6 - Déduction d’une dépréciation de stocks de matériels soumis à une obsolescence technique
La provision pour dépréciation d’un stock de pièces détachées calculée selon une méthode forfaitaire qui tient suffisamment compte de l'obsolescence technique propre à chacune de ces pièces est admise en déduction des résultats imposables.
CAA Douai 16 juin 2022 n° 20DA00878
Conditions de déduction des provisions pour dépréciation de stocks
Principe
Lorsqu’une entreprise constate que l'ensemble des matières ou produits qu'elle possède en stock, à la date de clôture de l'exercice, a une valeur probable de réalisation inférieure au prix de revient, elle est en droit de constituer, à concurrence de l'écart constaté, une provision pour dépréciation si elle est en mesure de justifier de la réalité de cet écart et d'en déterminer le montant avec une approximation suffisante (CGI art. 38, 3 et art. 39, 1.5°).
Dépréciation de produits en stock en raison de leur obsolescence technique
La jurisprudence admet que l’obsolescence technique de matériels puisse justifier la constitution d’une provision pour dépréciation de stocks sous réserve que la méthode de calcul retenue présente un caractère réaliste et soit suffisamment précise. Pour le calcul d’une telle provision, l’entreprise peut avoir recours à une méthode forfaitaire fondée, en l’espèce, sur la durée de couverture des ventes annuelles moyennes par le stock, dès lors qu’elle se justifie par le nombre important d’articles en stock et qu’elle n'est pas dénuée de tout lien avec les caractéristiques du produit et avec sa date d'entrée en stock (CE 25 septembre 1989, n° 62934 ; CAA Paris 21 novembre 1991, n° 2415).
En revanche, la jurisprudence a refusé la déduction d’une provision pour dépréciation calculée selon cette méthode dans les situations suivantes :
-marchand d'appareils électro-ménagers, de radio-télévision et de mobilier qui a appliqué des taux de dépréciation forfaitaires selon la date d'acquisition des produits, sans tenir compte des caractéristiques de chaque article et notamment de leur sensibilité à la mode et aux changements techniques (CE 22 janvier 1982, n° 21742 sous BOFiP-BIC-PDSTK-20-20-10-20-§ 80-23/09/2013) ;
-entreprise ayant pour activité la fabrication de tubes électroniques professionnels qui a appliqué un abattement forfaitaire de 90 % à la fraction excédant un an de ventes. Cette provision ne peut être admise sur le seul fondement qu'il s'agirait d'appareils de haute technologie destinés à une clientèle très limitée et d'une obsolescence rapide du fait de l'évolution rapide des techniques (CE 12 octobre 1984, n° 28834 sous BOFiP-BIC-PDSTK-20-20-10-20-§ 80-23/09/2013).
La cour administrative d’appel de Douai admet la déduction d’une provision pour dépréciation de stocks de pièces détachées utilisées dans le domaine de la maintenance industrielle, calculée selon une méthode forfaitaire, dès lors qu’elle permettait de tenir compte de manière satisfaisante de l'obsolescence technique propre à chacune de ces pièces (CAA Douai 16 juin 2022 n° 20DA00878) (voir §§ 6-3 à 6-5).
La méthode d’évaluation des provisions pour dépréciation de stocks au cœur d’un litige
Méthode d’évaluation retenue par la société requérante
Afin de faire face au risque de mévente de ses produits, une société de négoce en gros de visserie et de boulonnerie destinées à la maintenance industrielle a constitué et déduit des provisions pour dépréciation sur ses stocks dormants, lesquels comprennent les références des articles ne faisant l’objet d’aucune vente, ainsi que sur ses stocks à rotation lente, qui regroupent les articles peu vendus.
Le risque de mévente des produits en stock est lié à l'obsolescence technique due à la disparition de certaines activités industrielles, à la modification des normes techniques, qui invalide certaines références, et à la difficulté de prévoir les besoins des clients.
Pour déterminer le montant de ses provisions sur stocks dormants, la société a appliqué un taux forfaitaire au prix de revient des pièces, variable selon l’exercice considéré.
Pour les provisions sur stocks à rotation lente, la société a retenu également une méthode forfaitaire qui consiste à appliquer un pourcentage de 15 %, 33 %, 50 % ou 66 % aux références pour lesquelles la durée prévisible de couverture des ventes par les stocks, telle qu’elle ressort des données de cette société, est comprise entre 2 et 5 ans, 5 et 10 ans, 10 et 20 ans et plus de 20 ans.
Une méthode d’évaluation contestée par l’administration fiscale
À l’issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause la méthode d’évaluation retenue par la société pour ses stocks à rotation lente (voir § 6-3), mais a admis le bien-fondé de la méthode appliquée aux stocks dormants (voir § 6-3).
Elle a estimé que cette méthode ne permettait pas d’établir le caractère probable, ni la réalité, de la dépréciation ainsi constituée dans la mesure où la rotation lente de certains produits était inhérente à la politique de la société, consistant à disposer en permanence d’un stock important de pièces afin de pouvoir répondre instantanément à la demande de sa clientèle.
L’administration a d’ailleurs relevé que certains articles avaient fait l'objet d'un réapprovisionnement l'année même de la constitution de la provision ; or, il est contradictoire de réapprovisionner, même dans une mesure limitée, un stock pour lequel un risque de mévente est constaté.
En outre, elle a considéré que les provisions n’étaient pas justifiées dans la mesure où certains articles en stock ne subissaient aucune altération dans le temps, ni aucune obsolescence liée à des changements de normes.
Cette analyse est confirmée par le tribunal administratif d’Amiens mais rejetée par la cour administrative d’appel de Douai.
Une méthode d’évaluation des stocks à rotation lente établissant la réalité de la dépréciation, selon les juges du fond
Contrairement à l’administration fiscale, la cour administrative d’appel de Douai valide la méthode de calcul retenue par la société pour la dépréciation de ses stocks à rotation lente (voir § 6-3).
Les juges du fond relèvent que les pièces détachées, qui consistent essentiellement en des éléments métalliques stockés dans des conditions optimales, ne subissent pas d'altération physique avec le temps. Néanmoins, la valeur d'usage de certains des articles stockés est susceptible de diminuer dans la mesure où les ventes de nombreuses références tendent à se réduire dans le temps, voire à atteindre un niveau nul, en raison d'une obsolescence technique de pièces spécifiques à certaines activités industrielles.
La cour administrative d’appel de Douai considère donc que les pièces détachées subissent une dépréciation homogène et qu’une individualisation de la dépréciation pour les différentes références de pièces en stock ou une catégorisation de celles-ci est inutile dans la mesure où la méthode mise en œuvre par la société (voir § 6-3) permet de tenir compte de manière suffisante de l’obsolescence technique propre à chacune.
Elle estime également que les réapprovisionnements très limités de certaines références incluses dans les provisions ne peuvent remettre en cause le bien-fondé de la méthode d'évaluation mise en œuvre. En effet, la probabilité de réalisation du risque lié à la perte de valeur d'usage doit s'apprécier à la clôture de chaque exercice et la réalisation ultérieure d'un niveau significatif de ventes d'articles ayant fait l'objet d'une provision demeure sans incidence sur le bien-fondé de cette appréciation.
C’est ainsi que la cour administrative d’appel de Douai juge que, eu égard à la spécificité de l’activité exercée par la société, la méthode d’évaluation des stocks à rotation lente permet de déterminer le montant des provisions constituées avec une approximation suffisante.
Elle en conclut que la provision pour dépréciation des stocks est bien justifiée et que c’est à tort que le tribunal administratif a remis en cause sa déductibilité.