8 - L’abus de droit, l’URSSAF et la Cour de cassation
André Derue
Avocat associé, Spécialiste en droit du travail, de la sécurité sociale et de la protection sociale
Barthélémy Avocats
aderue@barthelemy-avocats.com
L’abus de droit en matière de contributions et cotisations a fait son apparition dans le code de la sécurité sociale il y a une quinzaine d’années, à l’occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.
Le texte a depuis été modifié à plusieurs reprises, en particulier en 2009 et en dernier lieu fin 2018.
C’est dans ce contexte qu’ont été rendus, le 16 février 2023, trois arrêts de la 2e chambre civile de la Cour de cassation dont la portée doit être analysée à la lumière du dispositif légal et réglementaire en vigueur.
Une notion fiscale intégrée à la législation de sécurité sociale depuis 2008
Ancienne notion fiscale d’origine jurisprudentielle, l’abus de droit en matière de contributions et cotisations sociales a été intégré dans le code de la sécurité sociale avec la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 (c. séc. soc. art. L. 243-7-2 ; loi 2007-1786 du 19 décembre 2007, art. 108), essentiellement suite au rapport de 2007 du Conseil des prélèvements obligatoire sur « la fraude aux prélèvements obligatoire et son contrôle ».
Le texte originel ayant paru techniquement imparfait, un groupe de travail présidé par Monsieur Fouquet, chargé de travailler sur les dispositifs susceptibles d’accroître la sécurité juridique en matière de cotisations sociales, a également été chargé de proposer un « dispositif efficace de répression des abus de droit » en lieu et place du dispositif existant.
Le rapport établi, à l’issue de ces travaux formulait ainsi différentes propositions portant tout à la fois sur la réécriture du texte, l’établissement d’un régime de sanction de l’abus de droit et l’organisation du recours à un comité des abus de droit (« Cotisations sociales : stabiliser la norme, sécuriser les relations avec les URSSAF et prévenir les abus », Rapport au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, juillet 2008, propositions 48 à 54).
C’est dans ces conditions que le texte initial de l’article L. 243-7-2 a été modifié d’abord par la loi de simplification du droit de 2009 (loi 2009-526 du 12 mai 2009, art. 75, I, 5°), puis en dernier lieu par la loi de finances pour 2019 (loi 2018-1317 du 28 décembre 2018, art. 202, III).
Au final, la législation fait aujourd’hui peser sur les organismes de recouvrement la charge de la preuve de l’abus de droit, en cas de réclamation, quel que soit l’avis émis par le comité des abus de droit.
Précisons, pour être complet, que le régime de l’abus de droit est également régi par des dispositions réglementaires (c. séc. soc. art. R. 243-60-1 à R. 243-60-3).
Les textes applicables à l’abus de droit en matière de contributions et cotisations sociales
Une définition légale
Largement inspirée de l’abus de droit en matière fiscale prévu par l’article L 64 du livre des procédures fiscales, la définition de l’abus de droit de l’article L. 243-7-2 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigée :
« Afin d’en restituer le véritable caractère, les organismes mentionnés aux articles L 213-1 et L 752-1 sont en droit d’écarter, comme ne leur étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes aient un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. »
Au cœur de la définition, on a donc soit un acte fictif, soit un acte réel mais dont la finalité est en quelque sorte détournée via une application littérale des textes dans le seul but d’échapper ou de diminuer les cotisations.
Une procédure spécifique de mise en œuvre
Une procédure spécifique s’applique à l’abus de droit.
D’emblée, la loi précise que l’abus de droit n’est pas applicable aux actes pour lesquels le cotisant a préalablement fait usage de deux dispositions de sécurisation, en fournissant aux organismes concernés (ex. : URSSAF) tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable des actes litigieux et que ces organismes n’ont pas répondu dans les délais requis (c. séc. soc. art. L. 243-7-2). Cette réserve vise :
-d’une part, la procédure d’arbitrage de l’ACOSS, qui permet à un cotisant de saisir l’ACOSS (URSSAF Caisse nationale) lorsqu’il est confronté, de la part des organismes de recouvrement, à des interprétations contradictoires concernant plusieurs de ses établissements placés dans la même situation au regard de la législation relative aux cotisations et aux contributions de sécurité sociale (c. séc. soc. art. L. 243-6-1) ;
-d’autre part, la procédure de rescrit, qui permet à un cotisant de demander à son URSSAF de prendre position sur l’application à sa situation d’un point de législation (c. séc. soc. art. L. 243-6-3).
