7 - Le dispositif des jours de repos imposés a pu servir à résoudre des difficultés d'organisation
La Cour de cassation estime que le régime dérogatoire qui, au plus fort de la crise sanitaire, a permis aux employeurs d’imposer la prise de jours de repos n'était pas réservé aux entreprises confrontées à difficultés économique. Elle précise par ailleurs que les salariés éligibles à l’activité partielle « garde d’enfant/personnes vulnérables » ne peuvent se voir imposer la prise de jours de repos.
Cass. soc. 6 juillet 2022, n° 21-15189 FPBR
Un dispositif dérogatoire et temporaire
Parmi les mesures exceptionnelles mises en place pour lutter contre les conséquences de la crise sanitaire figurait la possibilité pour l’employeur d’imposer la prise de certains jours de repos. Issu d'une ordonnance du 25 mars 2020, ce dispositif dérogatoire a cessé de s’appliquer le 30 septembre 2021 (ord. 2020-323 du 25 mars 2020, art. 2 à 5 ; ord. 2020-1597 du 16 décembre 2020, art. 1 ; loi 2021-689 du 31 mai 2021, art. 8, XI, 2° ; voir FH 3836, §§ 5-4 à 5-6 ; voir FH 3871, §§ 6-2 et 6-3 ; voir FH 3895, § 6-4).
Pour rappel, ce mécanisme permettait plus précisément aux entreprises de :
-contraindre les salariés à prendre des jours de repos acquis en application d’un dispositif d’aménagement ou de réduction du temps de travail ou acquis au titre d’un forfait-jours (c. trav. art. L. 3121-41 à L. 3121-47 et L. 3121-64 ; voir « Temps de travail, salaire et formation », RF 1136, §§ 2223, 2361 à 2363, 2389 et 2390) ;
-modifier les dates de jours de repos déjà posés ;
-imposer la prise sous forme de jours de repos des droits affectés à un compte épargne-temps (CET) et d’en fixer les dates (voir RF 1136, §§ 2389 et 2390).
Tous dispositifs confondus, l’employeur avait ainsi la possibilité d’imposer la prise ou de modifier la date de 10 jours de repos par salarié.
Dernière précision, et non la moindre : le recours à ces mesures d’exception devait être justifié par « l’intérêt de l’entreprise, au regard des difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 ». Naturellement, cette condition n’allait pas manquer de susciter des difficultés d’interprétation.
L'affaire : un recours aux jours de repos imposés dicté par des difficultés d'organisation
Action en référé contre la décision de l'employeur d'imposer la prise de jours de repos
Lors du premier confinement (de mars à mai 2020), un groupe pharmaceutique avait délaissé l'activité partielle, malgré la mise en place d'un régime dérogatoire particulièrement favorable, pour lui préférer une dispense d'activité « maison », avec maintien de la rémunération.
L'employeur avait par ailleurs choisi de recourir assez largement au dispositif de prise imposée de jours de repos et de conversion des droits affectés au CET en jours de repos pour les salariés qui ne pouvaient pas télétravailler (voir § 7-1). Cette décision résultait de deux notes de service en date des 26 mars et 29 avril 2020.
Ce mécanisme permettait à l'employeur d'adapter l’organisation du groupe, face à une augmentation inattendue de l'absentéisme tenant au fait qu'une partie des salariés se trouvait à son domicile sans pouvoir télétravailler. Maintenir un certain nombre de salariés à domicile lui permettait en outre d'aménager les espaces de travail et d'adapter le taux d'occupation des locaux en raison des conditions sanitaires.
Le fait d'imposer la prise de jours de repos avait cependant été contesté par une fédération syndicale, qui soutenait que le groupe n’était pas confronté à des difficultés économiques justifiant de recourir à ce dispositif dérogatoire.
La fédération en question avait donc saisi le tribunal judiciaire en référé, pour faire juger que la décision de l’employeur de recourir à ce dispositif dérogatoire constituait un trouble manifestement illicite.
Un régime dérogatoire en principe subordonné à des difficultés économiques
Tenu en échec par le tribunal judiciaire, la fédération avait fait appel et obtenu satisfaction devant la cour d’appel de Paris. Celle-ci avait estimé, dans un arrêt du 1er avril 2021, que le groupe ne rapportait pas la preuve de difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 et que sa décision de recourir au dispositif exceptionnel de prise de jours de repos constituait dès lors un trouble manifestement illicite (CA Paris, 1er avril 2021, n° RG 20/12215 ; voir FH 3892, §§ 6-1 et s.).
Cet aspect de l’arrêt du 1er avril 2021 est cependant cassé par la Cour de cassation, dans un arrêt d’importance, puisqu’il aura les honneurs d’une publication au rapport annuel de la Cour (FPBR).
