3 - Le télétravail à l’international
Marie-Claire Delpin
Vialto Société d'Avocats
marie-claire.delpin@avocats.vialto.com
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Arzhvaël Le Fur
Avocat Associé
Vialto Société d'Avocats
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Rozenn Hamelet
Avocat Associée
Vialto Société d'Avocats
rozenn.hamelet@avocats.vialto.com
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Ont également contribué à la rédaction de cet article : Morgane Texier, Directeur - Avocat ; Mohamed Bouarich, Manager et Violaine Jaussaud, Senior Manager chez Vialto Société d'Avocats.
Le recours au télétravail s’est accéléré depuis la Covid-19 et constitue aujourd'hui un enjeu majeur pour les entreprises désireuses d’attirer et de retenir les talents. Reste qu'un certain nombre de contraintes juridiques doivent être appréhendées afin de s’assurer de la conformité du télétravail à l’international et par extension de sa réussite.
Un sujet au cœur de l'actualité
En octobre 2022, Vialto Partners a sondé ses clients sur leurs pratiques en matière de télétravail international. Il ressort de l’étude que 57 % des sondés ont mis en place une politique permettant à leurs salariés de télétravailler à l’étranger quelques jours par an et seulement 2 % des sondés ont mis en place une politique autorisant jusqu'à 180 jours par an de télétravail à l’étranger : c’est ce que l’on appelle le télétravail temporaire à l’étranger (exercice intégral de son activité professionnelle dans un autre pays pendant une période limitée dans le temps).
Autre situation de télétravail connaissant un fort développement depuis la pandémie : le télétravail hybride, qui prévoit que les salariés travaillent en partie dans les locaux de leur employeur (pays A) et en partie depuis leur domicile (pays B), que ce soit pendant une période limitée dans le temps ou non.
Ces deux modalités de télétravail requièrent une attention toute particulière des employeurs pour anticiper et se conformer aux obligations associées.
En effet, conscientes de l'attractivité que constitue le télétravail, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à l'autoriser pour leurs salariés tant sur le territoire national qu'à l’international. Toutefois, le télétravail à l’international reste encore souvent à l’initiative exclusive des salariés, voire ignoré de l’employeur. Dans l’impossibilité d’identifier sa population en télétravail à l’international et d’en encadrer les conditions, les entreprises peuvent alors faire face à des risques juridiques et fiscaux importants.
En dehors du territoire national, la maîtrise des contraintes juridiques et fiscales correspondantes est un enjeu majeur pour les entreprises en l’absence de réglementation internationale commune. L’OCDE, la Commission européenne et les États se penchent de plus en plus sérieusement sur le sujet, il va dès lors être très intéressant de suivre les évolutions législatives à venir dans les prochains mois, notamment à l’échelle de l’Union Européenne.
Affaire à suivre !
Étude réalisée en octobre 2022 par Vialto Partners sur un panel de 800 entreprises multinationales : https://vialtopartners.wpengine.com/wp-content/uploads/2022/10/The-New-Work-Journey-October-2022-Global-Results-1-181.pdf
Règles générales applicables au télétravail à l’international
En matière de droit au séjour, un seul maître mot : l’anticipation !
Application des règles classiques au sein de l'espace Schengen
Les systèmes d’immigration ont été pensés à une époque où le lieu de résidence et le lieu de travail étaient situés dans un même État.
Perçu comme un phénomène résiduel, le télétravail à l’international n’a pas nécessairement bénéficié d’un encadrement réglementaire ad hoc. Pourtant, dès lors que le télétravail est effectué dans un État dont le salarié n’a pas la nationalité, ce dernier peut être soumis aux règles du droit au séjour et au travail de l’État de résidence.
En effet, dans une majorité de pays, dont la France, il faut recourir aux outils classiques du droit de l’immigration.
Rappelons qu'au sein de l'espace Schengen, qui regroupe les 23 États membres de l'Union Européenne (UE) ainsi que la Norvège, l'Islande, la Suisse et le Liechtenstein, pour les travailleurs ayant la nationalité d'un de ces États, la circulation est libre, sans contrôles aux frontières intérieures. Il n'y a donc pas de droit de séjour à effectuer pour les ressortissants de ces États circulant dans l'espace Schengen.
