2 - La facturation électronique et le e-reporting à compter du 1er janvier 2023
De prime abord, le lecteur non averti pourrait penser que l’article 153 de la loi de finances pour 2020 est venu simplement modifier le format des factures, laissant ainsi cette réforme aux mains des directeurs des systèmes d’information (DSI) ou des prestataires externes en charge de dématérialiser les flux de factures.
Laurent Chetcuti et Armelle Courtois nous invitent à prendre conscience que cette obligation de facturation électronique vient modifier de manière substantielle la gestion quotidienne de la TVA par les entreprises et les modalités de contrôle de cet impôt.
La lutte contre la fraude est-elle plus efficace grâce à la dématérialisation des flux de facturation ?
La lutte contre la fraude à la TVA est au cœur des préoccupations des États membres de l’Union européenne (UE). Principale ressource des États, la TVA fait l’objet d’une fraude massive depuis plusieurs années. En effet, selon l’UE, la fraude à la TVA représente 147 milliards d’euros au niveau de l’Union dont 20 milliards pour la France, représentant 12 % des recettes annuelles de l’État français.
La mise en place de la facturation électronique permettra de limiter ce phénomène de fraude dès lors que l’administration fiscale pourra dorénavant vérifier si les factures à l’origine d'un crédit de TVA ont été effectivement émises par les entreprises et payées par les clients. Dans ce contexte, la loi de finances pour 2020 a introduit deux points majeurs :
-l’obligation de dématérialiser les factures (« e-invoicing ») ;
-accompagnée d’une obligation de transmission de données à l’administration fiscale (« e-reporting »).
Ces nouvelles obligations devraient permettre de procéder à une surveillance accrue du bon traitement TVA de l’ensemble des transactions réalisées en France et ainsi permettre une meilleure détection en temps réel des cas de fraude. Afin d’envisager les gains qui peuvent être attendus de cette réforme, il est intéressant de réaliser un tour d’horizon de la pratique de la facturation électronique dans le monde.
La pratique chez nos voisins
Les différents modèles de contrôles de la TVA dans le monde
Deux types de modèles
Les modalités de transmission des données de facturation impactent fortement le modèle de contrôle fiscal en matière de TVA. Pour mémoire, il convient de distinguer deux catégories de contrôle de la conformité TVA des factures émises et/ou reçues par les opérateurs :
-un modèle classique dit modèle « post-audit » (voir § 2-4),
-et un mode plus moderne dit de « clearance » (voir § 2-5).
Sur ce point, selon les recommandations de l’OCDE, la généralisation de la facturation électronique est l’un des moyens permettant d’évoluer du modèle post-audit vers le modèle de clearance.
Modèle post-audit
Le modèle post-audit est la méthode actuelle de contrôle de l’administration fiscale française. Celui-ci repose sur des contrôles de TVA effectués par l’administration a posteriori, afin de vérifier le respect par les contribuables de la réglementation en vigueur en matière de TVA.
Il se fonde sur une méthode par sondage par laquelle l’inspecteur, en analysant chacune des opérations, procède à la recherche d’erreurs commises par le contribuable.
D’un point de vue opérationnel, ce modèle est régulièrement critiqué pour son coût dès lors qu’il impose de diligenter des contrôles longs tout en mobilisant des moyens humains importants. Dans un contexte de maîtrise de la dépense publique, ce point revêt une importance particulière.
Le modèle post-audit est souvent considéré comme un frein, empêchant une utilisation maximisée des outils technologiques de big data.
Enfin, le manque d’harmonisation des points d’audit s’avère être un autre inconvénient de ce modèle, car celui-ci repose essentiellement sur l’expérience empirique des inspecteurs et la qualité de leur méthode d’investigation.
Modèle clearance
Le modèle clearance permet à l’administration fiscale d’avoir accès aux données de facturation en temps réel par le dépôt des factures sur une plateforme d’État et/ou la communication de ces données via un mécanisme d’e-reporting.
L’obligation de dématérialisation des données de facturation permet à l’administration fiscale de disposer de « données exploitables » nécessitant une intervention humaine moindre pour réaliser des tâches à faible valeur ajoutée (sélection des données, comparaison des informations, recherche des incohérences, etc.…). La technologie permet notamment aux agents de l’administration de pouvoir se concentrer sur la seule interprétation des données et les écarts.
