7 - Ordonnances Travail : de nouveaux outils d’anticipation
Patrick Thiébart et Déborah David
Avocats associés
Jeantet
Après les réformes intervenues sous le précédent quinquennat, dont la très médiatique loi El Khomri du 8 août 2016, la France poursuit la réforme de son droit du travail avec les ordonnances du 22 septembre 2017. Elles donnent notamment aux entreprises la capacité d’anticiper et de s’adapter de façon simple, rapide et sécurisée aux mutations de leurs marchés, à travers des mesures telles les accords de compétitivité « nouvelle formule » et les ruptures conventionnelles collectives, qui sont totalement déconnectées du droit du licenciement économique, ou encore la réécriture d’outils existants tels que la GPEC et le congé de mobilité. Des réformes d’autant plus intéressantes qu’elles se combinent à des mesures visant à faciliter la conclusion d’accords collectifs.
Les nouveaux accords de compétitivité
L’échec des dispositions antérieures
Ni les accords de maintien de l’emploi, ni les accords de préservation ou de développement de l’emploi n’ont donné les résultats escomptés
On a connu les accords de maintien de l’emploi, puis les accords de préservation ou de développement de l’emploi. Souhaitons la bienvenue aux nouveaux accords de compétitivité consacrés par les ordonnances du 22 septembre 2017. Souhaitons-leur surtout plus de réussite que leurs prédécesseurs.
Les accords de maintien de l’emploi (AME), d’orientation défensive, visaient à restaurer la compétitivité lorsque l’entreprise était en difficulté, tandis que leurs successeurs, les accords en faveur de la préservation et du développement de l’emploi (APDE), plus préventifs, visaient à conserver ou améliorer la compétitivité de l’entreprise en lui permettant, par ce biais, de conquérir, par exemple, de nouveaux marchés.
Ces accords ont été finalement très peu utilisés en pratique, en raison principalement de leur caractère restrictif ainsi que des incertitudes relatives à leurs effets sur les contrats de travail individuel et à la nature du licenciement pouvant résulter d’un refus de modification par les salariés.
Accords de maintien de l’emploi (AME) : chronique d’un échec annoncé
Le moins que l’on puisse dire est que les accords de maintien de l’emploi n’ont pas eu le succès escompté. Il n’en a été recensé que dix, tous conclus d’ailleurs entre la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 et le 15 mars 2015 et dont les PME ont été les principales bénéficiaires.
L’échec de ces accords était programmé car leur objet était tellement flou que s’ensuivait une totale insécurité juridique pour les entreprises.
Ainsi, la loi limitait l’accès aux accords de maintien de l’emploi aux situations dans lesquelles les entreprises rencontraient des difficultés à la fois « graves » et « conjoncturelles ». Or ces notions, en apparence antinomiques, étaient trop vagues et sujettes à d’interminables interprétations.
En outre, les entreprises signataires devaient s’engager, sous peine de sanction, à ne procéder à aucun licenciement pour cause économique pendant toute la durée de l’accord, ce qui était une véritable ineptie puisque les entreprises étaient précisément supposées être en difficulté.
Enfin, les salariés licenciés, pour avoir refusé l’accord à titre individuel, pouvaient toujours contester leur licenciement en justice dans la mesure où celui-ci devait intervenir pour motif économique.
Accords de préservation ou de développement de l’emploi (APDE) : un an (ou presque) et puis c’est tout !
Les accords de préservation ou de développement de l’emploi (APDE) n’ont, pour leur part, vécu que quelques mois, puisque nés avec la loi Travail du 8 août 2016, ils n’ont pas survécu aux ordonnances du 22 septembre 2017.
Si ces accords semblaient pouvoir être déconnectés de toute difficulté économique, puisqu’au-delà de la préservation d’emploi leur objet pouvait également être destiné à développer l’emploi, en améliorant la compétitivité des entreprises, ils n’en étaient pas moins emprunts d’un certain flou (ne serait-ce que de par leur titre !).
En outre et surtout, la latitude des négociateurs était encadrée. Ainsi, l’accord ne pouvait avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié. D’une certaine façon, on continuait à brider la liberté d’organisation des entreprises au nom de la protection des salariés.
Les nouveaux accords de compétitivité : des raisons d’espérer
Un cadre juridique unifié
Partant du constat que la superposition d’accords à régime distinct selon leur objectif était le signe de leur échec, le gouvernement a finalement décidé de s’inspirer de la pratique des entreprises dont le succès n’a jamais été démenti, à savoir les accords compétitivité.
