratiquer la cascade des rappels de TVA sur sa base d’impôt sur les sociétés.
Concernant les modalités de contrôle, celui-ci est diligenté au niveau des membres du groupe comme s’ils étaient indépendants. Les règles procédurales s’appliquent au niveau du membre du groupe (justificatifs, accès à la comptabilité générale et analytique…). Les règles de prescription peuvent être écartées dans certaines hypothèses. Au final, les redressements sont dus par le représentant. Les obligations déclaratives seront précisées par voie d’arrêté notamment au regard de la justification des opérations internes.