Ce modèle est déjà mis en œuvre dans la majorité des pays d’Amérique latine et dans certains pays européens à l’instar de l’Italie et de l’Espagne. Un des retours d’expérience de ce modèle est notamment de permettre d’avoir un cycle de contrôle fiscal plus court, plus rentable et des interventions des agents de l’administration plus ciblées sur les points techniques soulevant des enjeux. C’est donc vers ce second modèle de facturation dite « surveillée » que l’administration fiscale française entend mener sa réflexion.
Zoom sur l’Italie
Le gouvernent italien a introduit progressivement depuis 2014 l’utilisation obligatoire de la facturation électronique dans un format XML propre au marché italien (FatturaPA).
En pratique, depuis le 1er janvier 2019, toutes les factures émises par un fournisseur italien doivent transiter par la plateforme Sistema di Interscambio (SdI) dans le format FatturaPA. À compter de cette date, les entreprises qui ne se conforment pas à cette obligation légale sont passibles de sanctions.
L’administration fiscale procède automatiquement à des contrôles formels et vérifie le contenu de la facture. Une fois la validation opérée, la facture peut être envoyée au client.
La possibilité pour l’Italie d’appliquer ce mode de facturation dématérialisée obligatoire, sous un format imposé, a été rendue possible grâce à une dérogation spéciale accordée par la Commission européenne. En vertu de l’article 395, paragraphe 1, de la directive TVA, un État membre peut être autorisé à appliquer des mesures particulières dérogatoires aux dispositions de la Directive afin de simplifier la perception de la TVA ou d’éviter certaines formes de fraude ou d’évasion fiscale.
Le Gouvernement italien a notamment fait valoir à la Commission européenne que le système de facturation électronique, déjà obligatoire pour les livraisons de biens et prestations de services à destination des autorités publiques (B2G), permettrait à l’administration fiscale de bénéficier d’une plus grande rapidité et efficacité dans la réalisation des contrôles fiscaux grâce à un accès en temps réel aux informations contenues dans les factures.
Par une décision prise en 2018, le Conseil de l’Union européenne a autorisé l’Italie à mettre en place ce régime dérogatoire du 1er juillet 2018 au 31 décembre 2021.
Cette dérogation comporte deux volets. Le premier concerne l‘obligation d’émettre des factures électroniques pour les assujettis établis en Italie par l’intermédiaire de la plateforme SdI, à l’exception des assujettis bénéficiant du régime de la franchise pour les petites entreprises.
Le second volet de cette dérogation vise à permettre à l’Italie de ne pas soumettre l’obligation de facturation électronique à l’acceptation préalable du destinataire, hormis dans l’hypothèse où les assujettis bénéficient de la franchise applicable aux petites entreprises.
La France devra obtenir les mêmes dérogations pour mettre en place la réforme ambitieuse qu’elle a introduite.
En pratique, si l’Italie agit en qualité d’État pionner, cette expérience ne s’avère pas totalement satisfaisante. En effet, les entreprises continuent, en parallèle de la plateforme, à envoyer leurs factures sous tout format à leurs clients, atténuant ainsi les gains de productivité escomptés.
Ce comportement pourrait s’expliquer en raison du calendrier de la réforme qui n’aurait pas laissé le temps aux entreprises de se préparer et de mettre en œuvre les chantiers prioritaires liés à la digitalisation de leurs flux de facturation (revue des masters data clients / fournisseurs, vérification du paramétrage TVA de leurs systèmes d’information).
En France, réforme à compter du 1er janvier 2023
Situation actuelle
Pour mémoire, la facture est un document fiscal constituant une condition formelle du droit à déduction de la TVA et qui doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires prévues par le Code général des impôts (CGI).