En revanche, les règles diffèrent pour le ressortissant d'un pays non européen qui viendrait télétravailler au sein de l'espace Schengen (par exemple en France). Dans ce cas, la règle des 90 jours applicable dans l’espace Schengen permet de faire la distinction entre les télétravailleurs en « court séjour », éventuellement soumis à un visa Schengen (cela dépend des États dont sont ressortissants les travailleurs) mais dispensés de carte de séjour, et ceux en « long séjour », soumis à une carte de séjour car dépassant le quota de 90 jours de présence autorisé dans l’espace Schengen par période de 180 jours.
Chaque jour de présence, travaillé ou non, du télétravailleur est pris en compte, ce qui peut amener un télétravailleur à être en court séjour si la période de télétravail n’excède pas 90 jours, ou à être en long séjour, si elle les dépasse. A contrario, un télétravailleur hybride ne télétravaillant qu’un jour par semaine, chaque semaine de l’année, pourra conserver ce schéma pendant des années et être pour autant considéré comme étant en « court séjour ».
Attention
Une fois le régime du séjour déterminé au regard de la règle des 90 jours, il convient de vérifier si l’État de télétravail exige ou non l’obtention d’une autorisation de travail.
Évolution de la législation de certains États
Certains États ont récemment adapté leur législation pour intégrer cette nouvelle forme de travail et proposer des statuts d’immigration attractifs, comme par exemple la Hongrie, le Portugal, l’Espagne ou les Émirats Arabes Unis et leurs programmes de « visa nomade ».
Ces dispositifs spécifiques pour les télétravailleurs sont le plus souvent fixés pour une durée limitée et ne permettent pas une installation permanente dans le pays de télétravail, ce qui peut constituer un frein à ce projet ou mener à une mise en concurrence des différents dispositifs nationaux, d’autant qu’aucune harmonisation n’est pour l’heure organisée au niveau européen.
À noter
En Hongrie, une carte blanche a été instaurée en 2022 pour organiser le séjour dans ce pays des télétravailleurs non ressortissants d’un État membre de l’EEE ou de la Suisse. Cette carte leur est réservée et ne permet pas l’installation des membres de famille dans des conditions simplifiées. Par ailleurs, les années passées en Hongrie sous couvert d’une « carte blanche » ne sont pas prises en compte pour l’accès à un statut plus permanent.
Droit du travail : les implications trop souvent oubliées dans l’équation
Avenant et charte à prévoir
Pour maîtriser et encadrer au mieux le télétravail, les entreprises peuvent mettre en place une charte télétravail adaptée à leurs besoins et fixant les modalités et conditions du télétravail autorisé (hybride et/ou temporaire, durée, pays autorisés, etc.) et en ayant, au préalable, identifié les obligations applicables dans les pays concernés.
En complément, un avenant au contrat de travail doit être conclu pour fixer les termes et conditions individuellement applicables pendant la période de télétravail et recueillir le consentement du salarié. À noter qu’en application du règlement européen n° 593/2008, la loi habituelle du contrat de travail continuera de s’appliquer dès lors que ce télétravail est temporaire ou hybride.
Tenir compte de la directive détachement
Par ailleurs, au sein de l’UE, des obligations peuvent s’appliquer dans le pays où le salarié exerce son télétravail en application des règles issues de la directive détachement 2018/957. Elles sont fixées par chaque État membre et assorties de sanctions. Elles peuvent notamment prévoir une déclaration préalable, la désignation d’un représentant de l’employeur étranger auprès des autorités locales, l’établissement et la conservation de documents spécifiques, le respect des dispositions locales d’ordre public plus favorables (ex. : rémunération minimale, durée du travail, congés payés, etc.).
Il convient donc d'identifier les obligations applicables dans l’État où le télétravail est exercé. À titre d’illustration, aucune déclaration de détachement (« Sipsi ») n’est requise en France en cas de télétravail temporaire exercé par un salarié pour un employeur étranger depuis son domicile en France.
En matière de sécurité sociale, garantir la bonne protection de ses salariés
Sécuriser le détachement avec l'obtention d'un certificat A1
Par principe, un salarié est assujetti à la sécurité sociale dans le pays où il travaille. Le télétravailleur à l’international expose donc son employeur au paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale dans le pays dans lequel il télétravaille, sauf s’il obtient un certificat de détachement en application d’un accord international liant le pays de l’employeur et le pays où est effectué le télétravail.