Une décision du Directeur de l’URSSAF
La décision est prise par le directeur de l’organisme chargé du recouvrement, qui doit contresigner à cet effet la lettre d’observations suite à contrôle prévue par l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale (c. séc. soc. art. R. 243-60-3, I).
Cette lettre d’observations mentionne la possibilité de saisir le comité des abus de droit, les délais impartis à la personne contrôlée pour ce faire ainsi que la majoration prévue en cas d’abus de droit.
La contestation
Possibilité de soumettre le « litige » au comité des abus de droit
En cas de désaccord du cotisant sur les rectifications notifiées par l’URSSAF sur le fondement d’un abus de droit, le litige est soumis, à la demande du cotisant, à l’avis du comité des abus de droit (c. séc. soc. art. L. 243-7-2).
Il dispose à cet effet d’un délai de 30 jours à compter de la réception de la lettre d’observations pour demander à la Mission nationale de Contrôle et d’audit, en charge du contrôle des organismes locaux et régionaux de sécurité sociale, que le litige soit transmis à l’avis du comité des abus de droit. S’il formule dans ce délai des observations sur cette lettre, il dispose à nouveau d’un délai de 30 jours à compter de la réception de la réponse de l’organisme de recouvrement à ses observations (c. séc. soc. art. R. 243-60-3, II).
La Mission nationale de contrôle saisit le comité des demandes recevables dans un délai de 30 jours et en avertit l’organisme de recouvrement (c. séc. soc. art. R. 243-60-3, III).
La Mission nationale de contrôle se voit ainsi confier la mission d’apprécier la recevabilité de la demande du cotisant, même si rien ne précise comment devra être appréciée cette recevabilité. Un refus de transmission du dossier au comité des abus de droit pourrait donc potentiellement être à l’origine d’une contestation de la part du cotisant…
À noter
Le mot « litige » utilisé par les articles L. 243-7-2 et R. 243-60-3 du code de la sécurité sociale peut surprendre dans la mesure où la lettre d’observations de l’URSSAF, au sens de l’article R. 243-59, ne constitue qu’un projet de redressement (ou d’observations pour l’avenir), et non pas une décision de la part de l’organisme susceptible de faire l’objet d’un recours devant la commission de recours amiable puis le Tribunal judiciaire. En l’absence d’une décision de l’organisme, à ce stade de la procédure, le terme litige est donc inapproprié.
De son côté, l’organisme de recouvrement dispose également de la faculté de soumettre le litige à l’avis de ce comité dans les conditions prévues par l’article L. 225-1-1 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire après avoir obtenu l’autorisation de l’ACOSS (URSSAF Caisse nationale) (c. séc. soc. art. L. 243-7-2). À la différence du cotisant qui ne peut saisir directement le comité des abus de droit, l’URSSAF peut donc procéder à une telle saisine sans passer par la Mission nationale de contrôle, mais il lui faut l’aval de l’ACOSS.
On relèvera que le même article L. 225-1-1 prévoit que l’ACOSS est également chargée d’autoriser les organismes de recouvrement à porter les litiges devant la Cour de cassation. Cette règle est toutefois privée d’effet dans la mesure où la Cour de cassation a jugé que cette disposition n’était pas assortie de la sanction d’une irrecevabilité, l’URSSAF étant au surplus partie à l’instance et ayant intérêt à agir (cass. civ., 2e ch., 25 avril 2007, n° 06-14715, BC II n° 102). Comparaison n’est pas raison. Toutefois, même si la question de la saisine du comité de droit relève d’une procédure extra-judiciaire à la différence du pourvoi en cassation, on peut se demander si une URSSAF pourrait saisir le comité de droit (à supposer naturellement qu’il existe) en l’absence d’autorisation de la caisse nationale.