La facture électronique se définit, quant à elle, comme une facture ou un flux de factures créé, transmis, reçu et archivé sous forme électronique. À ce jour, trois mécanismes de sécurisation des factures électroniques existent en France (CGI art. 289, VII) :
-❶ l’échange de données informatisées (EDI) : les factures transmises sous la forme d’un message structuré selon une norme convenue entre les parties, permettant une lecture par ordinateur et pouvant être traité automatiquement et de manière univoque, constituent des factures d’origine à condition de respecter des conditions spécifiques. Dans ce contexte, l’échange de données informatisées permet de sécuriser de façon autonome la transmission des factures électroniques grâce à l’utilisation d’un système de télétransmission répondant des conditions spécifiques ;
-❷ la signature électronique : il s’agit d’une donnée sous forme électronique et qui sert de méthode d’authentification du signataire et de l’origine des informations. Parmi l’ensemble des signatures électroniques qui existent aujourd’hui, seule la signature électronique avancée fondée par un certificat qualifié et créée par un dispositif sécurisé de création de signature et les signatures électroniques conformes au référentiel général de sécurité (RGS) de niveau 2 ou 3 étoiles garantissent de façon autonome l’authenticité de l’origine et l’intégrité du contenu des factures ;
-❸ la piste d’audit fiable (PAF) : les entreprises qui émettent ou reçoivent des factures par tout autre moyen que les dispositifs susvisés d’EDI et de signature électronique, doivent mettre en place des contrôles organisés et permanents établissant une piste d’audit fiable entre les factures émises ou reçues et les livraisons de biens ou prestations de services qui en sont le fondement. La mise en place de cette documentation piste d’audit fiable permet d’assurer l’authenticité de l’origine, l’intégrité du contenu et la lisibilité des factures au sens de l’article 289, VII du CGI.
Situation future
Calendrier
L’État français souhaite mettre en place une réforme ambitieuse à compter du 1er janvier 2023, en plusieurs étapes.
L’article 153 de la loi de finances pour 2020 a introduit la mise en place progressive de la facturation électronique obligatoire entre assujettis.
Dès le 1er janvier 2023, une obligation de réception des factures électroniques est prévue pour toutes les entreprises établies en France, peu importe leur taille.
Ce dispositif prévoit également une obligation d’émission des factures électroniques progressive entre le 1er janvier 2023 et le 1er janvier 2025 en fonction de la taille des entreprises selon le calendrier suivant :
-1er janvier 2023 pour les grandes entreprises ;
-1er janvier 2024 pour les ETI ;
-1er janvier 2025 pour les PME et TPE.
Les notions de grandes entreprises, d’ETI, de PME et de TPE répondent aux définitions instituées par l’Union européenne.
Ainsi, à partir de janvier 2025, les factures papier ne seront plus autorisées pour toutes les transactions B2B et B2G (« Business to Government »).
Outre l’obligation de facturation électronique (« e-invoicing »), l’article 153 de la loi de finances pour 2020 a introduit une obligation de transmission de données à l’administration (« e-reporting »). L’obligation de e-reporting doit suivre, en principe, le même calendrier que celui envisagé ci-dessus pour l’obligation de facturation électronique.
Transactions concernées par la facturation électronique
Les transactions visées par l’obligation de facturation électronique sont les opérations domestiques réalisées entre entreprises (B2B). Les transactions réalisées avec des particuliers (B2C) ainsi que celle réalisées avec des opérateurs étrangers seront en principe hors du champ d’application de l’obligation de cette obligation.
Un point d’attention doit être soulevé s’agissant des opérations bénéficiant d’une mesure d’exonération en application des articles 261 à 261 E du CGI. En effet, ces opérations ne sont pas soumises à une obligation de facturation par application d’une dispense prévue par le CGI (voir « La TVA », RF 1107, § 2654). En tout état de cause, les entreprises réalisant des opérations ainsi exonérées ne seront pas concernées par l’obligation d’émettre des factures électroniques mais seront, toutefois, soumises à l’obligation d’accepter des factures sous format électronique. De plus, aucune précision n’a été apportée à ce stade sur l’assujettissement de ces opérations à l’obligation de « e-reporting ».
Transactions concernées par l’e-reporting
Entreront dans le périmètre de l’obligation de « e-reporting » les données des transactions domestiques B2B, les données des transactions B2C, les données des transactions avec les opérateurs étrangers ainsi que le statut du paiement des factures (permettant ainsi de déterminer l’exigibilité et la déductibilité de la TVA sur les prestations de services).
Ce dispositif de « e-reporting » dispose ainsi d’un champ d’application plus large que l’obligation de facturation électronique.
En l’état actuel de la réforme, il est également envisagé de subordonner la déductibilité de la TVA au dépôt sur la plateforme d’une facture électronique au nom de l’assujetti qui entend procéder à la déduction. L’ajout de cette nouvelle condition formelle du droit à déduction a pour objectif de donner à la réforme de la facturation électronique toute son efficacité.
