9 - Coût de frein à la taxation des établissements industriels
Revirement de jurisprudence sur l'exonération des biens d'équipement spécialisés. Retour aux principes pour la requalification d'établissements en établissements industriels. Le juge de l'impôt réduit les marges de manœuvre de l'administration fiscale pour l'imposition à la CFE et à la taxe foncière.
CE 11 décembre 2020, n° 422418 ; CAA Versailles 24 novembre 2020, n° 18VE02679 ; CAA Paris 18 novembre 2020, n° 19PA00802
L'essentiel
Même indissociables de l'immeuble auxquels ils sont incorporés, des biens d'équipement spécialisés sont exonérés dès lors qu'ils sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel. / 9-1 à 9-3
Si le rôle des moyens mis en œuvre n’est pas prépondérant, l'établissement n'est pas industriel. / 9-4
Si la valeur des moyens n'est pas importante, un établissement ne peut pas être qualifié d'industriel. / 9-5
Exonération des biens d’équipement spécialisés
Interprétation restrictive du Conseil d'État
Les outillages, autres installations et moyens matériels d’exploitation des établissements industriels, dits « biens d’équipement spécialisés », sont exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties (CGI art. 1382, 11° ; voir « CFE-CVAE-Taxes foncières », § 4013). Les biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties sont également exclus, dans les mêmes conditions, de la base d’imposition à la cotisation foncière des entreprises (CFE) (CGI art. 1467, al. 1 ; voir RF 1117, § 1520).
L'exonération ne porte pas sur les installations, ouvrages et voies de communication mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381 du CGI, c'est-à-dire (voir RF 1117, §§ 4007 à 4009) :
-les installations destinées à abriter des personnes ou des biens ou à stocker des produits ainsi que les ouvrages en maçonnerie présentant le caractère de véritables constructions tels que, notamment, les cheminées d'usine, les réfrigérants atmosphériques, les formes de radoub et les ouvrages servant de support aux moyens matériels d'exploitation ;
-les ouvrages d'art et les voies de communication.
Selon la doctrine, les biens d’équipement spécialisés s’entendent des immobilisations qui sont intégrées directement et matériellement dans le processus de fabrication, de transformation ou de manutention et qui servent spécifiquement à l’exercice de l’activité professionnelle (BOFiP-IF-CFE-20-20-10-20-§ 10-12/09/2012).
Dans une précédente jurisprudence, le Conseil d'État avait adopté une définition restrictive de la notion de biens d'équipement spécialisés. Il subordonnait l’exonération des outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels à une double condition : d'une part, participer directement à l'activité industrielle de l'établissement et, d'autre part, ce qui n'est pas prévu par la loi, être dissociables des immeubles et ne pas faire corps avec eux (CE 25 septembre 2013, n° 357029). L'administration et, en cas de contentieux, les juges de l'impôt ont fréquemment invoqué le caractère dissociable de ces biens pour les intégrer dans la base d'imposition à la taxe foncière et, par conséquent, à la CFE.
Revirement de jurisprudence
Dans une nouvelle décision de principe rendue en formation plénière, le Conseil d'État revient sur sa jurisprudence (CE 11 décembre 2020, n° 422418).
La Haute Assemblée casse pour erreur de droit un arrêt de cour administrative d’appel qui avait refusé l’exonération des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation (des installations électriques notamment) participant directement à l'activité industrielle d’un établissement au motif qu’ils ne pouvaient être spécifiquement adaptés au processus industriel mis en œuvre par l'entreprise, qu'ils pouvaient être utilisés en cas d'affectation des locaux à d'autres activités et qu'ils n'avaient pas vocation, sauf preuve contraire qui n'était pas rapportée, à être dissociés de l'immeuble auquel ils avaient été incorporés (CAA Nantes 31 mai 2018, n° 16NT03150).
Dans sa nouvelle jurisprudence, le Conseil d'État définit les biens d’équipement spécialisés susceptibles d'exonération comme ceux qui, à la fois :
-relèvent d'un établissement qualifié d'industriel, au sens de l'article 1499 du CGI ;
-sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement,
-et ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381 du CGI (voir § 9-1).
Jurisprudence ouvrant la voie à des réclamations
Les contribuables susceptibles d’obtenir l’exonération des biens d’équipement spécialisés des établissements industriels sur le fondement de cette nouvelle jurisprudence adresseront, avant le 31 décembre 2020, les réclamations relatives à la taxe foncière et à la CFE de 2019 et celles relatives aux impositions mises en recouvrement ou payées en 2019.
Ils devront adresser, avant le 31 décembre 2021, les réclamations relatives à la taxe foncière et à la CFE de 2020 et celles relatives aux impositions mises en recouvrement ou payées en 2021.