Toutefois, le télétravail à l’international ne relevant pas, dans la plupart des cas, de l’initiative de l’employeur, il est rare de pouvoir obtenir un tel certificat. Consciente de cette situation, la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, rattachée à la Commission européenne, encourage chaque État membre de l’UE à accorder des certificats de détachement « A1 ». Elle précise qu’il n'y a pas lieu de différencier dans l'intérêt de qui, ou à l'initiative de qui, le télétravail à l’international a été mis en place tant qu'il a lieu avec l'accord (formel ou informel) de l'employeur. Sont visées des situations variées telles que celle où un salarié reste sur son lieu de vacances et commence à y télétravailler pendant un mois supplémentaire avant de rentrer chez lui et de reprendre le travail au bureau (« workation ») ou celle où un employeur autorise son salarié à travailler à son domicile pendant quelques semaines pour pouvoir se concentrer sur un projet spécifique.
À noter
S’agissant plus spécifiquement du télétravail hybride, situation qualifiée de « pluriactivité » au sens de la sécurité sociale, la Commission administrative entend là encore aménager la réglementation européenne en activant deux leviers :
-permettre une application souple des règles jusqu’au 30 juin 2023, notamment celle qui prévoit que les salariés doivent être assujettis dans le pays de résidence dès lors qu’ils y exercent au moins 25 % de leur temps de travail ;
-encourager les États membres à conclure entre eux des accords bilatéraux ou multilatéraux permettant notamment de déroger à la règle précitée des 25 %. Tel est le cas par exemple de l’accord conclu entre l’Allemagne et l’Autriche.
Rappelons que la France et la Suisse ont engagé des négociations en vue de la conclusion d’un accord de sécurité sociale dédié au télétravail (voir § 3-8).
Conséquences pratiques de l'obtention ou non du certificat
Pour les salariés couverts par un certificat de détachement, la couverture sociale de base reste inchangée. Le risque principal à anticiper concerne les couvertures santé et prévoyance mises en place par l’employeur en s’assurant qu’elles puissent s’appliquer en dehors de l'État habituel d’emploi et qu’elles pourront fournir des prestations aux salariés en situation de télétravail à l’international, notamment en cas d’accident du travail ou de maladie. Dans la négative, des solutions palliatives pourront être mises en œuvre pour garantir à ces salariés un niveau de couverture complémentaire équivalant à celui mis en place pour les autres salariés.
Pour les salariés non couverts par un certificat de détachement, leur couverture sociale sera en principe régie par la réglementation en vigueur dans le pays où le télétravail est effectué. Cela suppose des obligations déclaratives et de paiement de charges sociales locales.
À noter
En cas d‘assujettissement en France, une couverture complémentaire santé et prévoyance (pour le personnel cadre) doit être mise en place par l’employeur étranger conformément aux exigences de la réglementation française applicable pour ces salariés non couverts par un certificat de détachement.
Comptez les jours, le nerf de la guerre fiscale !
En matière d’impôt sur le revenu, les modalités d’imposition sont définies par référence à la résidence fiscale du salarié et aux dispositions des conventions fiscales applicables qui prévoient des règles de répartition du droit d’imposer les rémunérations.
De manière générale, les législations internes des États et les dispositions des conventions « modèle OCDE » (article 15-1) posent le principe que les revenus tirés d’une activité professionnelle sont imposables dans l’État où l’activité professionnelle est exercée. Des exceptions à ce principe général sont prévues (article 15-2 convention modèle OCDE) afin de couvrir les situations de missions temporaires entre États et simplifier les obligations déclaratives des salariés et des employeurs.
Ainsi, en cas de mission temporaire dans un autre État, le salarié reste imposable dans son État de résidence et d'exercice habituel de son activité si certaines conditions sont satisfaites. Ces conditions sont relatives à la durée d’exercice de l’activité, au versement des rémunérations et à la charge des rémunérations. Pour ce qui est du télétravail international, le critère déterminant sera vraisemblablement celui des 183 jours, comme nous le verrons dans les cas pratiques ci-après (voir §§ 3-9 et 3-10).
Si le télétravail à l’international n’est pas spécialement visé par les conventions fiscales, la France a commencé à discuter de sa prise en compte avec d’autres États. On peut citer la convention franco-luxembourgeoise qui, le 7 novembre 2022, a étendu de 29 à 34 jours le nombre de jours qu’un salarié résidant en France pouvait télétravailler sans que cela ne génère une imposition en France. Rappelons que cette convention est toutefois toujours en cours de ratification.
Beaucoup plus ambitieux, un accord entre la France et la Suisse a été convenu fin décembre 2022 afin de créer un régime fiscal pérenne en matière de télétravail pour le travailleur ne bénéficiant pas du statut de frontalier. Il prévoit de maintenir l’imposition dans l’État de situation de l’employeur si le télétravail effectué depuis le pays de résidence ne dépasse pas 40 % du temps de travail (voir FH 3970, § 7-4).
