4 - Paiement du salaire et contrôle du destinataire effectif : du neuf en décembre 2022
Loïc LEWANDOWSKI
Avocat associé
HOGO Avocats
l.lewandowski@hogo-avocats.com
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Toute rémunération qui excède 1 500 € doit être nécessairement payée par chèque barré ou virement sur un compte bancaire ou postal.
La vérification du destinataire effectif dudit paiement reste alors essentielle, d’autant plus que la loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle va limiter la possibilité pour un salarié de désigner un tiers bénéficiaire à compter du 27 décembre 2022.
Les conséquences et responsabilités de l’employeur dans l’administration du personnel doivent dès lors être anticipées au regard de cette évolution.
Naturellement, certains cas particuliers continueront néanmoins d’exister (mineur non émancipé, décès du salarié, etc.).
Quelques rappels sur la législation antérieure à la loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle
Sous réserve de dispositions législatives imposant le paiement des salaires sous une forme déterminée, le salaire est payé par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal dès lors qu’il excède 1 500 € (c. trav. art. L. 3241-1 ; décret 85-1073 du 7 octobre 1985 modifié ; décret 2001-96 du 2 février 2001, art. 3).
Si le salarié a toujours été le destinataire privilégié du paiement du salaire, l’application du droit civil (c. civ. art. 1342-2) a néanmoins permis de désigner comme bénéficiaire effectif du paiement :
-tout créancier mandaté par le salarié (ou ayant reçu un pouvoir émis par ce dernier) ;
-ou tout créancier autorisé légalement ou judiciairement.
L’étude de la jurisprudence (rare en la matière) témoigne qu’en l'absence d'un tel mandat, l'employeur qui remettait la paye du salarié à un tiers s'exposait à devoir payer une seconde fois le salaire dû.
Il en a par exemple ainsi été jugé à propos de salaires ayant été versés à :
-un conjoint non mandaté (cass. soc. 4 février 1976, n° 74-40387, BC V n° 65) ;
-des parents, ascendants ou descendants non mandatés (cass. soc. 22 octobre 1996, n° 93-46087 D) ;
-un collègue de travail non mandaté (cass. soc. 19 février 1964, n° 63-40038, BC V n° 146).
L’application de la doctrine « qui paye mal, paye deux fois » transfère in fine la responsabilité de la vérification préalable du bénéficiaire effectif du salaire sur l’employeur, dans le cadre de ses prérogatives d’administration du personnel.
Dès 1976, une réponse ministérielle formalisait que lorsqu’une femme mariée occupe un emploi salarié, c'est à elle seule que doit être versé le montant de son salaire. Selon le ministre, « le mari ne pouvait percevoir lui-même le salaire que s’il était muni d’une autorisation écrite de sa femme ». Et de poursuivre que, hors autorisation expresse dérogatoire, « le versement du salaire qui serait effectué en d’autres mains que celles de la femme ne serait pas libératoire » et obligerait l’employeur à un nouveau paiement (rép. Tissandier n° 28589, JO du 17 juillet 1976, AN quest. p. 5300).
L’interdiction, à compter du 27 décembre 2022, de désigner un tiers mandaté
La loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle est notamment venue ajuster les modalités de paiement du salaire afin de favoriser l’autonomie financière des femmes et leur maîtrise de leurs comptes bancaires, mais aussi afin de lutter contre l’emprise éventuelle que conjoints ou proches peuvent faire peser sur elles (loi 2021-1774 du 24 décembre 2021, art. 1 ; c. trav. art. L. 3241-1 modifié).
Ainsi, dès le 27 décembre 2022, le futur article L. 3241-1 du code du travail imposera que le salaire soit versé sur un compte bancaire ou postal « dont le salarié est le titulaire ou le cotitulaire ».
Cette disposition se substituera pleinement à la règle générale du code civil, qui permet jusqu’à cette date le mandatement d’un tiers comme bénéficiaire du paiement du salaire.
À noter
Attention, selon nous, le fait d’être cotitulaire d’un compte ne doit surtout pas être confondu avec une simple capacité d’accéder au compte d’un tiers (conjoint, etc.).
Cette évolution des textes applicables doit à notre sens conduire à mener différentes actions, d’ici décembre 2022, sur les effectifs salariés présents :
-contrôle des identités référencées sur les justificatifs des comptes bancaires ou postaux ;
-information/invitation des salariés ne répondant plus au cadre légal à transmettre un justificatif de compte bancaire ou postal à leur nom ou tout justificatif permettant de démontrer leur qualité de cotitulaire dudit compte.
À noter
Pour justifier de la qualité de cotitulaire, la formalisation d’une simple attestation sur l’honneur nous paraît inadaptée eu égard à l’objectif de la réforme visant à lutter contre les situations d’emprise des conjoints ou proches. Seuls un justificatif émis par la banque hébergeant le compte ou un RIB mentionnant les noms et prénoms du (des) titulaire(s), paraissent de nature à assurer un contrôle effectif.
Par ailleurs, il semble également nécessaire d’adapter les procédures administratives d’intégration d’un salarié et de suivi des anomalies non régularisées (relances périodiques a minima annuelles), notamment dans le cadre de la collecte des justificatifs et de leur contrôle.
La bonne compréhension de ce nouveau dispositif semble orienter l’employeur sur une obligation de moyen renforcée, dès lors qu’il paraît difficile d’imaginer la mise en cause de sa responsabilité si le salarié fournit sciemment, ou non, des justificatifs erronés.
Focus sur deux cas particuliers, le mineur non émancipé et le salarié décédé
Le mineur non émancipé
Pour le cas d’un enfant mineur non émancipé, il faut bien entendu prendre en compte les règles inhérentes à l’autorité parentale.
Ainsi, seul un titulaire de l’autorité parentale peut autoriser le paiement effectif du salaire à un mineur.
Il a néanmoins été admis que cette autorisation parentale puisse être acquise tacitement, à défaut d’opposition expresse d’un titulaire de l’autorité parentale. Attention, en cas d’opposition formalisée, l’employeur qui payerait le salaire au mineur s'expose au risque de devoir payer une seconde fois le salaire dû audit opposant.
À noter
Pour sa part, le mineur émancipé peut pleinement contracter. Il entre dans le champ d’application de la législation prohibant le paiement du salaire à un tiers mandaté.
Le salarié décédé
Au décès d’un salarié, les sommes n’ayant pas encore été payées par son employeur sont dues à tous les héritiers du salarié qui constituent la succession.
Si la succession est ouverte devant un notaire, l’employeur devra alors s’assurer du paiement des sommes dues au seul notaire.
À défaut d’intervention d’un notaire dans la succession, tout héritier justifiant de sa qualité et d’une procuration émanant des autres héritiers pourra être bénéficiaire effectif du paiement.
Pour un montant inférieur à 5 000 €, l’héritier doit justifier d’un certificat d’hérédité émis par la mairie du domicile du défunt. Pour un montant supérieur ou égal à 5 000 €, l’héritier doit justifier d’un acte de notoriété émis par un notaire ou par le greffe du tribunal judiciaire du domicile du défunt. NB : ce montant de 5 000 € est revalorisé annuellement en fonction de l'indice INSEE des prix à la consommation hors tabac (arrêté du 7 mai 2015 pris en application de l'article L. 312-1-4 du code monétaire et financier).
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