Si le cotisant a aussi formé une réclamation devant la commission de recours amiable
Dans le cas où le cotisant a formé une réclamation devant la commission de recours amiable (CRA) de l’URSSAF portant sur une décision de redressement prise dans le cadre de la même procédure que celle qui a donné lieu à la saisine du comité des abus de droit, la CRA doit différer son avis ou sa décision dans l’attente de l’avis de ce comité (c. séc. soc. art. R. 243-60-3, V).
Par ailleurs, le délai de deux mois au terme duquel la personne ayant saisi la CRA peut considérer sa demande comme rejetée ne court qu’à dater de la réception de l’avis du comité des abus de droit par l’organisme de recouvrement (c. séc. soc. art. R. 142-6).
Devant un comité des abus de droit (dont de nouveaux membres n’ont pas été nommés depuis des années !)
Devant le comité des abus de droit, l’organisme de recouvrement et le cotisant sont invités à produire leurs observations dans un délai de 30 jours et reçoivent communication des observations produites par l’autre partie, le président du comité pouvant recueillir auprès des parties tout renseignement complémentaire utile à l’instruction du dossier (c. séc. soc. art. R. 243-60-3, IV).
Les articles R. 243-60-1 et R. 243-60-2 définissent la composition ainsi que les règles « déontologiques » qui s’imposent à ses membres qui sont nommés, pour une durée de 3 ans renouvelable, par arrêté du ministre de la sécurité sociale.
Or, si un arrêté du 22 décembre 2011, publié au journal officiel du 12 janvier 2012, a bien procédé à la nomination des membres du comité de droit, cette nomination n’était valable que pour une durée de 3 ans !
Le fait que pendant cette première période, le comité n’ait jamais été saisi, explique sans doute cette omission depuis 2015. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé le ministre de l’Économie et des finances à la question écrite d’un député, tout en précisant que l’absence de ce comité n’était pas susceptible de créer un préjudice pour les assurés (!) et que le gouvernement avait sollicité les institutions composant le comité afin d’en nommer à nouveau les membres, de telle sorte que le comité pourra à nouveau être convoqué « cette année » (rép. Bricout n° 13983, JO du 7 avril 2020, AN quest. p. 2636). Nous étions alors en 2020 et rien n’est venu depuis lors !
On peut imaginer ou espérer que la publicité faite autour des arrêts du 16 février 2023 va accélérer ces désignations.
L’avis du comité des abus de droit, puis la décision de l’URSSAF
Enfin, le président du comité communique l’avis du comité aux 2 parties, notamment à l’organisme de recouvrement. Ce dernier notifie sa décision au cotisant et, en cas de modification du redressement, lui adresse une mise en demeure rectificative dans un délai de 30 jours (c. séc. soc. art. R. 243-60-3, V).
On relèvera que le comité des abus de droit n’a pas de délai pour émettre ce qui n’est au demeurant qu’un simple avis ne présentant aucun caractère contraignant à l’égard des parties.
Un régime probatoire remis d’aplomb
Dans sa rédaction antérieure à la loi de finances pour 2019, l’article L. 243-7-2 du code de la sécurité sociale prévoyait que si l’organisme de recouvrement ne se conformait pas à l’avis du comité, il devait apporter la preuve du bien-fondé de sa rectification. Parallèlement le texte prévoyait curieusement qu’en cas d’avis du comité favorable à l’organisme de recouvrement, la charge de la preuve devant le juge revenait au cotisant, ce qui revenait à lui demander d’apporter la preuve négative qu’il n’avait pas commis un abus de droit !
Depuis la loi de finances pour 2019, dans tous les cas, quel que soit l’avis rendu par le comité des abus de droit, l’organisme de recouvrement supporte la charge de la preuve en cas de réclamation (c. séc. soc. art. L. 243-7-2, al. 2).
Une sanction financière
L’abus de droit entraîne l’application d’une pénalité égale à 20 % des cotisations et contributions dues (c. séc. soc. art. L. 243-7-2).
