4 - Le contrôle des autorisations de licenciement par les cours administratives d'appel au mois de juillet 2023
Si, en matière d'autorisation de licenciement des salariés protégés, on met habituellement en lumière les décisions du Conseil d'État, il est intéressant de se pencher sur les arrêts des cours administratives d'appel. Une sélection de décisions rendues en seconde instance au mois de juillet permet de rappeler quelques principes essentiels.
CAA Douai, 4 juillet 2023, n° 22DA01676 ; CAA Paris 5 juillet 2023, n° 22PA03125 ; CAA Paris 5 juillet 2023, n° 22PA05563 ; CAA Lyon 6 juillet 2023, n° 22LY03231 ; CAA Lyon 6 juillet 2023, n° 22LY03678 ; CAA Toulouse 11 juillet 2023, n° 21TL20971 ; CAA Versailles 18 juillet 2023, n° 22VE02335
L'essentiel
L'employeur qui consacre un mois à rechercher des possibilités de reclassement au sein des filiales pour un salarié protégé déclaré inapte satisfait à ses obligations. / 4-1 à 4-4
Une salariée protégée ne peut pas reprocher à l'employeur de n'avoir pas recherché les postes disponibles au sein des magasins franchisés. / 4-5 et 4-6
Si, à la suite d'une perte de marché, le travail d'un salarié se trouve réparti entre deux employeurs, l'inspecteur doit respecter cette répartition lorsqu'il est appelé à autoriser le transfert du contrat. / 4-7 à 4-9
Un salarié qui se retranche derrière ses mandats pour dénier à l'employeur tout contrôle sur son activité peut être licencié pour insubordination. / 4-10 et 4-11
Le fait d'effectuer des études pour une société tierce caractérise une violation de l'obligation contractuelle d'exclusivité. / 4-12 à 4-14
Inaptitude et obligation de reclassement
Rappel des dispositions relatives à l'obligation de reclassement
L'employeur a l'obligation de chercher à reclasser tout salarié déclaré inapte, sauf dispense expresse du médecin du travail (voir « Congés payés et arrêts de travail », RF 1146, § 5222). Le salarié protégé ne fait naturellement pas exception.
Si le reclassement s'avère impossible, l'employeur doit solliciter l'inspection du travail, afin que celle-ci l'autorise à licencier le salarié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Il incombe alors au médecin du travail de s'assurer que l'employeur a sérieusement et loyalement exécuté son obligation de reclassement. Naturellement, il vérifie par ailleurs que le licenciement ne présente aucun lien avec le mandat (guide DGT, septembre 2019, fiche 9).
Exemple de procédure de reclassement validée par l'administration
Un chauffeur de car est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement après que l'employeur a sollicité une dizaine de RRH du groupe
En arrêt de travail pour maladie professionnelle depuis environ 2 ans et demi, un conducteur d'autocar, par ailleurs délégué syndical, défenseur syndical et conseiller prud'hommes, avait finalement été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, avec des prescriptions limitant significativement les possibilités de reclassement : pas de position assise plus d'une heure, pas de manutention de charges de plus de 3 kg, etc.
La société ayant constaté l'absence de poste répondant à ces prescriptions et qu'aurait été susceptible d'occuper le salarié, elle avait sollicité les filiales du groupe de transport public de voyageurs auquel elle appartenait (« plusieurs dizaines de responsables de ressources humaines » selon l'arrêt). La société s'était également tournée vers la Fédération nationale des transports de voyageurs.
Dans les deux cas, ces démarches n'avaient rien donné. Après avoir relancé les filiales qui ne lui avaient pas donné de réponse, constatant l'absence de postes susceptibles de convenir au salarié, l'employeur avait donc sollicité, et obtenu, l'autorisation de licencier l'intéressé pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
C'est en vain que le salarié a ensuite contesté cette autorisation de licenciement. Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande et la cour administrative d'appel de Lyon confirme aujourd'hui ce jugement (CAA Lyon 6 juillet 2023, n° 22LY03231).
Deux points étaient mis en avant par le salarié.
Une recherche de reclassement rapide, mais pas bâclée
Le salarié estimait que le processus de reclassement avait été bâclé. En effet, le médecin du travail avait constaté l'inaptitude le 22 mars 2019 et l'employeur avait aussitôt engagé les recherches de reclassement en sollicitant les filiales et en leur laissant jusqu'au 23 avril 2019 pour répondre.