Ces nouveaux accords, qui remplacent et abrogent les AME, les APDE mais aussi les accords de mobilité et les anciennes règles régissant la modification du contrat de travail par un accord de réduction du temps de travail, résultent de l’ordonnance n° 1.
Ils ont pour objet de permettre aux entreprises d’anticiper et de s’adapter rapidement aux évolutions à la hausse ou à la baisse de leur marché, par des accords majoritaires simplifiés qui peuvent prévoir (c. trav. art. L. 2254-2) :
-l’aménagement de la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ;
-l’aménagement de la rémunération (dans le respect du SMIC et des salaires minima conventionnels) ;
-ou encore la détermination des conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
Les efforts qui sont demandés aux salariés, dans ce cadre, ont pour objet de donner plus de compétitivité à l’entreprise. En effet, les modifications apportées aux contrats de travail que les accords de compétitivité induisent ont pour effet de permettre à l’entreprise de se maintenir face à une concurrence susceptible d’engendrer, à défaut de réaction, des difficultés économiques. Ils constituent donc un outil efficace de lutte contre les difficultés de l’entreprise qui sont anticipées par l’accord.
Déconnexion des difficultés économiques
Contrairement aux outils antérieurs, il n’y a aucune ambiguïté sur le fait que ces nouveaux accords sont totalement déconnectés de l’existence actuelle ou à venir de difficultés économiques puisqu’ils peuvent être conclus pour notamment répondre aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise.
Ils sont soumis aux modalités de validité des accords majoritaires, puisqu’ils doivent être signés par des syndicats représentant 50 % des votants aux dernières élections professionnelles.
Des règles moins tatillonnes pour les entreprises
L’accord de compétitivité doit définir ses objectifs dans un préambule et peut préciser les modalités d’information des salariés, les conditions dans lesquels les dirigeants et mandataires sociaux fournissent eux aussi un effort, les modalités prévues de conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle induite par les changements qu’elle entraîne.
Pour autant, aucune sanction n’est envisagée en cas de défaut de préambule, ce qui distingue ce nouveau dispositif de celui des APDE, version El Khomri.
Les dispositions de l’accord de compétitivité se substituent de plein droit aux clauses contraires ou incompatibles du contrat de travail
La grande nouveauté de ces nouveaux accords est que leurs stipulations se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, quand bien même leurs dispositions seraient moins favorables aux salariés, en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique (c. trav. art. L. 2254-2, III).
Cela était déjà le cas des APDE, à cette différence près qu’ils ne pouvaient aboutir à une réduction de la rémunération. En d’autres termes, le véritable renversement de la hiérarchie des normes se trouve en réalité dans ce dispositif, bien plus que dans la loi El Khomri qui avait pourtant soulevé les foules.
Le nouvel accord est un véritable outil de compétitivité (d’où le nom qui lui est communément donné, même si ce terme ne figure pas expressément dans le code du travail). Loin d’être anodine, la possibilité offerte de rompre le contrat du salarié qui refuse les changements permet de transformer l’entreprise sans pour autant déclencher une restructuration lourde accompagnée de licenciements économiques.
Le salarié peut refuser, dans un délai d’un mois à compter de la date d’information des salariés sur le contenu de l’accord, la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord et faire, dans ce cas, l’objet d’un licenciement. Son silence dans le délai d’un mois vaut acceptation
Désormais, le seul refus des modifications du contrat issues de l’accord est un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. Ainsi, la procédure de licenciement à mettre en œuvre est celle applicable aux licenciements individuels pour motif personnel, notamment en matière d’entretien préalable, de notification du licenciement et de conseiller du salarié.
L’employeur n’est bien entendu pas obligé de licencier les salariés ayant refusé la modification de leur contrat de travail mais s’il le fait, il disposera, conformément à un amendement intégré dans la loi de ratification adoptée par l’Assemblée Nationale le 28 novembre 2017, d’un délai maximum de 2 mois pour engager une procédure de licenciement à l’égard du salarié récalcitrant.
L’employeur n’a pas, à cet égard, à faire application de critères d’ordre de licenciement pour sélectionner les salariés qu’il entend conserver. Cela ne saurait étonner puisque le licenciement n’intervient pas en l’espèce pour un motif économique. La possibilité pour l’employeur de choisir quels salariés licencier ne porte pas atteinte à l’égalité devant la loi. C’est ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 octobre 2017 à propos des anciens APDE (C. constit., décision 2017-665 QPC du 20 octobre 2017, JO du 22). Cette décision n’a pas qu’un simple intérêt historique en dépit du fait que ce dispositif a été supprimé par l’ordonnance 2017-1385 du 22 septembre 2017. En effet, comme l’accord de compétitivité nouvelle mouture consacre également un licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, de sorte que la décision du Conseil constitutionnel nous paraît transposable.