Les arrêts du 16 février 2023 et leur portée
Trois arrêts qui précisent le champ de la procédure de l’abus de droit
La question de l’abus de droit n’a guère agité les prétoires avant les trois arrêts rendus par la 2e chambre civile de la Cour de cassation le 16 février 2023 (cass. civ., 2e ch., 16 février 2023, nos 21-18322, 21-11600 et 21-17207 FSB).
On relèvera néanmoins un arrêt antérieur en date du 12 octobre 2017 dans lequel les faits en cause portaient sur la réintégration dans l’assiette des cotisations d’indemnités forfaitaires de frais de repas; dont l’URSSAF avait considéré qu’elles avaient été allouées à des salariés ne se trouvant pas en situation de déplacement légitimant ainsi qu’elles entrent dans cette assiette (cass. civ., 2e ch., 12 octobre 2017, n° 16-21469 FPB).
L’entreprise qui avait été déboutée par la cour d’appel, avait à nouveau fait valoir à l’appui de son pourvoi que les motifs du redressement issus de la lettre d’observations, tirés de l’absence manifeste de situations de déplacement des salariés en question, caractérisaient un abus de droit constaté à son égard, ce qui aurait dû conduire l’organisme de recouvrement à mettre en œuvre la procédure spécifique prévue en la matière.
L’argument, s’il pouvait difficilement prospérer, n’en était pas moins intéressant dans la mesure où il allait permettre à la Cour de cassation de contribuer à l’ébauche d’une définition du champ de la procédure d’abus de droit. C’est ce qu’elle fit, rejetant le pourvoi, en énonçant que « la divergence d’appréciation sur les règles d’assiette des cotisations n’est pas au nombre des contestations susceptibles de donner lieu à la procédure d’abus de droit prévue par l’article L. 243-7-2 du code de la sécurité sociale. »
Si la réponse ne faisait guère de doute, elle laisse naturellement entier la question de celles de ces contestations qui sont susceptibles d’entrer dans le champ de cette procédure.
On peut estimer que les arrêts du 16 février 2023 apportent, en partie, une réponse à cette vaste question au regard des 4 points sur lesquels elle s’est prononcée.
L’URSSAF peut-elle décider seule de se placer sur le terrain de l’abus de droit ?
Les URSSAF contraintes à la cohérence dès lors qu’elles se placent implicitement dans le champ de l’abus de droit
Le premier point portait sur le fait de savoir si c’est à l’URSSAF seule de décider si elle souhaite se placer sur le terrain de la procédure d’abus de droit.
Dans sa décision, objet du pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt précité du 12 octobre 2017, la cour d’appel avait notamment motivé sa décision en relevant que l’URSSAF n’avait pas retenu comme réunies les conditions de l’abus de droit, puisqu’elle n’avait pas eu recours à la procédure d’abus de droit et à la pénalité de 20 % qui y était attachée. C’était, de la part de la cour d’appel, laisser à l’URSSAF le choix de la qualification du redressement auquel elle procédait au regard de la notion d’abus de droit. L’arrêt d’appel n’a toutefois pas été cassé, le pourvoi ayant été rejeté ainsi que cela a été indiqué (voir § 8-11).
Pour autant, il ne semble pas que la Cour de cassation ait modifié sa jurisprudence du 12 octobre 2017 avec ses arrêts du 16 février 2023, qui portaient sur un autre registre.
Dans une formulation identique, ces trois arrêts, posent le principe, simple, selon lequel « lorsque l’organisme de sécurité sociale écarte un acte juridique dans les conditions » prévues par l’article L. 243-7-2 du code de la sécurité sociale, « il se place nécessairement sur le terrain de l’abus de droit. Il en résulte qu’il doit se conformer à la procédure prévue par le texte précité et les articles R. 243-60-1 et R. 243-60-3 du code de la sécurité sociale et qu’à défaut de le faire, les opérations de contrôle et celles, subséquentes, de recouvrement sont entachées de nullité ».