La collecte de l’ensemble de ces données permettrait ainsi à l’administration fiscale de procéder au pré-remplissage des déclarations de TVA.
Principales pistes
Schéma en V ou modèle italien
Ce schéma implique une communication obligatoire des factures par une plateforme publique qui en assure la transmission au client, via, le cas échéant, des plateformes privées. La plateforme publique extrait, à partir des factures, des données utiles à destination de l’administration et les transmet au système d’information de la DGFIP. Elle propose également des prestations de services d’envoi et de réception de factures directement aux entreprises.
Schéma en V * | |
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Avantages | Inconvénients |
Simplicité car présence d’une seule plateforme centralisatrice | Arrêt de toute la chaîne de transmission des flux de facturation en cas de défaillance d’un point unique du système (Single Point of Failure ou SPOF) ou de cyberattaque |
Expérience acquise avec B2G/expérimentation menée par l’AIFE | Risque d’envoi d’informations non gérables par la plateforme centralisatrice directement par le vendeur au client le client, d’où l’existence d’un flux parallèle hors la vue de l’administration |
Utilisation de l’annuaire centralisé mis à jour régulièrement par la plateforme étatique | Risque de constitutionnalité liée à l’instauration d’un monopole de la plateforme étatique dans l’échange dématérialisé de flux de factures entre fournisseurs et clients |
Transmission de la facture dépend du contrôle effectué par l’administration | |
* Tableau issu du rapport de la Direction Générale des Finances publiques « La TVA à l’ère du digital en France », Octobre 2020, p. 24. |
Schéma en Y ou modèle mexicain
Dans ce schéma, les factures peuvent transiter directement via des plateformes privées certifiées, sans passer par la plateforme publique. Les plateformes privées certifiées extraient des factures les informations à destination de l’administration et les transmettent à la plateforme publique, qui les regroupe et les envoie au système d’information de la DGFIP.
La plateforme publique propose également dans ce schéma des prestations de service d’envoi et de réception de factures directement aux entreprises.
Toutefois, ce schéma nécessite la mise en place d’un cahier des charges précis et unique pour les plateformes privées.
Schéma en Y * | |
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Avantages | Inconvénients |
Libre choix du prestataire de facturation par les entreprises ; pas de passage obligé par la plateforme publique | Les services offerts par la plateforme publique ne doivent pas concurrencer ceux proposés par les plateformes privées |
Maintien de l’existant de la facturation électronique notamment pour certains secteurs (automobile, grande distribution), limitant les coûts d’adaptation à la réforme | Sécurité et durabilité des plateformes en charge de la transmission des factures |
En cas de défaillance d’une des plateformes, seule une partie du flux de facturation est impactée, avec possibilité de délestage sur les plateformes fonctionnelles | Cahier des charges à respecter par les plateformes et coût de la certification |
Solution de facturation adaptée à chaque catégorie d’entreprise : les PME et TPE ne disposant pas de logiciel de facturation et ayant un volume réduit de factures peuvent directement transmettre leurs factures via la plateforme publique | Formats standardisés imposés entre plateformes |
* Tableau issu du rapport de la Direction Générale des Finances publiques « La TVA à l’ère du digital en France », Octobre 2020, p. 26. |
Selon le rapport publié par la DGFIP, la mise en place de cette deuxième architecture est privilégiée dans la mesure où celle-ci répond aux attentes des entreprises et des opérateurs. En effet, les acteurs du secteur y voient le moyen de limiter les coûts d’adaptation pour toutes les entreprises recourant d’ores et déjà à des opérateurs privés tandis que pour celles qui ne sont pas dotées de solutions de facturation, la possibilité de passer directement par la plateforme publique limite les coûts d’entrée dans cette réforme.
En synthèse
En conclusion, à ce jour, il existe de nombreuses questions attendant une réponse (format de la facture, fréquence du e-reporting, nature des opérations couvertes pas les obligations, situation des entreprises étrangères non établies en France).
L’administration fiscale devra porter une attention particulière à ces questions. La clarté du dispositif constitue en effet une des clefs du succès de cette réforme et démontrera la capacité de l’administration à enclencher sa révolution digitale.
En attendant ces éléments complémentaires, nous ne pouvons que recommander aux entreprises de se préparer à cette révolution en s’assurant que leur système de facturation est en mesure d’émettre toutes les factures de manière parfaite, dès la première tentative, sans avoir recours à des avoirs.