Lorsque le licenciement est prononcé pour avoir refusé l’application de l’accord de compétitivité, l’ancien salarié bénéficie de ses droits à l’assurance chômage.
L’employeur doit, par ailleurs, abonder son compte personnel de formation à hauteur de 100 heures.
À noter
Un amendement adopté dans le cadre de l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances Travail, qui prévoit que l’abondement de 100 heures constitue un minimum mais aussi que l’accord peut également porter sur les modalités d’accompagnement des salariés refusant son application. S’il venait à être confirmé, cet amendement rendrait le dispositif beaucoup moins favorable aux employeurs puisqu’il induirait une négociation sur les modalités d’accompagnement, dont le contenu pourrait remettre en question le principe même de l’absence de coût supplémentaire lié aux licenciements prononcés dans ce cadre.
La stabilisation des accords de compétitivité
Présomption de légalité de l’accord collectif
Diverses mesures de l’ordonnance 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective visent à sécuriser les accords innovants.
Ainsi, l’article 4 de l’ordonnance, insère dans le code du travail une présomption simple de conformité de l’accord collectif à la loi (c. trav. art. L. 2262-13).
Cela signifie qu’il appartient à celui qui conteste la légalité de l’accord d’apporter la preuve qu’il n’est pas conforme aux conditions légales qui le régissent. Ce n’est jamais que la transposition du principe selon lequel il appartient au demandeur de justifier du bien-fondé de ses allégations !
Délai de contestation de l’accord collectif
Par ailleurs, le délai pour engager une action en justice afin d’obtenir l’annulation de tout ou partie d’un accord collectif est limité à deux mois (c. trav. art. L. 2262-14), sachant que le point de départ du délai de prescription est :
-la notification de l’accord aux organisations syndicales disposant d’une section syndicale dans l’entreprise ;
-ou, dans les autres cas, la publication de l’accord dans la base de données nationale créée par la loi Travail de 2016 (qui est désormais accessible sur le site Internet Legifrance).
À noter
Il existe un délai spécifique applicable à l’accord portant rupture conventionnelle collective. Il s’agit d’un délai de deux mois qui court à compter de la notification de la décision de validation par la DIRECCTE pour l’employeur, et à compter de la date à laquelle cette décision a été portée à leur connaissance pour les organisations syndicales et les salariés (c. trav. art. L. 1237-19-8).
Les accords de compétitivité seront rendus plus difficilement contestables par les salariés
Le licenciement d’un salarié intervenu en raison de son refus d’une modification de son contrat de travail résultant de la signature d’un accord de compétitivité sera considéré comme reposant sur une cause réelle et sérieuse.
Il ne pourra donc pas en contester le bien-fondé devant le conseil de prud’hommes.
Rupture d’un commun accord dans le cadre d’accords collectifs
La rupture conventionnelle collective (« RCC »)
Surfer sur la vague du succès de la rupture conventionnelle individuelle
Reprenant le mécanisme bien connu du plan de départ volontaire, les ordonnances ont instauré un nouveau dispositif dénommé « rupture conventionnelle collective » (c. trav. art. L. 1237-19 à L. 1237-19-14).
La rupture conventionnelle collective est détachée de tout motif économique et est exclusive de tout licenciement pour motif économique (c. trav. art. L. 1237-17). Elle permet d’organiser un plan de départ volontaire sans plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) par la voie d’un accord collectif majoritaire.
Comme pour la rupture conventionnelle individuelle instaurée en 2008, la rupture conventionnelle collective suppose le consentement des salariés et de l’employeur, lequel emporte rupture d’un commun accord du contrat de travail. Dès lors, ni les règles relatives au licenciement économique, ni celles relatives au licenciement pour motif personnel ne sont applicables.
Mais le parallélisme s’arrête là, car seul l’accord collectif doit être validé par l’administration (voir § 7-16). Une fois la validation obtenue, le consentement entre l’employeur et chaque salarié n’est soumis à aucune procédure de validation (hors la nécessaire autorisation de l’inspecteur du travail, requise pour les salariés protégés).