Ainsi, la Cour de cassation ne dénie pas le droit pour une URSSAF de choisir de se placer sur le terrain de l’abus de droit si elle le souhaite. Elle l’invite à être cohérente.
Si l’URSSAF écarte un « acte juridique », selon les termes mêmes de l’article L. 243-7-2, en considérant que celui-ci présente un caractère fictif ou qu’il n’a pu être inspiré par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales auxquelles le cotisant est tenu, ou que le cotisant, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, elle entre implicitement dans le champ de la procédure d’abus de droit dans lequel elle s’est elle-même placée, de fait.
Le contexte concret des trois affaires illustre le raisonnement de la Cour de cassation
Les données à l’origine de ces trois arrêts, même s’ils ne sont connus que de manière très partielle, illustrent le raisonnement auquel invite la Cour de cassation.
❶ Dans la première affaire (cass. civ., 2e ch., 16 février 2023, n° 21-18322 FSB), l’URSSAF avait réintégré dans l’assiette des cotisations les indemnités de licenciement allouées à des « salariés » dont elle contestait qu’ils soient liés à l’entreprise par un contrat de travail à défaut de tout lien de subordination.
Elle avait considéré, en conséquence, que les licenciements en question étaient fictifs et avait fondé le redressement sur la mise en place d’un habillage légal des ruptures. La cour d’appel avait annulé le redressement au motif que l’URSSAF aurait dû se placer sur le terrain de la procédure d’abus de droit.
Il est intéressant de relever qu’à l’appui de son pourvoi le cotisant faisait notamment valoir que l’origine du redressement résidait dans une simple divergence d’appréciation quant à la qualification de la relation de travail liant les personnes concernées à l’entreprise, faisant ainsi référence à l’arrêt précité de la Cour de cassation du 12 octobre 2017 (voir § 8-11).
Incontestablement, le redressement litigieux portait bien sur la caractérisation d’un abus de droit au sens de l’article L. 243-7-2.
Le pourvoi fut donc rejeté au regard des constatations et énonciations relevant du pouvoir souverain d’appréciation par la cour d’appel des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, dont il ressortait que l’URSSAF, en écartant des actes en raison de leur caractère fictif s’était implicitement placée sur le terrain de l’abus de droit.
❷ Dans la deuxième affaire (cass. civ., 2e ch., 16 février 2023, n° 21-11600 FSB), l’URSSAF avait également réintégré dans l’assiette des cotisations des indemnités de licenciement ainsi que des indemnités transactionnelles après avoir considéré que les procédures de licenciement menées étaient fictives.
Le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel qui avait retenu que la procédure d’abus de droit s’appliquait, fut donc pareillement rejeté par la Cour de cassation dans des termes très proches de l’arrêt précédent.
❸ Enfin, dans la troisième affaire (cass. civ., 2e ch., 16 février 2023, n° 21-17207 FSB), l’URSSAF avait réintégré dans l’assiette des cotisations les honoraires versés en application d’une convention, portant sur l’exploitation de l’image individuelle d’un joueur de rugby, conclue entre la société (semble-t-il) créée par ce dernier et son club, dont il était par ailleurs salarié et percevait à ce titre un salaire soumis aux cotisations de sécurité sociale.
Pour l’URSSAF, il s’agissait d’une manœuvre destinée à éluder le paiement des cotisations sociales « sur la partie du salaire réglée sous forme de droits à l’image considérés comme des revenus mobiliers ». La cour d’appel avait refusé de juger que l’URSSAF s’était placée sur le terrain de l’abus de droit.
Cette décision sera cassée dans des termes également proches des arrêts précédents, au motif que l’organisme de recouvrement avait écarté la convention litigieuse (on imagine qu’est visée la convention portant sur l’exploitation de l’image du joueur) au motif qu’elle avait pour seul objet d’éluder le paiement des cotisations sociales, ce dont il résultait qu’il s’était implicitement placé sur le terrain de l’abus de droit pour opérer le redressement. On pourrait ajouter qu’en occultant la société créée par le joueur, l’URSSAF s’était également placée sur le même registre.
Quel est l’effet de l’existence ou non du comité des abus de droit ?