Effectivement, l'employeur ne doit pas chercher à reclasser dans la précipitation (voir RF 1146, § 5229). Les juges considèrent cependant que, « en dépit de la rapidité avec laquelle la société a recherché à reclasser M. C... », l'inspecteur du travail a pu tout à la fois contrôler le périmètre de la recherche de reclassement, qui avait bien été étendu au groupe, la procédure de licenciement et le bien-fondé de la demande.
Par ailleurs, et bien que l'arrêt n'en fasse pas état, on rappellera que si un mois après le constat d'inaptitude le salarié n'est ni reclassé ni licencié, l'employeur doit reprendre le paiement du salaire (c. trav. art. L. 1226-4 et L. 1226-11 ; voir RF 1146, § 5261). Dans cette affaire, l'employeur n'avait donc apparemment fait que se « caler » sur ce délai.
L'obligation de reclassement ne va pas jusqu'à imposer de former le salarié inapte à un autre métier
Le salarié reprochait en outre à l'employeur de ne pas lui avoir proposé divers postes administratifs. Là encore, les juges écartent cet argument : « l'employeur peut tenir compte de la position du salarié pour restreindre le périmètre des recherches de reclassement, et par ailleurs si l'employeur doit assurer l'adaptation du salarié à son poste, il n'est pas tenu de proposer au salarié un poste qui nécessite une formation de base différente de la sienne et relevant d'un autre métier. »
Étendue de l'obligation de reclassement en présence d'un groupe
Une cariste est licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement après avoir refusé dix-sept propositions de reclassement
Une cariste d'une enseigne de la grande distribution avait été déclarée définitivement inapte à son poste, le médecin du travail préconisant un reclassement « sur un poste sans manutention, sans conduite de chariot automoteur ». Après des recherches en son sein, ainsi qu'au niveau du groupe, la société avait proposé à la salariée dix-sept postes d'hôte de caisse (cinq en CDI, douze en CDD). L'intéressée avait cependant décliné toutes ces offres, de sorte qu'elle avait été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après autorisation de l'inspection du travail.
Le groupe de reclassement n'inclut pas les franchisés
Pour la cour administrative d'appel, il ne fait aucun doute que l'employeur a procédé à une recherche sérieuse et loyale des possibilités de reclassement (CAA Lyon 6 juillet 2023, n° 22LY03678). Le point qui retiendra ici notre attention réside dans l'argument de la salariée selon lequel l'employeur aurait dû, selon elle, rechercher des possibilités de reclassement dans les magasins franchisés.
La cour administrative d'appel rejette cet argument après avoir relevé l'absence de liens capitalistiques entre, d'une part, la société employeur et, d'autre part, « d'autres sociétés également liées par un contrat de franchise pour l'exploitation de commerces [sous la même enseigne], qui appartiennent à des groupes totalement indépendants du franchiseur ». Faute de tels liens, le périmètre de reclassement ne peut pas s'étendre à des magasins franchisés.
Cette décision est logique.
Pour rappel, le périmètre de reclassement couvre les entreprises du groupe « situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel » (c. trav. art. L. 1226-2 et L. 1226-10). Mais les ordonnances Macron de 2017 sont venues préciser qu'il devait s'agir d'un groupe au sens du code de commerce, ce qui implique le contrôle d'une entreprise dominante et fait intervenir des critères de détention du capital et de droits de vote (ord. 2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 7 ; ord. 2017-1718 du 20 décembre 2017, art. 1 ; c. com. art. L. 233-1, L. 233-3, I et II, et L. 233-16 ; voir RF 1146, § 5235).
En notant l'absence de liens capitalistiques entre la société employeur et les magasins franchisés pour exclure toute recherche de reclassement, la cour administrative d'appel n'a fait que tirer les conséquences de cette nouvelle définition.
Transfert partiel d'entreprise ou d'établissement
Rappel : si le transfert n'est que partiel, il faut obtenir l'autorisation de l'inspection du travail pour le transfert du salarié protégé
En cas de transfert partiel d'entreprise ou d'établissement, que ce soit en application du code du travail (c. trav. art. L. 1224-1) ou de la convention collective, le transfert du contrat de travail du salarié protégé ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspection du travail (c. trav. art. L. 2414-1). L'idée est d'assurer que l'employeur ne met pas l'opération à profit pour écarter le salarié protégé. L'inspecteur du travail doit donc s'assurer, entre autres vérifications, que le salarié visé appartient bien à l'unité transférée (guide DGT, septembre 2019, fiche 15, § 4 ; voir « L'employeur et les représentants du personnel », RF 1139, § 7007).
Mais attention, certains transferts sont parfois relativement complexes et voient l'activité des salariés partagée entre plusieurs entreprises. L'inspecteur du travail doit alors tenir compte de cette situation, comme l'illustre l'affaire qui suit.
