6 - Quelques rappels à l'ordre du juge en faveur du contribuable
Nous avons sélectionné plusieurs décisions récentes du Conseil d'État rappelant des règles essentielles de procédure en matière de contentieux fiscal.
CE 23 septembre 2022, n° 458597 ; CE 28 septembre 2022, n° 451202 ; CE 28 septembre 2022, nos 437267 et 437555 ; CE 28 septembre 2022, n° 448656
L'essentiel
La régularité du délai de réclamation du contribuable se vérifie par rapport à la date d’envoi de la réclamation, et non de réception auprès de l’administration. / 6-3
Le juge peut demander au contribuable s'il maintient ses demandes lorsque l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt que la requête conserve pour son auteur. Le juge doit en faire une juste application. / 6-5
L'administration peut modifier l'évaluation des bases d'imposition en cours de procédure. Mais dans l'hypothèse où elle utilise des renseignements obtenus de tiers pour fonder sa nouvelle évaluation, elle doit informer le contribuable, avec une précision suffisante, de l'origine et de la teneur de ces renseignements. / 6-7
L'administration doit indiquer précisément dans la notification de sa décision la juridiction compétente pour faire courir les délais de recours. / 6-9
C'est la date d'envoi qui compte dans le délai de réclamation
Délai de réclamation calqué sur le délai de reprise
Rappelons que dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration fiscale, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations (LPF art. R. 196-3).
Délais de reprise (principes) | |
---|---|
Impôt ou taxe | Délai de reprise de droit commun |
IR-IS (LPF art. L. 169) | jusqu'à la fin de la 3e année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due |
TVA (LPF art. L. 176) | jusqu’à la fin de la 3e année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible |
Taxe sur les véhicules de tourisme (CGI art. 1010 B) | jusqu'à la fin de la 3e année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible |
Une demande jugée tardive
En l'espèce, à la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration a notifié à une société en 2013 des rehaussements d'imposition en matière d'impôt sur les sociétés, de TVA et de taxe sur les véhicules de tourisme en vigueur au titre des années 2010 et 2011. Au contentieux, les demandes de la société ont été rejetées par les juges du fond en raison de leur tardiveté.
Pour juger que la demande présentée par la société devant le tribunal administratif – le 2 mai 2017 – était tardive, la cour a retenu les éléments suivants :
-d'une part, la réclamation initiale formée par la société le 19 février 2016 avait été rejetée par une décision motivée, mentionnant les voies et délais de recours, datée du 19 août 2016 et reçue au plus tard le 10 septembre 2016 ;
-d'autre part, dès lors que la nouvelle réclamation de la société, datée du 31 décembre 2016, n'avait été reçue par l'administration que le 4 janvier 2017, postérieurement à l'expiration, le 31 décembre 2016, du délai de réclamation, le rejet de cette nouvelle réclamation, par décision du 21 février 2017 notifiée le 3 mars 2017, n'avait pas rouvert le délai de recours contentieux.
Le cachet de la Poste fait foi
En se fondant non sur la date à laquelle il n'était pas contesté que la contribuable avait posté sa dernière réclamation et s'était acquittée des obligations qui lui incombaient, mais sur la date à laquelle l'administration avait reçu cette réclamation, le Conseil d'État a estimé que les juges du fond avaient commis une erreur de droit. Par suite, il a annulé l’arrêt et renvoyé l’affaire devant la cour administrative d’appel (CE 23 septembre 2022, n° 458597).
Le juge a également rappelé le principe selon lequel toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document auprès d'une autorité administrative peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d'un envoi de correspondance, le cachet apposé par les prestataires de services postaux faisant foi, ou d'un envoi par voie électronique, auquel cas fait foi la date figurant sur l'accusé de réception ou, le cas échéant, sur l'accusé d'enregistrement adressé à l'usager par la même voie conformément à l'article L. 112-11 du code des relations entre le public et l'administration (LPF art. L. 286).