Les RCC vont bien au-delà des plans de départ volontaire
La RCC est détachée de tout motif économique et de toute obligation de mettre en œuvre un PSE
La nouveauté réside dans le fait que le motif économique n’est plus une exigence de la mise en œuvre d’une RCC. Dès lors, le motif de contestation ne saurait résider dans l’absence de motif économique.
Le détachement des ruptures conventionnelles collectives du motif économique et du licenciement permet d’anticiper les difficultés avant qu’elles ne surviennent et de transformer l’entreprise sans passer automatiquement par le PSE. La souplesse offerte par la RCC encadrée par l’exigence d’un accord collectif et d’une autorisation de la DIRECCTE favorise ainsi la prévention des difficultés des entreprises.
Il nous semble en revanche inconcevable que la RCC puisse être utilisée en parallèle d’un PSE, puisqu’elle est exclusive de tout licenciement (c. trav. art. L. 1237-17).
Par ailleurs, il ne nous semble pas davantage concevable que la RCC aboutisse à supprimer l’ensemble des postes appartenant à une catégorie professionnelle ou encore l’ensemble des postes d’un atelier. En effet, dans un tel cas, la RCC s’apparenterait à un PSE déguisé puisque les salariés n’auraient alors plus le choix entre partir ou rester dans l’entreprise.
La cohabitation RCC et plan de départ volontaire
Les plans de départs volontaires (« PDV »), « ancienne formule » restent soumis à l’existence de difficultés économiques et pourront toujours être mis en œuvre par l’employeur qui fait face à ces difficultés.
C’est ce que précise le Professeur Loiseau, pour qui l’instauration d’une RCC n’est pas incompatible avec le maintien des plans de départ volontaire tels qu’ils étaient envisagés avant les ordonnances du 22 septembre 2017.
Le maintien de l’ancien système et l’adjonction des RCC favorisent donc le traitement des difficultés de l’entreprise à chaque étape, par anticipation ou au moment de leur survenance, et autorisent une transformation de l’entreprise par le recours à des départs volontaires.
La mise en place de la rupture conventionnelle collective permettra alors à l’employeur de recevoir et d’accepter les candidatures au départ de salariés volontaires. Il y aura alors rupture du contrat de travail d’un commun accord, rupture qui ne sera possible en cas d’accord d’un salarié protégé qu’après autorisation supplémentaire de l’inspection du travail.
La RCC doit être prévue par un accord collectif
La rupture conventionnelle collective, pour être valable, doit avoir été prévue par un accord collectif qui définit les conditions et les modalités de rupture. Il doit cependant contenir un socle minimal imposé par le code du travail (c. trav. art. L. 1237-19-1).
L’accord collectif doit notamment déterminer le contenu et les modalités de cette rupture conventionnelle collective, y compris :
-le nombre maximal de départs envisagés de suppressions d’emplois associées et la durée du plan ;
-les conditions d’éligibilité ;
-les critères de départage ;
-les modalités de calcul des indemnités de rupture, qui ne peuvent être inférieures aux indemnités légales (et non conventionnelles) de licenciement ;
-les mesures visant à faciliter le reclassement externe ;
-les modalités de suivi de la mise en œuvre effective de l’accord : le décret précise, à cet égard, qu’un bilan de l’accord doit être réalisé à la fin de la mise en œuvre des mesures de reclassement externe prévues par l’accord ; dans un délai d’un mois après cette date, ce bilan, dont le contenu sera fixé par un arrêté, est à envoyer au DIRECCTE.
Intervention de la DIRECCTE
En amont
Lorsque l’employeur envisage de mettre en place une rupture conventionnelle collective, l’administration doit être informée de l’ouverture de négociation de l’accord (les modalités d’information font l’objet d’un décret) (c. trav. art. L. 1237-19).
L’information se fait donc en amont avant même que l’accord ne soit conclu.
En aval
L’accord est soumis à l’autorité administrative pour être validé par le DIRECCTE (c. trav. art. L. 1237-19-3 et L. 1237-19-4). Selon le décret, dans le cas où le projet d’accord portant rupture conventionnelle collective concerne une entreprise ou un établissement distinct, le DIRECCTE compétente pour valider cet accord est celui dont relève l’entreprise ou l’établissement concerné.
Le décret précise que la demande sera adressée au DIRECCTE compétente par voie dématérialisée.
À noter
Lorsqu’un CSE n’a pas été mis en place ou renouvelé, l’employeur devrait joindre à la demande de validation le procès-verbal de carence établi conformément à l’article L. 2314-9 du code du travail.