Un transfert conventionnel consécutif à une perte de marché
À la suite d'un nouvel appel d'offres, une société A avait perdu un marché public de nettoyage. Ce marché avait été découpé en lots et réparti entre plusieurs sociétés, dont les sociétés B et C.
Pour rappel, la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés prévoit que, en cas de perte de marché et sous certaines conditions, les salariés affectés exclusivement à ce marché passent au service du nouveau prestataire.
Ce mécanisme de transfert conventionnel s'applique aux salariés « ordinaires » comme aux salariés protégés et c'est ainsi que la société A avait demandé et obtenu le transfert du contrat de travail d'un salarié, par ailleurs délégué du personnel, auprès de la société B. Mais cette dernière avait contesté l'autorisation de transfert délivré par l'inspection du travail, car elle n'entendait pas être l'unique employeur du salarié.
Un marché réparti entre plusieurs employeurs, donc un contrat de travail fragmenté
Il se trouve que le délégué du personnel, employé en qualité d'inspecteur, intervenait sur plusieurs sites et que si la société B en avait récupéré le plus grand nombre (38 sur 41), cela représentait moins de la moitié (48 %) du travail de l'intéressé. Les trois autres sites, qui avaient été confiés à la société C, occupaient quant à eux le salarié à 52 %.
La cour administrative d'appel de Paris a donc choisi de faire droit aux demandes de la société B et a annulé l'autorisation de transfert délivrée par l'inspection du travail. Le salarié travaillant sur des sites qui avaient été repris pour une partie par la société B et pour l'autre partie par la société C, « il appartenait à ces deux prestataires d'assurer, chacun pour sa part, la continuité du contrat de travail ». L'inspectrice du travail ne pouvait donc pas autoriser le transfert du contrat de travail en totalité à la société B (CAA Paris 5 juillet 2023, n° 22PA05563).
Illustrations de comportements fautifs
Insubordination
Pour le salarié, son licenciement pour insubordination constituait en réalité une mesure de rétorsion
Une entreprise avait demandé et obtenu le licenciement d'un salarié protégé pour insubordination. Titulaire de nombreux mandats (représentant du personnel au comité d'établissement, délégué du personnel, délégué syndical, délégué syndical central, représentant du personnel au comité central d'entreprise, conseiller prud'hommes et défenseur syndical), ce salarié était très actif et, de son point de vue, la rupture de son contrat de travail était en lien avec ses mandats, de sorte qu'elle n'aurait jamais dû être autorisée.
La cour administrative d'appel de Toulouse a néanmoins rejeté cette interprétation (CAA Toulouse 11 juillet 2023, n° 21TL20971).
Le salarié protégé ne peut pas invoquer ses mandats pour se soustraire totalement au pouvoir de direction de l'employeur
Qu'était-il reproché exactement au salarié ? Tout entier dédié à son mandat, l'intéressé refusait avec constance « de transmettre à son employeur ses relevés d'activité, de rendre compte du nombre d'heures de délégation utilisées chaque mois et par mandat et de communiquer le nombre d'heures consacrées chaque mois au conseil de prud'hommes, sans que ces refus soient justifiés par des motifs sérieux ». Par ailleurs, le salarié refusait systématiquement de se prêter à l'entretien annuel d'évaluation, ce qui lui avait d'ailleurs valu une mise à pied disciplinaire.
Autant d'éléments qui, selon la cour administrative d'appel, révélaient « des insubordinations caractérisées constitutives de fautes revêtant une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé ». L'autorisation de licenciement avait donc été valablement accordée.
Violation des obligations contractuelles
Un salarié d'une banque travaille pour le compte d'une société tierce
Un salarié d'une banque, employé en qualité de « responsable risque et conformité » et par ailleurs membre titulaire du comité social et économique (CSE), avait été licencié pour faute, après autorisation de l'inspection du travail.
L'employeur lui reprochait d'avoir travaillé pour le compte d'une société tierce et d'avoir en conséquence violé, d'une part, la clause d'exclusivité et, d'autre part, la clause de discrétion et de confidentialité qui figuraient dans son contrat de travail.
Pour le tribunal administratif de Paris comme pour la cour administrative d'appel de Paris, l'autorisation de licenciement avait été accordée à bon escient (CAA Paris 5 juillet 2023, n° 22PA03125).
