5 - La loi sur le Pass vaccinal met en exergue la prévention des risques liés à la covid-19
Sandrine Bacigalupi
Avocat
Cabinet HDV Avocats
Emmanuelle Tournaire
Avocat
Cabinet HDV Avocats
La loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, publiée au JO du 23 janvier 2022, n’est pas sans soulever des questionnements, notamment concernant les principes généraux de prévention à respecter par l’employeur afin d’éviter tout risque d’exposition à la covid-19. Si beaucoup se sont focalisés sur la mesure de prévention que peut constituer le télétravail, le texte est en réalité bien plus large. Il renforce l’obligation de prévention qui pèse sur l’employeur ainsi que les mesures de contrôle et de sanctions prononcées à l’encontre des entreprises.
Derrière l’amende administrative, l’obligation de prévention
Après quasiment deux semaines de navettes parlementaires et de rebondissements en tout genre, le texte de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique a donc été définitivement adopté le dimanche 16 janvier par le Parlement et a été publié au Journal officiel le 23 janvier 2022 (loi 2022-46 du 22 janvier 2022).
Malgré le fait que le Sénat ait retouché en de multiples points le projet, c’est finalement un texte quasiment similaire à celui présenté en Conseil des ministres qui a été retenu par l’Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel a été saisi et a rendu sa décision le 21 janvier 2022, validant pour l’essentiel le pass vaccinal.
Toutefois, c’est un article non censuré par le Conseil constitutionnel, amendé par le Sénat, mais maintenu par l’Assemblée nationale qui retiendra ici notre attention : celui sur la procédure d’amende administrative dont le gouvernement a doté l’inspection du travail.
Le I de l’article 2 du texte de loi cache à notre sens un champ d’application bien plus large que celui qui a été entrevu, avec des risques accrus pesant sur l’employeur.
La véritable portée de l’obligation de prévention
Au-delà du télétravail
Les débats parlementaires précédant l’adoption définitive du texte de loi, laissaient présager que les mesures de prévention de nature à lutter contre la propagation de la covid-19 concerneraient seulement le télétravail en entreprise, or tel n’est pas le cas.
Toutes les entreprises concernées
Principes généraux de prévention
Le texte de loi précise dans son article 2 que « […] la situation dangereuse résulte d’un risque d’exposition à la covid-19 du fait du non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention prévus aux articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L. 4522-1 du même code […] » (loi 2022-46 du 22 janvier 2022, art. 2).
Il ne vise donc pas expressément le télétravail mais les principes généraux de prévention pesant sur l’employeur, qui ont une portée beaucoup large que la seule mise en place du télétravail.
En effet et dans le cadre de ces principes généraux de prévention, l'employeur doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Ces mesures comprennent (c. trav. art. L. 4121-1) :
-« des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;
-des actions d'information et de formation ;
-la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. »
Le code du travail nous précise en outre que « l'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».
Obligation de sécurité de l’employeur
Ce texte est le fondement même de l’obligation de sécurité incombant à l'employeur. S’agissant de la portée d’une telle obligation, les juges avaient initialement dégagé de ces textes (c. trav. art. L. 4121-1 et s.) une obligation de sécurité de résultat (cass. soc. 28 février 2006, nº 05-41555, BC V n° 87 ; cass. soc. 5 mars 2008, nº 06-45888, BC V n° 46).
Cette position a toutefois évolué vers une obligation de moyens renforcée, permettant ainsi à l’employeur d’écarter sa responsabilité lorsqu’il a scrupuleusement respecté les dispositions légales lui enjoignant de prévenir les risques professionnels. En effet, depuis l’automne 2015, la jurisprudence considère que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail » (cass. soc. 25 novembre 2015, nº 14-24444, BC V n° 234).
Cette obligation de sécurité de moyens renforcée s’applique ainsi à toutes les entreprises et ce, quels que soient le secteur d’activité et l’effectif. Dès lors, aucune entreprise ne saurait s’exonérer de l’application de telles dispositions, sous peine de voir sa responsabilité tant civile que pénale engagée.