Pas d'acte abusif de désistement de requête
Le juge peut inviter le contribuable à confirmer sa requête…
Dans cette affaire, le contribuable avait saisi le tribunal administratif (TA) le 23 novembre 2017 afin d'obtenir la décharge de rappels de TVA et des suppléments d'impôt sur les sociétés d'une société étrangère au titre des périodes et exercices clos en 2011 et 2012. L'administration avait produit un mémoire en défense enregistré le 4 mai 2018, auquel le contribuable avait répondu le 9 juillet suivant. L'administration avait indiqué le 24 septembre 2018 que cette réplique n'appelait pas d'observations complémentaires de sa part. Un an plus tard, par un courrier daté du 16 décembre 2019, le juge avait demandé au contribuable de confirmer le maintien de ses conclusions, en précisant qu'à défaut de réception de cette confirmation dans un délai d'un mois, il serait réputé s'être désisté de ses conclusions. Le contribuable n'ayant pas répondu à cette demande dans le délai fixé, le juge a donné acte de son désistement en janvier 2020. Les juges d'appel ont également rendu une ordonnance de rejet.
… seulement si un doute existe sur l'intérêt du maintien de la requête
En principe, lorsque l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt que la requête conserve pour son auteur, le président de la formation de jugement peut inviter le requérant à confirmer expressément le maintien de ses conclusions. La demande qui lui est adressée mentionne que, à défaut de réception de cette confirmation à l'expiration du délai fixé, qui ne peut être inférieur à un mois, il sera réputé s'être désisté de l'ensemble de ses conclusions (c. justice administrative art. R. 612-5-1).
À l'occasion de la contestation en appel de l'ordonnance prenant acte du désistement d'un requérant en l'absence de réponse à l'expiration du délai fixé, il incombe au juge d'appel de s'assurer que l'intéressé a reçu la demande de confirmation du maintien de ses conclusions, de vérifier la régularité de cette demande (délai d'au moins un mois pour répondre, information des conséquences d'un défaut de réponse) et d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article précité. Il n'appartient au juge de cassation de remettre en cause cette dernière appréciation que dans le cas où il estime qu'il a été fait un usage abusif de la faculté ouverte par ces dispositions.
Au cas présent, le Conseil d'État a estimé que le juge d'appel avait commis une erreur de droit en décidant que la procédure n'avait pas été mise en œuvre de façon abusive sans apprécier s'il en avait été fait une juste application (CE 28 septembre 2022, n° 451202).
La demande du contribuable introduite devant le tribunal administratif de Versailles tendait à la décharge d'un montant d'imposition de près d'un million d'euros, qui n'avait donné lieu à aucun dégrèvement, même partiel, en cours d'instance. Il avait en outre produit deux mémoires, dont le deuxième n'avait pas suscité d'observations complémentaires de la part de l'administration, selon son deuxième mémoire en défense, et n'appelait donc pas lui-même de réponse particulière de la part du contribuable. Dès lors, rien ne permettait de s'interroger sur l'intérêt que conservait pour ce dernier sa demande.
Obligation d'information du contribuable des documents obtenus auprès de tiers
Nouvelle évaluation de l'administration fondée sur des documents obtenus auprès de tiers…
À la suite de différentes procédures de contrôle fiscal d'une contribuable exerçant une activité de vente de fruits, légumes et autres produits d'origine espagnole, l'administration l'a assujettie à des cotisations supplémentaires d'IR et des rappels de TVA au titre de l'année 2013. Après avoir évalué au cours de la procédure d'imposition le chiffre d'affaires de l'année 2013 à partir de celui de l'année 2014, l'administration a estimé, en première instance, qu'elle devait procéder à une nouvelle reconstitution s'appuyant sur les conditions de l'exploitation de l'année 2013 (CE 28 septembre 2022, nos 437267 et 437555).