Violation de la clause d'exclusivité
Le salarié prétendait n'avoir fourni qu'une aide bénévole à sa compagne, associée de la société tierce, « le plus souvent » en dehors de son travail. En réalité, cette aide n'avait rien de désintéressé, car il était apparu que le salarié était par ailleurs associé minoritaire au sein de cette société tierce.
Il avait en outre commis l'erreur de se livrer à cette activité au moyen de son ordinateur professionnel. L'employeur avait ainsi pu faire constater par huissier que le salarié avait échangé de nombreux courriels avec deux associés de la société tierce, sur des sujets aussi divers que son business plan, la recherche d'investisseurs, la relance de débiteurs ou encore la rupture du contrat de travail d'un des associés.
Enfin, le salarié avait réalisé une étude sur les « chatbots », prétendument pour le compte de son employeur, mais sans pouvoir produire de demande explicite en ce sens. À l'évidence, il avait donc réalisé cette étude au profit de la société tierce.
Autant d'éléments qui, selon le juge administratif, témoignent d'une « participation active » du salarié à l'activité de cette société tierce, sans autorisation de l'employeur. Par conséquent, la clause d'exclusivité avait bien été violée.
Violation de la clause de discrétion et de confidentialité
Là encore, c'est un constat d'huissier qui a permis à l'employeur de démontrer la transmission à l'entreprise tierce d'un certain nombre de documents sensibles, portant sur les objectifs et les résultats, les investisseurs, les flux prévisionnels, les subventions ou encore la politique de distribution des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise.
Pour le juge administratif, au vu de ces faits, il y avait bien violation de la clause de discrétion et de confidentialité, de sorte que, sur ce point également, l'autorisation de licenciement était justifiée.
Enquête contradictoire
Rappel : l'enquête contradictoire ne doit pas porter préjudice aux auteurs de témoignages
Lorsqu'il est saisi d'une demande d'autorisation de rupture ou de transfert du contrat de travail d'un salarié protégé, l'inspecteur du travail doit procéder à une enquête contradictoire (c. trav. art. R. 2421-4, R. 2421-11, R. 2421-17 et R. 2421-19 ; voir RF 1139, § 7124).
L'aspect contradictoire de la procédure implique notamment que l'employeur comme le salarié puissent prendre connaissance des éléments déterminants qui auront pu être recueillis en cours d’enquête et qui sont de nature à établir ou non la réalité des faits allégués à l’appui de la demande d'autorisation (guide DGT, septembre 2019, fiche 3, § 3.3).
Néanmoins, cette exigence pose parfois difficulté lorsque le dossier constitué par l'employeur repose sur des témoignages de collègues : certains d'entre eux peuvent en effet craindre des représailles. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence a précisé que lorsque la communication des attestations et des témoignages était de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs, l'inspecteur du travail pouvait se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de la teneur de ces attestations et témoignages (CE 24 novembre 2006, n° 28420 ; guide DGT, septembre 2019, fiche 3, § 3.3.3 ; voir RF 1139, § 7125). C'est donc à un travail d'équilibriste que doit se livrer l'inspecteur du travail, puisqu'il lui faut masquer l'identité des salariés qui ont témoigné tout en faisant en sorte que le salarié protégé sache précisément ce qui lui est reproché.
L'identité des témoins peut être cachée, mais pas la teneur de leurs propos
Un « ingénieur divisionnaire de l'industrie et des mines chargé de l'inspection du travail dans les mines et carrières » (que nous désignerons, par commodité « inspecteur du travail ») avait autorisé le licenciement pour faute grave d'un conducteur d'engin, par ailleurs délégué syndical et représentant syndical au comité d'établissement, auquel il était reproché d'avoir « un comportement oppressant » et de provoquer régulièrement ses collègues sur leur lieu de travail. Les collègues en question n'étaient manifestement pas très rassurés de savoir l'intéressé aux commandes d'un engin de 30 tonnes...
Compte tenu de ce contexte, lors de l'enquête contradictoire, l'inspecteur du travail n'avait pas communiqué au salarié protégé l'identité des personnes qui avaient dénoncé son comportement. Mais, apparemment, il ne lui avait pas non plus indiqué la teneur de leurs propos. C'est donc sur ce point que le salarié protégé a attaqué l'autorisation de licenciement.
Le tribunal administratif de Rouen lui avait donné raison et la cour administrative d'appel de Douai confirme aujourd'hui cette décision : le salarié protégé n'avait pas été informé « de façon suffisamment circonstanciée, de la teneur des témoignages recueillis », de sorte qu'il n'avait pas pu présenter utilement sa défense. L'autorisation de licenciement devait donc être annulée (CAA Douai 4 juillet 2023, n° 22DA01676).