Par ailleurs, si le contribuable a fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations (CGI, LPF art. R. 196-3). Ainsi, le délai de réclamation expire le 31 décembre 2020 pour contester les rectifications opérées par l’administration par proposition de rectification reçue en 2017. Le délai de réclamation expirera le 31 décembre 2021 pour contester les rectifications opérées par l’administration par proposition de rectification reçue en 2018.
Un établissement ne peut pas être qualifié d'industriel si…
... le rôle de l'outillage n'est pas prépondérant
Pour la détermination de la valeur locative servant de base à la taxe foncière sur les propriétés bâties et, par conséquent, à la CFE, revêtent un caractère industriel les établissements dont l'activité nécessite d'importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers, mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre, fût-ce pour les besoins d'une autre activité, est prépondérant. Cette définition, qui résulte de la loi à compter de 2020 (CGI art. 1500, I. A), est la transposition d’une jurisprudence constante pour l'application de l'article 1499 du CGI (voir RF 1117, §§ 1631 et 1632).
Pour l’application de ces dispositions, un établissement dans lequel sont mis en œuvre, pour l'exercice de ses activités, des moyens techniques importants ne peut pas être qualifié d’industriel lorsque le rôle exercé par ces derniers ne peut être regardé comme prépondérant au vu de l'ensemble des activités exercées au sein de l'établissement (CAA Versailles 24 novembre 2020, n° 18VE02679).
En l'espèce, une société exploitait un établissement spécialisé en vente de serrurerie, menuiserie aluminium et structures et charpentes métalliques dans lequel elle exerçait des activités de conception, fabrication et pose d'ouvrages et matériels métalliques.
Compte tenu des nombreux équipements techniques et lourds dont elle disposait pour son activité de fabrication, l’entreprise devait être regardée comme ayant mis en œuvre d'importants moyens techniques pour l'exercice de ses activités, sans qu'il y ait lieu de rapporter la valeur de ces matériels et outillage à la valeur des immobilisations de la société ou de comparer ces équipements aux moyens humains requis.
Toutefois, la conception et la pose, très peu sous-traitées, constituaient le cœur de métier de l’activité. Le savoir-faire de production avait un caractère artisanal, avec une part d'industrialisation quasiment nulle, la main-d’œuvre de fabrication travaillant essentiellement de façon manuelle à l'aide d'outillage individuel. Ainsi, le second critère, à savoir le rôle prépondérant exercé par les moyens techniques, n'était pas rempli.
... la valeur des moyens n'est pas importante
Depuis le 1er janvier 2020, un établissement ne peut pas être qualifié d’industriel lorsque la valeur des installations techniques, matériels et outillages présents dans les bâtiments ou sur les terrains et destinés à l'activité ne dépasse pas 500 000 € (CGI art. 1500, I. B ; voir RF 1117, §§ 1630 et 4130). La cour administrative d’appel de Paris vient de se référer à cette limite pour accorder la décharge de CFE dans le cadre d’un contentieux portant sur les impositions de 2012 à 2014 (CAA Paris 18 novembre 2020, n° 19PA00802).
Faisant droit à la demande de l’entreprise, la cour administrative d’appel juge que l'établissement ne présentait pas un caractère industriel, par application des critères cumulatifs rappelés au paragraphe précédent (voir § 9-4), et que l'administration n'était pas fondée à déterminer sa valeur locative selon la méthode comptable.
En l’espèce, une société exerçait une activité de production de pâtisseries et viennoiseries, pour les 20 boutiques de l'enseigne.
Les locaux utilisés représentaient une superficie relativement modeste (598 m2 pour la viennoiserie, 394 m2 pour la pâtisserie). Le personnel employé à l'activité était de 48 personnes, soit environ 2,5 personnes par point de vente final, pour une masse salariale globale de 995 103 € en 2012, 1 119 101 € en 2013 et 1 105 526 € en 2014.
La valeur comptable des installations techniques, matériels et outillages comptabilisée au bilan de la société était inférieure à 500 000 € pour chacune des années concernées (213 164 € en 2012, 412 233 € en 2013 et 435 311 € en 2014) et était notamment composée de matériels, matrice à croissants, silos, trancheurs, broyeurs, chambres froides, batteurs et fours à haute température ayant les mêmes caractéristiques que ceux utilisés par les artisans qui fabriquent des viennoiseries et des pâtisseries.
Ce matériel nécessitait une intervention humaine constante et ne pouvait pas être regardé comme important compte tenu des procédés de fabrication mis en œuvre.
« CFE-CVAE-Taxes foncières », RF 1117, §§ 1572, 1573, 1630 à 1632, 4006 à 4009 et 4130