L’employeur est donc le garant de cette obligation de sécurité.
En corollaire, l’évaluation des risques
Le corollaire de cette obligation de prévention est bien sûr celle relative à l’évaluation des risques professionnels (c. trav. art. L. 4121-2).
Rappelons que l’évaluation des risques professionnels et notamment ceux liés à la covid-19 doit impérativement être faite au sein du document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP).
Cette évaluation et cette retranscription sont d’autant plus importantes dans un contexte de pandémie mondiale, raisons pour lesquelles, la cour d'appel de Versailles confirmant la décision du tribunal judiciaire de Nanterre avait condamné la société Amazon pour ne pas avoir suffisamment évalué les risques induits par la covid-19 à l'égard des salariés (CA Versailles, 24 avril 2020, n° 20/01993).
Le télétravail comme élément de prévention
Cité par le protocole, pas par la loi
Cette obligation de sécurité impose ainsi à l’employeur de protéger la santé des salariés face au risque covid-19 par la mise en place notamment de l’ensemble des mesures préconisées par le protocole national sanitaire en entreprise.
Or, le texte de loi susvisé ne vise pas expressément le télétravail. Pour autant, il ne semble pas possible d'échapper à sa mise en place, notamment au regard de l'ordonnance de référé qui a été rendue le 19 octobre 2020 par le Conseil d'État (CE 19 octobre 2020, n° 444809).
Pour mémoire, le Conseil d'État, saisi d'une demande de suspension du protocole national par le syndicat patronal Alliance Plasturgie, a rendu une ordonnance au visa notamment de l'article L. 4121-1 du code du travail en indiquant qu'« il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur est tenu de prendre et doit pouvoir justifier avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Cette obligation de sécurité impose à l'employeur de revoir, au vu des risques et des modes de contamination induits par le virus du covid-19, l'organisation du travail, la gestion des flux, les conditions de travail et les mesures de protection des salariés. L'appréciation du respect de cette obligation par l'employeur s'effectue nécessairement, en vertu notamment du dernier alinéa de l'article L. 4121-1, en tenant compte de l'état des connaissances scientifiques en la matière, lesquelles sont publiquement diffusées, notamment par le Haut conseil de la santé publique » (CE 19 octobre 2020, n° 444809).
Le Conseil d'État s'agissant du protocole sanitaire précise qu’il « constitue un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l'obligation de sécurité de l'employeur dans le cadre de l'épidémie de covid-19 en rappelant les obligations qui existent en vertu du Code du travail. ».
Ainsi l'application des mesures énoncées au sein du protocole sanitaire participe au respect des dispositions légales s'agissant des principes généraux de prévention.
Pour autant, de nombreuses activités ne sont par nature, pas « télétravaillables » ; en effet, les secteurs d’activité tels que le secteur médical, le secteur industriel, le secteur de l’hôtellerie restauration etc., ne peuvent, pour la majorité des postes de travail, télétravailler.
Un outil de prévention quasi incontournable pour les postes qui le permettent
Dès lors, le seul fait que le salarié soit exposé au risque de la covid-19 n’est-il pas de nature à porter atteinte à l’obligation de sécurité ? Selon la rédaction même du texte, il semblerait, qu’une sorte de présomption de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ait été créée.
Ainsi, l’absence de mise en place du télétravail ou l’exposition au risque pourrait faire présumer un tel manquement de l’employeur, ce qui n’est pas sans conséquence. Cette présomption offrirait donc un régime probatoire allégé en faveur du salarié en ce qu’il appartiendrait à l’employeur de démontrer en premier lieu, qu’il a bien mis en œuvre et respecté son obligation de sécurité.
En conséquence et sans doute en raison d’une procédure parlementaire particulièrement accélérée et précipitée, la rédaction de ce texte n’est pas sans soulever, de nombreuses incertitudes concernant la responsabilité de l’employeur face au risque covid-19.
