3 - Abus de droit pour inscription des titres en PEA pour une valeur délibérément minorée
L’inscription de titres non cotés sur un PEA-PME à une valeur de convenance, permettant au contribuable de respecter formellement le plafonnement des versements en numéraire, traduit la poursuite d’un but exclusivement fiscal sanctionné par l’abus de droit.
CADF, aff. 2022-10
Contournement de la règle du plafonnement des versements en numéraire sur un PEA ou PEA-PME
Rappel de la règle
Tout contribuable, personne physique majeure, dont le domicile fiscal est situé en France peut ouvrir un PEA et/ou un PEA-PME destiné au financement de PME ou d’ETI (c. mon. et fin. art. L. 221-30).
Souscrit auprès d’un organisme financier, il donne lieu à l’ouverture d’un compte de titres et d’un compte en espèces associé qui retracent l’ensemble des opérations.
Les sommes versées sur le plan doivent être consacrées à l’achat ou la souscription de titres éligibles.
Si le rythme des versements sur le plan est libre et sans montant minimal, il existe cependant un montant maximal des versements pour toute la durée du plan (c. mon. et fin. art. L. 221-30 et L. 221-32-1) :
-de 150 000 € pour le PEA ;
-de 225 000 € (75 000 € avant le 24 mai 2019) pour le PEA-PME.
En plaçant ses titres sur un PEA ou un PEA-PME, le contribuable va leur conférer une certaine rentabilité en exonération d’impôt sur le revenu.
En effet, les plus-values que procurent les placements dans un PEA ou un PEA-PME sont exonérées d’impôt sur le revenu à condition que l’épargne investie soit conservée pendant au moins 5 ans à compter de la date du premier versement (CGI art. 157, 5° bis et 163 quinquies D ; voir « Titres de sociétés et instruments financiers : quelle fiscalité ? », RF 2021-5, § 800).
Faits de l’espèce
Un contribuable a ouvert un PEA-PME le 24 décembre 2015. Il y a inscrit le même jour 444 actions de la société non cotée B acquises auprès de la SARL A, dont il détenait, avec son épouse, la totalité du capital social et dont il était gérant, pour un montant global de 72 372 € inférieur au plafond de 75 000 € alors en vigueur.
Pour évaluer la valeur unitaire de l’action B à 163 €, le contribuable s’était basé sur la valeur nette comptable de la société B arrêtée au 31 décembre 2014 et retraitée afin de tenir compte des distributions de dividendes intervenues au cours de l’année 2015, d’une décote de 30 % prenant en compte sa position d’actionnaire minoritaire non dirigeant (il détenait 12 % du capital de la société B) et l’absence de liquidités des titres ainsi que les facteurs de risque pesant sur la société et son activité.
Puis, 6 mois plus tard, après avoir acquis via son PEA-PME 80 actions de la société C à 10 € par action, il a échangé ses 444 actions B évaluées alors 1 000 € chacune contre 44 400 actions de la société C, qu’il a revendues le 18 août 2017 pour un montant de 1 695 223 €, dégageant une plus-value exonérée d’impôt sur le revenu conformément à l’article 157, 5° bis du CGI.
Par une proposition de rectification du 7 décembre 2020, l’administration a considéré que le contribuable avait inscrit dans son PEA-PME les actions B à une valeur de convenance afin de contourner la règle de plafonnement des versements fixé alors à 75 000 € et a mis en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal (LPF art. L. 64).
Sanction de l’utilisation abusive du PEA
Preuve de l'inscription d'une valeur de convenance par l’administration fiscale
Lorsque l’administration fiscale entend mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal au motif que le contribuable a inscrit sur son plan des titres pour une valeur minorée afin de contourner la règle du plafonnement des versements, il lui appartient d’en apporter la preuve.
Le comité relève que le contribuable n’a produit aucun document de nature à étayer la valeur unitaire de 163 € retenue pour l’action B. Il en déduit que le contribuable ne lui soumet pas d’éléments de nature à justifier cette évaluation.
Le comité estime qu’en l’absence de transaction équivalente, l’administration fiscale a pu valablement établir la valeur nominale de l’action B à un montant de 940 € par combinaison de plusieurs méthodes de valorisation et après application d’une décote de 10 % pour minorité.
Il relève d’ailleurs que, lors de l’échange des titres B contre des titres C, l’action de la société B avait été évaluée à 1 000 € par un commissaire aux apports.
Par conséquent, l’administration établit que le prix de 163 € ne correspond pas à la valeur vénale réelle de l’action de la société B à la date de l’inscription sur le PEA-PME.
Poursuite d’un but exclusivement fiscal à l’encontre des objectifs du législateur
Compte tenu de l’activité exercée au sein de la société A dont il était le dirigeant et principal associé et de sa qualité de représentant de cette société auprès de la société B l’ayant conduit à assister aux différentes assemblées générales de celle-ci, le contribuable ne pouvait ignorer la valeur vénale réelle des actions de la société B lors de leur inscription sur le PEA-PME.
Dès lors, cette inscription à une valeur de convenance qui lui a permis de respecter formellement le plafond prévu par la loi alors que celui-ci était dépassé, dans le seul but de bénéficier de l’avantage fiscal attaché aux opérations de cession de titres réalisées à travers un tel plan, va à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur.
Par suite, le comité a considéré que l’administration fiscale était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal.
Conséquences
L’administration a écarté la valeur d’inscription des titres B dans le PEA-PME d’un montant global de 72 372 € (444 × 163 €) pour y substituer celui de 417 360 € (444 × 940 €) faisant apparaître un dépassement du plafond de 75 000 €.
Elle a en conséquence clôturé le PEA-PME conformément à l’article 1765 du CGI et remis en cause l’exonération de la plus-value réalisée par le contribuable.
Par ailleurs, le contribuable ayant été considéré comme ayant eu l’initiative principale de l’acte constitutif de l’abus de droit et en ayant été le principal bénéficiaire, une majoration de 80 % a été mise à sa charge (CGI art. 1729, b).