La possible saisine du comité des abus de droit est un des piliers de la procédure d’abus de droit de l’article L. 243-7-2.
Ainsi que cela a été rappelé, les membres du comité des abus de droit désignés par arrêté ministériel du 22 décembre 2011 l’ont été pour une durée de trois ans, à compter de la parution au journal officiel de cet arrêté soit le 12 janvier 2012. Or aucune nouvelle désignation n’est intervenue depuis cette date (voir § 8-7).
Il était donc particulièrement tentant de prétendre que la procédure d’abus de droit ne pouvait trouver application en l’absence de désignation des membres de ce comité. C’est un argument que n’a pas manqué de soulever l’URSSAF.
Or, si dans le premier arrêt (cass. civ., 2e ch., 16 février 2023, n° 21-18322 FSB) le comité des abus de droit était constitué à la date du contrôle, il n’en était pas de même dans le deuxième arrêt (cass. civ., 2e ch., 16 février 2023, n° 21-11600 FSB).
Dans cette espèce, le pourvoi contenait un argument sur le sujet. En substance il était rappelé que la procédure d’abus de droit requiert que le cotisant puisse demander que le litige soit soumis à l’avis du comité des abus de droit. Il était, en conséquence soutenu, que ce comité ne disposant plus de membres depuis le 12 janvier 2015, il en résultait que celui-ci n’était plus actif, si bien que la procédure d’abus de droit ne pouvait être mise en œuvre.
La Cour de cassation n’a pas reçu cet argument en énonçant « qu’en ne se soumettant pas à la procédure d’abus de droit, l’URSSAF ne pouvait se prévaloir du défaut de constitution du comité des abus de droit. »
La question est ainsi réglée, mais de manière très temporaire.
En effet, quelle sera la situation, qui pourrait se développer dès maintenant à supposer que les organismes de recouvrement s’emparent de la procédure d’abus de droit de manière explicite (ce qui est loin d’être évident), si un cotisant placé dans une pareille hypothèse décide de saisir la Mission nationale de contrôle pour que celle-ci transmette sa contestation à un comité inexistant ? Quelle sera la position de la jurisprudence en présence d’une telle situation ?
Quel est l’effet de l’absence d’application de la pénalité de 20 % par l’URSSAF ?
Un argument était également avancé dans les pourvois formés dans deux des trois arrêts commentés (cass. civ., 2e ch., 16 février 2023, nos 21-18322 et 21-11600 FSB), selon lequel l’URSSAF qui n’avait pas appliqué la pénalité de 20 % ne s’était délibérément pas placée sur le terrain de l’abus de droit.
C’était ainsi prolonger l’argument, déjà rejeté (voir § 8-12), selon lequel l’URSSAF seule disposait de la faculté de se placer sur le terrain de l’abus de droit et de la procédure associée.
C’est donc sans surprise, compte tenu de sa condamnation de l’abus de droit implicite, que la Cour de cassation a balayé cet argument.
Peu importe donc que l’URSSAF n’ait pas appliqué la pénalité prévue en matière d’abus de droit alors même qu’elle n’a pas respecté la procédure associée.
Quelle est la conséquence du non-respect de la procédure d’abus de droit par l’URSSAF ?
La décision de principe des trois arrêts commentés est claire à ce sujet : dès lors que l’organisme de recouvrement ne s’est pas conformé à la procédure d’abus de droit, « les opérations de contrôle et celles, subséquentes, de recouvrement sont entachées de nullité ».
La solution n’est pas surprenante, compte tenu de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation sur la sanction (la nullité) associée au non-respect par l’organisme de recouvrement des obligations procédurales qui pèsent sur lui lors d’une vérification menée pas ses agents.
Pour la même raison, n’est pas surprenante la précision apportée par l’un de ces arrêts (cass. civ., 2e ch., 16 février 2023, n° 21-11600 FSB), qui limite la portée de cette annulation au(x) seul(s) chef(s) de redressement opéré(s) sur le fondement de l’abus de droit.
Les positions et opinions émises dans cette rubrique n'engagent que leur auteur.