L’administration devra s’assurer de la conformité de l’accord aux dispositions légales. Elle vérifiera que le socle commun de l’accord et que les modalités de consultation des représentants du personnel ont été respectées. À cet égard, la consultation à laquelle il est fait référence dans le texte pose question puisque l’accord n’a pas à faire l’objet de consultation du comité social et économique (CSE) avant d’être adopté et les obligations relatives au Livre II du code du travail sont également inexistantes dans le dispositif. On peut toutefois imaginer que la consultation portera sur les conséquences de l’application sur les conditions de travail des salariés et notamment sur les conséquences en termes de charge de travail pour les salariés qui n’optent pas pour la rupture de leur contrat de travail.
Selon l’amendement n° 376 voté dans le cadre du projet de loi de ratification des Ordonnances, l’administration appréciera également « au regard de l’importance du projet d’accord, si les mesures de reclassement externes et d’accompagnement […] sont précises et concrètes et si elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à l’objectif d’accompagnement et de reclassement externe des salariés ».
L’accord collectif peut déterminer les critères d’adhésion à la rupture conventionnelle collective et les critères de départage entre les candidats, mais il faut veiller à ce que les critères établis ne soient pas discriminatoires. S’il peut s’agir de l’ancienneté, des qualités professionnelles ou de la situation familiale, le critère d’adhésion ne saurait être, par exemple, uniquement fondé sur l’âge. En effet, la grande crainte du gouvernement dans l’établissement de ce système a été que la RCC soit utilisée par les entreprises et les salariés comme une retraite anticipée financée par Pôle Emploi.
L’administration dispose d’un délai de 15 jours pour répondre et notifier sa décision, ce délai courant, selon le décret, à compter de la réception de l’accord par le DIRECCTE. À défaut de réponse dans le délai imparti, l’accord est implicitement accepté par le DIRECCTE, à charge pour l’employeur de transmettre aux représentants du personnel et aux organisations syndicales la copie de la demande et l’accusé de réception.
La validation de l’accord par le DIRECCTE ne prive pas le salarié de tout recours. Tout comme pour les PSE, une contestation de l’accord peut être portée devant le juge administratif dans un délai de 2 mois à compter de la date à laquelle cette décision a été portée à leur connaissance. Passé ce délai, et à défaut d’annulation de la décision de validation par le juge administratif, les salariés partis dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective ne peuvent plus remettre en cause le principe de leur départ de l’entreprise. Seuls les litiges relatifs à l’exécution de la RCC peuvent être portés devant le conseil de prud’hommes dans un délai d’un an à compter de la rupture effective du contrat de travail.
La RCC demeure un outil contraignant pour l’employeur
Reclassement externe
Au contraire de la rupture conventionnelle individuelle, le salarié dont le contrat est rompu bénéficie de mesures tendant à faciliter son reclassement externe comme les actions de formation ou la validation des acquis professionnels.
Un amendement a été adopté, dans le cadre de l’examen en séance publique du projet de loi de ratification des ordonnances, de sorte que l’accord collectif portant RCC intègre des mesures visant à faciliter l’accompagnement des salariés concernés.
Revitalisation du bassin d’emploi
Les suppressions d’emploi résultant d’une RCC sont soumises à la revitalisation du bassin d’emploi au même titre qu’un PSE pour les entreprises ou établissements d’au moins 1 000 salariés ou les entreprises à dimension communautaire qui emploient au moins 1 000 salariés (c. trav. art. L. 1237-19-9 à L. 1237-19-14).
Accords collectifs de GPEC débouchant sur des ruptures amiables dans le cadre d’un congé de mobilité
Objectif : déconnexion du contexte économique
Le nouveau dispositif « vise à favoriser les restructurations à froid dans un contexte d’anticipation et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences », selon le rapport au Premier ministre concernant le projet de décret d’application
L’accord collectif sur la GPEC peut désormais définir les modalités encadrant les ruptures du contrat de travail au travers du congé de mobilité (c. trav. art. L. 1237-17 et L. 1237-18).
On rappellera que dans un arrêt du 12 novembre 2015, la Cour de cassation avait considéré que « si l’acceptation par le salarié de la proposition de congé de mobilité emporte rupture du contrat de travail d’un commun accord, elle ne le prive pas de la possibilité d’en contester le motif économique » (cass. soc. 12 novembre 2015, n° 14-15430, BC V n° 428). Cette solution jurisprudentielle venait du fait que l’emplacement de l’article relatif au congé de mobilité au sein du code du travail est situé dans la partie licenciement économique. La Cour de cassation avait alors considéré que l’existence du motif économique était un préalable nécessaire à la proposition d’un congé de mobilité.
