6 - Le dirigeant ne peut que subir les actions infondées du liquidateur judiciaire !
Un liquidateur judiciaire peut assigner un dirigeant, lui réclamer 10 M€ au nom d’une faute de gestion et hypothéquer ses biens. Si la faute n’existe pas, le dirigeant ne pourra demander aucun dédommagement au liquidateur. Telle est la leçon à retenir d'un récent arrêt de la Cour de cassation.
Cass. com. 14 septembre 2022, n° 21-15381
L'essentiel
Le liquidateur judiciaire d'une société peut demander que le dirigeant prenne en charge le passif en lui reprochant une faute de gestion. / 6-2
Si l'action du liquidateur est jugée infondée, elle ne sera pas, pour autant, jugée abusive, de sorte qu'elle n'ouvrira pas droit à réparation. / 6-6
Le dirigeant peut demander que les honoraires de son avocat soient, au moins en partie, pris en charge par le liquidateur débouté. / 6-7
Les fautes de gestion sanctionnées lors de la liquidation judiciaire d’une société
Passif mis à la charge du dirigeant
Lorsque la liquidation judiciaire d’une société ne permet pas de régler les créanciers faute d’actif suffisant (ce qui est le cas général), le tribunal de commerce peut décider que le montant de l'insuffisance d’actif sera, en tout ou en partie, mis à la charge d’un dirigeant, dès lors qu'il a commis une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance (c. com. art. L. 651-2).
Le dirigeant peut ainsi être condamné à supporter la totalité des dettes sociales, même si sa faute de gestion n’est que l’une des causes de l’insuffisance d’actif (cass. com. 17 février 1998, n° 95-18510 ; cass. com. 21 juin 2005, n° 04-12087).
Action engagée par le liquidateur judiciaire
La condamnation du dirigeant à prendre en charge le passif (voir § 6-1) peut être demandée par le ministère public ou (c’est le cas le plus fréquent) par le liquidateur (c. com. art. L. 651-3).
L’argent que le liquidateur pourra ainsi obtenir lui permettra de désintéresser les créanciers (c. com. art. L. 651-2, dern. al.)
Une affaire récemment jugée par la Cour de cassation
Le liquidateur réclame 10 M€ à un dirigeant
La Cour de cassation s'est récemment penchée sur le cas d'une société mise en liquidation judiciaire en mai 2018.
En juillet 2018, le liquidateur avait assigné la personne qui était directeur général de la société entre 2010 et 2017. Il lui reprochait d’avoir commis une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif.
Le liquidateur demandait que ce dirigeant soit condamné à prendre en charge la totalité de l’insuffisance d’actif, soit 10 M€.
Dans le même temps, le liquidateur faisait pratiquer deux hypothèques provisoires sur les biens du dirigeant, lui interdisant par là même de les vendre pendant la durée de la procédure.
Le dirigeant demande des dommages et intérêts pour procédure abusive
Le dirigeant estimait qu’il n’avait commis aucune faute de gestion et que le fait de lui réclamer en justice 10 M€ obérait sa tranquillité et ses projets tant personnels que professionnels, cela pour plusieurs mois, voire plusieurs années. Il réclamait en conséquence des dommages et intérêts pour procédure abusive.
Les juges condamnent le liquidateur à verser 20 000 € au dirigeant
En juillet 2020, le tribunal de commerce jugeait que le dirigeant n’avait commis aucune faute de gestion, ce que confirmait, en février 2021, la cour d’appel.
Après 2 ans et demi de procédure, la demande du liquidateur était donc rejetée.
En outre, la cour d'appel estimait que le liquidateur avait présenté une demande infondée, sans ménagement ni prudence. Avant de réclamer 10 M€ à une personne physique, le liquidateur aurait dû vérifier qu'il s'appuyait sur des éléments de droit et de fait sinon incontestables, du moins raisonnables.
En conséquence, la cour d’appel a condamné le liquidateur à verser 20 000 € au dirigeant pour procédure abusive.
La Cour de cassation censure cette condamnation
Saisie par le liquidateur, la Cour de cassation a tout d'abord rappelé que l'exercice d'une action en justice pouvait constituer un abus du droit d'agir, mais qu'un tel abus supposait la démonstration d'une faute (c. civ. art. 1240).
Or, lorsqu'un liquidateur assigne un dirigeant pour une faute de gestion, la loi ne lui demande ni de limiter le montant de sa demande, ni d’établir dans quelle proportion cette faute a pu contribuer à l’insuffisance d'actif. Au demeurant, une action en justice ne constitue pas un abus du seul fait qu’elle n’est pas fondée.
En conséquence, la Cour de cassation a censuré la condamnation du liquidateur.
Ce qu’il faut retenir : les pouvoirs du liquidateur judiciaire
Lorsqu’une société est mise en liquidation judiciaire, le liquidateur peut, sans risque, agir contre le dirigeant et invoquer une faute de gestion qui aurait conduit à l’insuffisance d’actif.
Le dirigeant devra subir cette procédure, qui peut s’avérer longue, coûteuse et perturbante, sans pouvoir espérer des dommages et intérêts si l’action du liquidateur est infondée.
Tout au plus le liquidateur pourra-t-il être condamné à prendre en charge une partie des honoraires que le dirigeant aura été contraint de régler pour assurer sa défense (c. proc. civ. art. 700).
« Mémento de la SARL et de l’EURL », RF Web 2022-2, § 396
« Mémento de la SAS et de la SASU », RF Web 2021-3, § 432
« Mémento de la SA non cotée », RF Web 2021-5, § 517