… soumise à une obligation de communication au contribuable
L'administration est en droit, à tout moment de la procédure, y compris devant le Conseil d'État faisant application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de modifier l'évaluation des bases d'imposition. Dans le cas où l'administration a utilisé des documents ou des renseignements obtenus de tiers pour fonder les impositions selon l'évaluation dont elle se prévaut au cours de la procédure contentieuse, il lui appartient, lors de l'instance devant le juge saisi pour la première fois de la nouvelle évaluation ou, le cas échéant, lors de l'instance d'appel, et au cas où cette obligation n'aurait pas déjà été satisfaite au cours de la procédure d'imposition, d'informer le contribuable, avec une précision suffisante, de l'origine et de la teneur de ces documents ou de ces renseignements, dans des délais permettant à l'intéressé d'en demander, le cas échéant, la communication et le mettant à même, après celle-ci, de présenter utilement ses observations avant la clôture de l'instruction.
Pour juger irrégulière la procédure d'imposition, la cour administrative d'appel, après avoir estimé que l'administration fiscale, d'une part, n'avait pas informé la contribuable devant le tribunal puis lors de l'instance d'appel, avec une précision suffisante, de l'origine et de la teneur des contrats de transports de marchandises par la route qu'elle avait obtenus auprès de tiers et qui lui avaient permis, lors de la première instance, de procéder à cette reconstitution et, d'autre part, n'avait pas satisfait à cette obligation au cours de la procédure d'imposition, en a déduit, sans erreur de droit, que l'administration fiscale n'avait pas respecté son obligation d'information.
La décision de rejet doit préciser la juridiction compétente
La chronologie
Des titres de perception afférents à la taxe d'aménagement ont été émis les 20 avril 2016 et 29 mars 2017. Par courrier en date du 15 juin 2017, le contribuable a saisi le directeur régional des finances publiques d'une réclamation tendant à la décharge de cette taxe, qu'il a transmise le 4 juillet 2017 au directeur départemental des territoires et de la mer des Bouches-du-Rhône. Par une décision en date du 15 mars 2018, le directeur départemental a indiqué qu'il n'était pas compétent pour statuer sur le bien-fondé du taux de la part communale de la taxe d'aménagement et a rejeté sa demande tendant au bénéfice d'une exonération.
Le contribuable a introduit une requête le 17 avril 2018 devant le tribunal administratif de Marseille, afin d'annuler les titres de perception et de le décharger des impositions correspondantes. Le juge a toutefois rejeté leur demande, estimée tardive. En effet, le juge a retenu que le contribuable disposait d'un délai de 2 mois pour contester la décision implicite de rejet du directeur départemental.
Manque de précision équivalant à un défaut de mention
Les délais de recours contre une décision administrative sont opposables s'ils ont été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision (c. justice administrative art. R. 421-5). Il résulte de ces dispositions que cette notification doit, s'agissant des voies de recours, mentionner, le cas échéant, l'existence d'un recours administratif préalable obligatoire ainsi que l'autorité devant laquelle il doit être porté ou, dans l'hypothèse d'un recours contentieux direct, indiquer si celui-ci doit être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle. En particulier, s'agissant de la contestation d'une décision devant le juge de l'impôt, la notification doit préciser, au regard de l'impôt concerné, s'il s'agit du juge judiciaire ou du juge administratif.
En l'espèce, les requérants avaient bien été informés dès le 4 juillet 2017 que le directeur départemental disposait d'un délai de 6 mois pour statuer sur l'existence, l'exigibilité ou le montant de la créance et la notification indiquait qu'en l'absence de décision ou si la décision ne leur donnait pas satisfaction, ils disposaient d'un nouveau délai de 2 mois pour assigner éventuellement, les services de l'Ordonnateur devant la juridiction compétente. Le Conseil d'État a retenu que cette seule mention, qui ne précisait pas quelle était la juridiction compétente, n'avait pas pu faire courir les délais de recours (CE 28 septembre 2022, n° 448656).