Illustrations – Cas de télétravail depuis la France
Télétravail temporaire : un salarié de nationalité étrangère et employé par une société étrangère vient télétravailler 30 jours depuis la France
Exemple 1 | |
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Droit au séjour | Règles du court séjour (moins de 90 jours par période de 180 jours) applicables : dispense d'autorisation de travail ❶ Si un visa Schengen est requis, il devra le solliciter au moins 15 jours avant son arrivée en France. Le visa a, sauf cas particulier, un coût de 80 €. Il s’obtient dans le pays d’origine ou de résidence, hors Union européenne, du salarié. ❷ Si aucun visa Schengen n'est requis : aucune formalité à accomplir. À compter de novembre 2023, le voyageur dispensé de visa Schengen en provenance d’un pays tiers à l’Union européenne devra s’enregistrer en ligne et obtenir une autorisation de voyage (dispositif ETIAS). |
Sécurité sociale | Le salarié et son employeur étranger devront être assujettis au régime français de sécurité sociale sauf s’ils sont en mesure d’obtenir un certificat de détachement qui doit être sollicité auprès des autorités de l'État habituel d’emploi du salarié. Sauf si cet État applique la réglementation européenne, l’employeur étranger restera néanmoins redevable en France, a minima, des cotisations de l’assurance chômage. |
Fiscalité personnelle | Le salarié sera considéré comme non résident fiscal de France. En présence d’une convention fiscale applicable, les règles sur les missions temporaires (article 15-2 modèle OCDE) s'appliqueront, permettant de ne pas déclencher d’obligation fiscale en France. En conséquence, le télétravail temporaire n’a pas de conséquence fiscale que ce soit pour le salarié ou l’employeur. |
Télétravail hybride : un salarié de nationalité étrangère est amené à exercer de manière régulière une partie de son activité dans les locaux de l'employeur situé à l’étranger, et une autre depuis son domicile situé en France
Exemple 2 | |
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Droit au séjour | Le cas du télétravail hybride sera appréhendé différemment selon que le salarié passe plus ou moins de 90 jours par période de 180 jours à son domicile (temps de présence, week-ends et vacances compris). ❶ Si le salarié passe moins de 90 jours en France par période de 180 jours, le salarié devra en principe bénéficier d’un visa Schengen. ❷ Si le salarié passe plus de 90 jours en France par période de 180 jours, il devra bénéficier d’un visa d’installation et d’une carte de séjour. |
Sécurité sociale | Si l’employeur se situe dans un pays non couvert par la réglementation européenne (par exemple les États-Unis), la rémunération afférente aux périodes de télétravail effectuées en France doit être assujettie aux cotisations françaises de sécurité sociale. L’employeur américain doit s’immatriculer en France pour pouvoir acquitter les cotisations patronales et salariales, pour l’ensemble des risques. |
Si l’employeur se situe en Europe (par exemple en Allemagne), le salarié sera soumis à la législation de sécurité sociale : - allemande, s’il exerce en France moins de 25 % de son temps de travail - française, s’il exerce en France 25 % ou plus de son temps de travail Dans les deux cas, il convient d’obtenir un certificat « A1 » attestant de l’assujettissement dans un pays (en Allemagne dans le 1er cas, en France dans le 2nd cas) et de l’exonération corrélative dans l’autre. Ce certificat doit être, dans les deux situations, sollicité en France au motif que le salarié réside en France. | |
Fiscalité personnelle | Les critères de résidence reposent sur les attaches personnelles et économiques ou le temps passé dans les différents États. Si les critères du foyer d’habitation permanent ou du centre des intérêts vitaux peuvent ne pas être pertinents, le critère déterminant sera celui du lieu de séjour habituel ou ensuite de la nationalité. En cas de résidence en France, l’imposition s'effectue en principe sur les revenus mondiaux. En fonction des dispositions de la convention fiscale applicable et en cas de partage d’activité entre deux États, la portion de la rémunération afférente à l’activité professionnelle exercée en dehors de France devrait ouvrir droit à un crédit d'impôt en France (crédit d’impôt égal au montant de l'impôt français ou plus rarement d’une exonération avec prise en compte du revenu pour le calcul du taux effectif d’imposition). Concernant l’employeur, la loi pose le principe selon lequel c’est la personne versant le revenu qui doit collecter l'impôt correspondant. Pour un employeur établi à l’étranger, le mode de collecte de l'impôt dépendra des circonstances. |
Les positions et opinions émises dans cette rubrique n'engagent que leur auteur.