9 - Le télétravail, une solution à l'inaptitude
Si le médecin du travail préconise de recourir au télétravail pour reclasser un salarié inapte, l'employeur doit examiner cette possibilité. Il ne peut pas écarter cette solution au seul motif que l'entreprise ne pratique pas le télétravail.
Cass. soc. 29 mars 2023, n° 21-15472 FB
Une secrétaire médicale inapte, pour laquelle le médecin du travail avait préconisé un reclassement en télétravail
Une salariée avait été déclarée inapte à son poste de secrétaire médicale-responsable d’un centre de médecine du travail. Le médecin du travail avait précisé qu'elle « pourrait occuper un poste administratif sans déplacement et à temps partiel (2 j/semaine) en télétravail avec aménagement du poste approprié ».
Pour mémoire, quand un salarié est déclaré inapte, l’employeur est tenu de chercher à le reclasser, sauf s’il en est dispensé par le médecin du travail, ce qui n’était pas le cas dans notre affaire. L’employeur doit s’appuyer sur les indications du médecin du travail pour reclasser le salarié, si besoin en mettant en œuvre des mesures comme une mutation, une transformation des postes existants ou un aménagement du temps de travail. Le poste proposé doit être approprié aux capacités du salarié et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé (c. trav. art. L. 1226-2, L. 1226-10 et L. 4624-4 ; voir « Congés payés et arrêts de travail », RF 1136, §§ 5222 et s.).
L'employeur avait considéré qu’il était impossible de reclasser la salariée dans la mesure où il n'existait aucun poste en télétravail au sein du centre et qu'une telle organisation était incompatible avec son activité, celle-ci requérant le respect du secret médical. Il avait donc licencié la salariée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
La salariée avait alors saisi les prud'hommes en faisant valoir l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement.
Elle a obtenu gain de cause devant la cour d'appel, celle-ci ayant estimé que l’employeur n’avait pas exécuté loyalement son obligation de reclassement.
La Cour de cassation confirme cette décision.
L'argument du secret médical écarté par les juges
En réponse à l'argument de l'employeur selon lequel il était impossible de garantir la confidentialité des données en cas de télétravail (voir § 9-1), la Cour de cassation valide en tous points le raisonnement de la cour d'appel, qui a noté que la salariée occupait en dernier lieu un poste de « coordinateur » et que ses missions ne supposaient pas l'accès aux dossiers médicaux. Elles étaient donc susceptibles d'être pour l'essentiel réalisées à domicile en télétravail et à temps partiel, comme préconisé par le médecin du travail.
Nous nous étendrons davantage sur l'argument relatif à l'absence d'organisation en télétravail, qui constitue à notre sens le principal apport de l'arrêt.
L'employeur n'avait pas sérieusement envisagé le reclassement de la salariée en télétravail
Le fait que l'entreprise ne pratique pas le télétravail n'est pas un argument
L'employeur faisait valoir que l'obligation de reclassement d’un salarié inapte ne portait que sur des postes disponibles existant dans l'entreprise. Il rappelait qu’un employeur n’était pas tenu de créer spécifiquement un poste adapté aux capacités du salarié (cass. soc. 21 mars 2012, n° 10-30895 FD ; voir RF 1136, § 5231).
Fort de cette règle, l’employeur soutenait qu’il ne pouvait pas se voir imposer de reclasser la salariée sur un poste en télétravail puisque ce type d'organisation n’avait pas été mis en place dans l'entreprise.
Cependant, pour la Cour de cassation, peu importe que l'entreprise ait institué ou non le télétravail, dans la mesure où « l'aménagement d'un poste en télétravail peut résulter d'un avenant au contrat de travail ».
Ajoutons que, dans la législation actuelle, il n'est même plus nécessaire de recourir à un avenant (même si, à notre sens, cela reste préférable) : le télétravail repose en principe sur le commun accord de l’employeur et du salarié et cet accord peut être formalisé par tout moyen (c. trav. art. L. 1222-9 ; voir « Statuts particuliers de certains salariés », RF 1129, § 3303).
En revanche, le passage d’un temps complet à un temps partiel (comme préconisé par le médecin du travail dans cette affaire) nécessite un avenant dans la mesure où le travail à temps partiel impose d’inscrire certaines mentions dans le contrat de travail (voir « Temps de travail, salaire et formation », RF 1136, § 2547). Mais ce point ne faisait apparemment pas débat.
La Cour de cassation confirme donc que l'employeur n'avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement, de sorte que le licenciement de la salariée pour inaptitude et impossibilité de reclassement se trouvait dénué de cause réelle et sérieuse.
Le télétravail peut être une solution de reclassement, sauf s'il est incompatible avec les fonctions du salarié
Attention, cette décision ne signifie pas que l'employeur doive automatiquement reclasser un salarié inapte en télétravail dès l'instant que le médecin du travail le préconise. Simplement, s'il écarte cette solution, il doit le justifier, à notre sens, par le fait que les fonctions du salarié sont incompatibles avec le télétravail.
On peut imaginer par exemple que le salarié doive encadrer une équipe qui travaille toujours en présentiel ou encore régulièrement rencontrer des clients. De tels arguments sont, à notre sens, de nature à justifier de l'impossibilité de reclasser le salarié en télétravail (sous réserve, naturellement, de ce que pourrait décider la Cour de cassation dans des décisions ultérieures). Mais le seul fait que l'entreprise ne pratique pas le télétravail ne constitue pas un argument recevable.
Cass. soc. 29 mars 2023, n° 21-15472 FB (extrait)
6. Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.
7. L'article L. 1226-12 du même code dispose que lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.
L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions.
8. Il appartient à l'employeur de proposer au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
9. L'arrêt relève que le médecin du travail était parfaitement clair dans l'avis d'inaptitude du 17 février 2016 sur les dispositions à mettre en œuvre de nature à permettre à la salariée de conserver son emploi en précisant qu'elle pourrait occuper un poste administratif, sans déplacement, à temps partiel, en télétravail à son domicile avec aménagement de poste approprié et en confirmant cet avis le 7 juin 2016 en réponse aux questions de l'employeur.
10. L'arrêt retient encore que la salariée occupait en dernier lieu un poste de « coordinateur », que les missions accomplies et non contestées par l'employeur, d'une part ne supposaient pas l'accès aux dossiers médicaux et, d'autre part, étaient susceptibles d'être pour l'essentiel réalisées à domicile en télétravail et à temps partiel comme préconisé par le médecin du travail.
11. En l'état de ces constatations, dont elle a déduit que l'employeur n'avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement, et sans être tenue d'effectuer la recherche invoquée par le moyen pris en sa première branche dès lors que l'aménagement d'un poste en télétravail peut résulter d'un avenant au contrat de travail, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.