Toutefois, dans son rapport annuel 2015 publié le 8 juillet 2016, la Cour de cassation a repris cet arrêt, et a fait des propositions de réformes concernant le congé de mobilité. Elle a ainsi proposé d’élargir le champ d’application du congé de mobilité à l’ensemble des employeurs soumis à un plan de GPEC, de façon à ce que cette mesure puisse être mise en œuvre en dehors de tout contexte économique.
C’est désormais chose faite !
Rupture amiable dans le cadre du congé mobilité : quel régime juridique ?
L’accord de GPEC doit déterminer (c. trav. art. L. 1237-18-2) :
-la durée du congé de mobilité ;
-les conditions pour en bénéficier ;
-l’organisation des périodes de travail et les conditions de fin du congé ainsi que les modalités d’accompagnement ;
-les conditions d’information des représentants du personnel ;
-le montant des indemnités versées au salarié, qui ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement économique.
L’acceptation par le salarié de la proposition de congé de mobilité emporte rupture du contrat de travail d’un commun accord à l’issue du congé (c. trav. art. L. 1237-18-4). Cette rupture est déconnectée de tout motif économique, ce qui signifie qu’elle ne pourra pas être remise en cause pour absence de motif économique (c. trav. art. L. 1237-17).
Le congé de mobilité, jusqu’ici limité aux seules entreprises de plus de 1 000 salariés, est désormais ouvert à toutes les entreprises soumises à l’obligation de négocier une GPEC (entreprises de plus de 300 salariés, voire de 150 si celles-ci appartiennent à un groupe de dimension communautaire).
Il semble finalement que l’on ira encore plus loin et que le congé de mobilité devrait finalement être ouvert à toutes les entreprises, y compris les TPE, puisque, dans le cadre de l’examen en séance publique du projet de loi de ratification des ordonnances, les parlementaires ont adopté un amendement tendant à permettre aux entreprises de moins de 300 salariés de conclure un accord de GPEC de sorte que le « congé de mobilité devienne un dispositif de droit commun, mobilisable dans le cadre d’un accord de GPEC, quel que soit l’effectif de l’entreprise concernée ».
Les indemnités versées au salarié ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement économique.
L’allocation de congé mobilité versée pendant les périodes non travaillées du congé (au minimum à 65 % de la rémunération brute antérieure avec un plancher de 85 % du SMIC), est soumise, dans la limite des 12 premiers mois du congé, au même régime de cotisations et contributions sociales que celui de l’allocation versée au bénéficiaire du congé de reclassement (pas de charges sociales, sauf CSG à 6,20 % et CRDS à 0,50 %).
On remarquera que les entreprises et salariés bénéficient de la même exonération de charges et cotisations sociales sur l’allocation de congé de mobilité que si les salariés avaient été licenciés dans le cadre d’un licenciement économique et avaient alors bénéficié du congé de reclassement, ce qui peut s’avérer très incitatif en l’absence de difficultés économiques.
La rupture du contrat de travail par la voie du congé de mobilité plus favorable que la rupture conventionnelle collective ?
La rupture du contrat de travail par la voie du congé de mobilité n’est pas soumise à une obligation de revitalisation à la charge des grandes entreprises, ni à la validation de la DIRECCTE.
L’autorité administrative est simplement informée des ruptures prononcées à l’issue du congé afin de garantir le suivi et la connaissance du dispositif (c. trav. art. L. 1237-18-5).
Plus particulièrement, selon le projet de décret, l’employeur informe l’autorité administrative des ruptures prononcées dans le cadre du congé de mobilité tous les six mois à compter du dépôt de l’accord, en lui adressant un formulaire prévu par arrêté.
L’employeur transmettra au DIRECCTE les informations suivantes :
-le nombre de ruptures de contrat de travail intervenues à la suite d’un congé de mobilité ;
-les mesures de reclassement mises en place dans le cadre de ce congé (formation, périodes en entreprise, accompagnement) ;
-la situation des salariés au regard de l’emploi à l’issue du congé de mobilité.
Finalement, le régime du congé de mobilité, même s’il demeure contraignant, peut s’avérer plus intéressant pour les entreprises qui y ont accès que la rupture conventionnelle collective.
Des accords ouverts à tous les employeurs
Toutes les entreprises peuvent s’adapter à leur environnement économique
C’est là le caractère innovant des ordonnances, les accords de compétitivité « nouvelle formule », les accords de rupture conventionnelle collective, mais aussi, sous réserve que la loi de ratification telle que votée par l’Assemblée Nationale soit définitivement adoptée, les accords de GPEC prévoyant un congé de mobilité, sont ouverts à toutes les entreprises, y compris aux TPE.