L'employeur a la responsabilité de protéger la santé de ses salariés face au risque d'exposition à la covid-19. Pour autant, celui-ci pourrait-il invoquer une cause étrangère exonératoire de responsabilité en excipant le fait que ce virus est extérieur, imprévisible et irrésistible ?
Il ne nous semble pas au regard des mesures de contrôle et de sanctions prévues par le texte de loi.
Contrôle, sanctions et possibles actions judiciaires
La procédure de contrôle et de sanction de l’autorité administrative
Pouvoirs de contrôle déjà existants
Au rang des pouvoirs de contrôle et de sanction déjà existants de l’autorité administrative concernant la santé et la sécurité au travail figure la procédure des articles L. 4721-1 et suivants du code du travail.
S’appuyant sur un rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail constatant une situation dangereuse, le DREETS peut mettre en demeure l'employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier, si ce constat résulte d'un non-respect par l'employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L. 4522-1 du code du travail, ou d'une infraction à l'obligation générale de santé et de sécurité résultant des dispositions de l'article L. 4221-1 du même code.
Si à l’expiration d’un délai fixé par voie réglementaire, la situation n’a pas cessé, l'agent de contrôle de l'inspection du travail peut dresser un procès-verbal à l’employeur.
La nouvelle procédure d’amende administrative
Le texte de loi s’est inspiré en partie de ces articles pour octroyer à l’autorité administrative une nouvelle procédure de contrôle et de sanction en cas de non-respect des principes généraux de prévention afin d’éviter tout risque d’exposition à la covid-19.
La loi prévoit ainsi que sur un rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail constatant une situation dangereuse, le DREETS peut mettre en demeure l'employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier (loi 2022-46 du 22 janvier 2022, art. 2, I).
La nouveauté réside dans la possibilité ouverte au DREETS de sanctionner par une amende administrative l’employeur si, à l’expiration du délai d’exécution de la mise en demeure prévue à l’article L. 4721-1 du code du travail, l’agent de contrôle de l’inspection du travail constate que la situation dangereuse n’a pas cessé.
Toutefois, cette sanction administrative n’est possible qu’en l’absence de poursuites pénales.
L’Inspection du travail a donc le choix, une fois son rapport dressé, de se diriger vers des poursuites pénales ou d’adresser une mise en demeure à l’employeur, et éventuellement une amende si la situation perdure.
S’il choisit les poursuites pénales, la voie de la sanction administrative ne lui sera plus ouverte.
La situation inverse est-elle possible ? Le texte ne semble pas l’exclure. À ce jour, il n’existe qu’un cas de cumul de la répression pénale et administrative, celui du travail illégal. Ce texte pourrait donc créer un second cas de cumul possible. Il sera également relevé que le texte n’offre aucune précision sur les poursuites pénales qu’il mentionne.
Doit-on en déduire qu’il s’agit de celles visées à l’article L. 4721-5 du code du travail en cas de danger grave ou imminent pour l'intégrité physique des travailleurs ? Il semble que oui.
Le délit de mise en danger de la vie d'autrui prévu par le code pénal (c. pén. art. 223-1) pourrait également fonder les actions pénales introduites contre l'employeur, tout comme les infractions non intentionnelles d'atteinte involontaire à l'intégrité d'un salarié ayant subi une interruption de travail inférieure ou égale à trois mois, supérieure à trois mois ou d'atteinte involontaire à la vie en cas de décès (c. pén. art. 222-19, 222-20 et 221-6).
Notons enfin que le Sénat avait supprimé la procédure d’amende d’administrative. L’Assemblée nationale n’en a pas tenu compte et a seulement diminué de moitié son montant, la faisant passer de 1 000 € par salarié concerné à 500 € au maximum par salarié concerné (un montant moindre est donc possible), dans la limite globale de 50 000 €.