Changement des conditions de travail
Rappel : le licenciement consécutif à un refus de changement des conditions de travail est soumis à l'inspection du travail
En règle générale, l'employeur ne peut pas imposer à un salarié une modification de son contrat de travail : il lui faut obtenir l'accord de l'intéressé. Le refus du salarié ne peut pas justifier son licenciement. En revanche, l'employeur peut engager une procédure de licenciement en invoquant le motif à l'origine de la proposition de modification du contrat de travail. Ce motif peut être économique ou disciplinaire (cas du salarié qui a refusé une modification de son contrat de travail à titre de sanction, par exemple une rétrogradation) (voir RF 1146, § 1370).
Ces règles s'appliquent au salarié « ordinaire » comme au salarié protégé, à ceci près que, dans le deuxième cas, le licenciement consécutif au refus nécessite de solliciter l'autorisation de l'inspection du travail (voir RF 1146, § 1382).
Le régime du changement des conditions de travail est plus favorable à l'employeur, mais il faut cette fois distinguer deux situations.
Le salarié « ordinaire » est censé se plier à tout changement de ses conditions de travail dès lors que ce changement est mis en œuvre de bonne foi. S'il résiste, le salarié commet une faute qui peut conduire à son licenciement (voir RF 1146, § 1376).
Dans le cas particulier d'un salarié protégé, le changement des conditions de travail ne s'applique pas d'office : l'employeur doit solliciter l'accord du salarié. Comme pour le salarié « ordinaire », le refus est a priori fautif, mais l'employeur qui souhaite rompre le contrat de travail à la suite de ce refus doit obtenir au préalable l'autorisation de l'inspection du travail (guide DGT, septembre 2019, fiche 11a, §§ 1.2.1 et 3.2).
Après avoir été secrétaire du comité d'établissement à temps plein pendant 6 ans, une salariée se voit proposer un nouveau poste
Une salariée d'une banque, employée comme « organisateur conseil confirmé », avait exercé plusieurs mandats syndicaux, jusqu'à devenir secrétaire du comité d'établissement à temps plein, de 1997 à 2013. La salariée ayant perdu ce mandat en 2013, l'employeur lui avait proposé un poste de « chargé d'étude » dans le domaine du numérique. L'intéressée avait refusé, de sorte que l'employeur avait sollicité l'autorisation de la licencier pour motif disciplinaire. En effet, selon lui, la salariée avait commis une faute en refusant d'occuper un poste qui n'entraînait qu'un changement des conditions de travail.
L'inspection du travail avait refusé d'autoriser le licenciement, ce qui avait conduit l'employeur à saisir le juge administratif. Après avoir essuyé un échec devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, l'employeur avait obtenu satisfaction auprès de la cour administrative d'appel de Versailles, qui avait conclu au refus d'un simple changement des conditions de travail justifiant un licenciement disciplinaire. Mais le Conseil d'État avait ensuite annulé cet arrêt, estimant que l'on était plutôt en présence d'une modification du contrat de travail, et il avait renvoyé le litige devant la cour administrative d'appel de Versailles (CE 10 octobre 2022, n° 450849). Les juges versaillais se penchent donc une nouvelle fois sur cette affaire pour rendre une décision conforme à l'analyse du Conseil d'État (CAA Versailles 18 juillet 2023, n° 22VE02335).
Le juge administratif conclut à un changement des conditions de travail au terme de 8 ans de procédure
Pour rappel, avant son mandat de secrétaire du comité d'établissement, la salariée était « organisateur conseil confirmé ». Elle exerçait à ce titre « des missions de conseil et d'accompagnement en vue de l'optimisation de l'organisation des services de l'entreprise ».
Le poste proposé par l'employeur au sortir du mandat dépendait quant à lui du service des systèmes d'information. Il consistait à réaliser une étude sur « l'identité et la confiance numériques ». Plus précisément, « cette étude nécessitait la tenue d'entretiens avec des experts porteurs du sujet au sein du groupe et impliquait, nonobstant l'appui d'un groupe de travail interne et la possibilité de recourir à un cabinet externe pour les volets techniques de cette mission, des compétences techniques, en particulier informatiques ».
Or, constate la cour administrative d'appel, la salariée ne détenait pas de compétences dans le domaine de l'informatique. Par conséquent, la mission proposée par l'employeur « ne correspondait ni à la nature des fonctions précédemment exercées par la salariée ni à sa qualification ». Il s'agissait donc d'une modification du contrat de travail, que la salariée pouvait refuser sans commettre de faute. L'autorisation de licenciement ne devait dès lors pas être accordée.