Ces dernières peuvent donc anticiper les difficultés économiques et transformer leur entreprise avec l’accord des salariés.
Relevons, à cet égard, le rôle central du référendum
Le rôle central du référendum
Contexte d’assouplissement des modalités de négociation
La mise en place des nouveaux dispositifs d’anticipation est à combiner avec les mesures d’assouplissement des modalités de négociation d’un accord collectif, par ailleurs portées par les ordonnances.
Sans entrer dans le détail des règles de validité d’un accord collectif (accélération du calendrier de généralisation de la règle de l’accord majoritaire, notamment), on relèvera le rôle central du référendum.
Le référendum dans les entreprises sans délégué syndical
Entreprises de moins de 20 salariés sans CSE
Dans les entreprises de moins de 11 salariés et dans les entreprises de 11 à moins de 20 salariés sans CSE (toutes deux par hypothèse sans délégué syndical), l’employeur peut soumettre à l’approbation des salariés la mise en place d’un accord de compétitivité, de RCC ou bientôt de GPEC/congé de mobilité, dans le cadre d’une proposition unilatérale de l’employeur. La consultation intervient dans un délai minimum de 15 jours après la transmission du projet aux salariés. L’accord soumis au vote des salariés est valable et applicable dès lors que la majorité des 2/3 des salariés l’a ratifié. Il entre en vigueur et s’impose à tous, après dépôt auprès de la DIRECCTE (c. trav. art. L. 2232-21, L. 2232-22 et L. 2232-23).
Entreprises de 11 à moins de 50 salariés avec CSE
Dans les entreprises de 11 à moins de 50 salariés sans délégué syndical (ou conseil d’entreprise), de tels accords peuvent être conclus de deux manières.
S’il est signé par un ou plusieurs salariés mandatés par une organisation syndicale représentative dans la branche, la validité de l’accord est subordonnée à l’approbation des salariés à la majorité des suffrages exprimés (c. trav. art. L. 2232-23-1, II).
En revanche, lorsque l’accord est conclu par un ou plusieurs membres du CSE, sa validité est subordonnée à leur signature par des membres du CSE mandatés ou non, représentant 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles (c. trav. art. L. 2232-23-1, II). Ici, il n’y a donc pas de référendum.
Entreprises de 50 salariés et plus
Dans les entreprises de 50 salariés et plus sans délégué syndical (ou conseil d’entreprise), un accord collectif signé par un ou plusieurs salariés (élus du personnel ou non) mandatés par une organisation syndicale représentative dans la branche doit être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés (c. trav. art. L. 2232-24 et L. 2232-26).
L’accord négocié avec des élus non mandatés doit être signé par des membres du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles (c. trav. art. L. 2232-25). Ici, il n’y a donc pas de référendum.
La place du référendum également renforcée pour les accords signés avec un ou plusieurs délégués syndicaux
Dans le cadre de la règle de l’accord caractère majoritaire d’un accord, alors qu’elle n’était réservée qu’aux seuls syndicats, la consultation des salariés est désormais ouverte à l’employeur en l’absence d’opposition des organisations syndicales.
Lorsqu’un accord a été signé entre l’employeur et une ou plusieurs organisations syndicales ayant obtenu plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives aux dernières élections (mais n’ayant pas atteint les 50 %), l’employeur peut, au terme d’un délai d’un mois, solliciter la tenue d’un référendum, en l’absence d’opposition de l’ensemble des organisations syndicales signataires de l’accord. Le vote se tient dans un délai de deux mois. L’accord est alors validé s’il est ratifié par la majorité des suffrages exprimés (c. trav. art. L. 2232-12).
Dans le cadre de la transformation de l’entreprise, la faculté ouverte à l’employeur de faire valider un accord par référendum n’est pas anodine car elle favorise la prise de décision en amont des difficultés économiques de l’entreprise. Ainsi, si un accord minoritaire à 30 % est signé en vue de prévoir un accord de compétitivité, de RCC ou bientôt de GPEC, une ratification est possible sur initiative de l’employeur, qui pourra alors mettre en œuvre les mesures de l’accord devenu majoritaire par la ratification.
On notera que dans sa décision du 16 novembre 2017, le juge des référés du Conseil d’État a validé la consultation des salariés organisée à l’initiative de l’employeur (CE 16 novembre 2017, n° 415063).