Le recours hiérarchique contre la décision d’amende administrative
Comme toute décision administrative, un recours hiérarchique est offert à l’employeur.
Toutefois, il diffère de la procédure habituellement connue. À compter de la notification de la décision, l’employeur dispose d’un délai de 15 jours pour introduire son recours hiérarchique. Celui-ci est suspensif contrairement à la procédure habituelle, la sanction ne s’applique donc pas le temps du recours.
Le Ministre du travail dispose d’un délai de deux mois pour rendre sa décision, contre quatre normalement.
Autre différence et non des moindres, l’absence de réponse du Ministre vaut acceptation du recours et donc infirmation de la sanction administrative prononcée. Cette procédure dérogatoire (délais raccourcis, suspension de la décision, silence valant acceptation du recours) est sûrement liée d’une part à l’urgence de la situation sanitaire et d’autre part à la volonté de ne pas trop pénaliser l’entreprise.
Le risque contentieux avec les salariés
Droit de retrait et droit d’alerte
Outre les sanctions administratives, le salarié s’estimant exposé à une situation dangereuse liée à l’exposition à la covid-19, du fait des manquements de l’employeur aux principes généraux de prévention, peut faire valoir son droit de retrait s’il constate l'existence d'un danger « grave et imminent » le concernant (c. trav. art. L. 4131-1).
Le CSE peut également engager la procédure d’alerte dans les conditions prévues par les textes (c. trav. art. L. 4131-2).
Demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
Au plan judiciaire, il est d’abord possible d’envisager la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité formulée par le salarié devant le conseil de prud’hommes.
Encore faudra-t-il que ce dernier démontre l’existence d’une faute de son employeur, d’un préjudice réel, actuel et certain et d’un lien de causalité entre les deux.
Quant au montant pouvant être octroyé, il sera laissé à l’appréciation des juges du fond.
Actions en résiliation judiciaire et prise d’acte de la rupture du contrat
Le salarié peut également engager une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail ou prendre acte de la rupture de son contrat de travail au motif d’un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur.
En la matière, la position de la Cour de cassation a évolué.
Si auparavant elle s'était orientée vers une reconnaissance automatique du manquement de l'employeur, en se fondant sur l'obligation de sécurité de l'employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés (cass. soc. 23 janvier 2013, n° 11-18855, BC V n° 15 ; cass. soc. 30 octobre 2013, n° 12-15133 D), elle laisse aujourd’hui aux juges du fond la faculté d’apprécier si le manquement est suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail du salarié (cass. soc. 15 janvier 2015, n° 13-17374 D ; cass. soc. 30 mars 2017, n° 15-24142 D).
Concernant la charge de la preuve, dès lors que le salarié invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, il revient à l'employeur de démontrer l'absence de manquement de sa part à son obligation de sécurité.
Les juges du fond, devront ensuite tenir compte des circonstances concrètes dans lesquelles les manquements reprochés à l'employeur sont intervenus et dans quelle mesure ceux-ci rendent impossible la poursuite du contrat de travail.
En cas de maladie professionnelle, le risque « faute inexcusable »
Il est enfin possible d’imaginer une demande de reconnaissance de faute inexcusable de la part de salariés concernés par le décret 2020-1131 du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-COV2.
En effet, ce décret a créé deux nouveaux tableaux de maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la sécurité sociale : le tableau n° 100 pour le régime général et le tableau n° 60 pour le régime agricole.
Ils font bénéficier les soignants et assimilés d'une présomption d'imputabilité pour la reconnaissance des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 en maladies professionnelles dès lors que trois conditions cumulatives sont réunies :
-la maladie contractée correspond à celle figurant dans le tableau ;
-le délai de prise en charge est respecté et la victime a exercé une activité susceptible de provoquer la maladie.
Ainsi, si l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel étaient exposés ces salariés, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, une telle action pourrait aboutir.
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