À noter
On rappellera que si les syndicats signataires représentent plus de 50 %, l’accord est directement valide.
La possibilité élargie de restructurer l’entreprise avant cession
L’article L. 1224-1 du code du travail : une protection obsolète ?
L’application de la règle du transfert automatique des contrats de travail (c. trav. art. L. 1224-1) pose problème en cas de cession envisagée de tout ou partie de l’entreprise.
Le cessionnaire n’entend souvent pas reprendre l’ensemble des salariés attachés à l’entreprise ou à la partie de l’entreprise cédée car cela peut le conduire à mettre en œuvre un PSE, lequel peut impacter ses propres salariés.
Le cédant n’est pas davantage enthousiaste à l’idée de devoir appliquer l’article L. 1224-1 du code du travail car il sait que le transfert automatique des contrats de travail de ses salariés peut être un obstacle majeur à la réalisation de l’opération de reprise.
Quant aux salariés eux-mêmes, ils préfèrent souvent percevoir les mesures du PSE mis en œuvre à l’occasion de leur licenciement collectif pour motif économique que de voir leur contrat de travail transféré au sein d’un cessionnaire dont ils ignorent tout ou presque.
Créé en 1928 pour assurer la protection des salariés, ce qui est devenu l’article L. 1224-1 du code du travail, pourtant d’ordre public, apparaît, 90 ans plus tard, comme une mesure dogmatique qui, loin de protéger les salariés, empêche parfois le sauvetage des entreprises.
Loi Travail : le premier coup de grâce
Le premier coup de grâce porté à l’article L. 1224-1 du code du travail est venu de la loi Travail du 8 août 2016 qui a permis aux entreprises de plus de 1 000 salariés confrontés à un projet de fermeture d’établissement(s) dans le cadre de la Loi Florange, de mettre en œuvre un PSE avant cession d’une ou plusieurs entités économiques lorsqu’une telle opération est nécessaire à la sauvegarde d’une partie des emplois (c. trav. art. L. 1233-61 dans sa version issue de la loi du 8 août 2016). Dans ce cadre, seuls les contrats non supprimés dans le cadre du PSE sont transférés par application de l’article L. 1224-1.
Cette solution a été calquée sur le droit des procédures collectives qui permet au Tribunal de commerce de déroger à l’application des dispositions impératives relatives au transfert automatique du personnel, en autorisant expressément le licenciement des salariés non inclus dans le périmètre de reprise du repreneur, dans sa décision arrêtant un plan de cession total ou partiel.
Les ordonnances vont plus loin encore
Les ordonnances permettent de passer d’un droit du travail dogmatique qui impose le transfert automatique du contrat de travail et prohibe les licenciements antérieurs à un droit pragmatique qui autorise, en vue de favoriser la reprise de l’entreprise et le maintien d’une partie des emplois, le recours au PSE avant cession afin de favoriser la reprise de salariés d’établissements dont il est envisagé la fermeture (c. trav. art. L. 1233-61 dans sa version applicable depuis le 24 septembre 2017).
À cet effet, le seuil des 1 000 salariés est supprimé, toute entreprise ou établissement de plus de 50 salariés pouvant désormais mettre en œuvre un PSE avant cession à deux conditions. Ainsi, le transfert d’une ou plusieurs entités économiques doit être réalisé :
-en vue d’éviter la fermeture d’un ou plusieurs établissements ;
-et être nécessaire à la sauvegarde d’une partie des emplois.
Cette mesure va dans le sens de l’efficacité :
-le repreneur n’a plus à prendre la responsabilité de la mise en œuvre d’un PSE après la reprise ;
-le cédant peut assurer la cession d’une ou plusieurs entités économiques autonomes et d’une partie des salariés y attachés sans licencier l’ensemble de son personnel à défaut de repreneur rebuté par l’ampleur des obligations post-cession.
Cette mesure, qui pourrait sembler contraire à la Directive européenne de 2001 organisant le transfert automatique des contrats de travail en cas de cession d’une entité économique autonome, est toutefois à manipuler avec précaution.
Les licenciements auxquels il sera procédé devront intervenir en raison de difficultés économiques avérées au sein de l’entreprise cédante. S’ils ne sont justifiés que par l’existence et le contenu de l’offre d’acquisition, laquelle ne prévoirait pas la reprise de l’ensemble du personnel, il y a fort à parier que les juges n’hésiteront pas à considérer les licenciements comme étant de nul effet, car prononcés en méconnaissance de l’article L. 1224-1 du code du travail.