Un dispositif étendu aux situations dans lesquelles la crise sanitaire a un retentissement sur le fonctionnement de l'entreprise
En premier lieu, la Cour de cassation rappelle le régime de preuve applicable : c'est à l'employeur de démontrer qu'il remplit les conditions exigées par l'ordonnance du 25 mars 2020 pour imposer, dans certaines limites, la prise de jours de repos ; et il appartient au juge de vérifier que cette preuve a bien été rapportée.
Puis, reprenant l'arrêt d'appel, elle estime que les motifs invoqués par les juges du fond, en l'occurrence l’absence de preuve de difficultés économiques liées à la propagation du covid-19, sont « inopérants ». Car l'employeur doit simplement justifier que les mesures dérogatoires qu’il a adoptées en application de dispositif exceptionnel de prise des jours de repos « ont été prises en répercussion de la situation de crise sanitaire sur l’entreprise ». Elle ne fait donc aucune allusion à des difficultés économiques.
Plus explicite, la note que la Cour de cassation a jointe à l’arrêt admet que le recours au dispositif qui consiste à imposer la prise de jours de repos « n’est pas limité à la seule situation de difficultés économiques, notamment telles qu’elles sont définies en matière de licenciement économique, ou aux problèmes de trésorerie. La chambre sociale estime que ces dispositions peuvent être mobilisées par l’employeur lorsque la crise sanitaire a un retentissement sur le fonctionnement de l’entreprise. Elle admet que les difficultés d’organisation du travail en lien avec la crise sanitaire puissent constituer un motif suffisant pour recourir à ces mesures dérogatoires. » (https://www.courdecassation.fr/getattacheddoc/62c52759a2c42363790793d3/07b410089bb92613314f749ea9dc722f)
La Cour de cassation a donc choisi d'interpréter très librement l'ordonnance du 25 mars 2020, vraisemblablement dans le souci de ne pas sanctionner a posteriori des entreprises qui ont traversé une période particulièrement difficile.
On ajoutera que si ce dispositif a cessé de s’appliquer le 30 septembre 2021, cette décision a encore tout son intérêt par rapport aux possibles contentieux en cours sur la légitimité du recours à ce mécanisme de prise obligatoire de jours de repos.
Un dispositif inapplicable aux personnes éligibles à l'activité partielle garde d'enfant/personnes vulnérables
Rappel sur le régime d'activité partielle spécifique aux personnes vulnérables ou contraintes de garder leur enfant à domicile
Les pouvoirs publics ont mis en place des dispositions spécifiques aux salariés tenus de rester chez eux pour garder un enfant de moins de 16 ans ou un enfant handicapé ou parce qu’ils étaient eux-mêmes vulnérables au covid au regard de critères fixés par voie réglementaire (femmes au 3e trimestre de grossesse, personnes atteintes d’une pathologie chronique respiratoire, de diabète, ayant des antécédents cardiovasculaires, etc.) ou encore parce qu’ils cohabitaient avec une personne vulnérable.
Dès lors qu’ils ne pouvaient pas télétravailler, ces salariés ont d’abord eu la possibilité de bénéficier d’un arrêt de travail dérogatoire. Puis, à compter du 1er mai, le gouvernement a choisi de les faire bénéficier de l’activité partielle (« activité partielle garde d’enfant/personnes vulnérables » ; loi 2020-473 du 25 avril 2020, art. 20 ; voir FH 3840, § 1-19). Modifié à plusieurs reprises, ce dispositif cessera de s'appliquer le 31 juillet 2022 (loi 2021-1465 du 10 novembre 2021, art. 10 ; voir FH 3916, § 7-7).
Impossible d'imposer la prise de jours de repos à des salariés empêchés de travailler en raison de leur situation personnelle
Dans cette affaire, le groupe pharmaceutique avait choisi, vis-à-vis de ces personnes, de délaisser le mécanisme d’activité partielle pour simplement appliquer un dispositif de dispense d’activité avec maintien de la rémunération, tout en ayant recours, une fois encore, au mécanisme de prise imposée des jours de repos. Cela résultait de la note de service du 29 avril 2020.
Or, pour la fédération à l’origine du litige, l’employeur n’avait pas la possibilité d’imposer la prise de jours de repos à ces salariés, dans la mesure où ils étaient éligibles à l’activité partielle « garde d’enfant/personnes vulnérables ».
La cour d’appel avait là encore donné raison à la fédération et, sur ce point, la Cour de cassation approuve sa décision.
Alors que l’activité partielle est un régime qui prend en considération la situation de l’entreprise, l’activité partielle « garde d’enfant/personnes vulnérables » est fondée sur la situation personnelle de certains salariés. Elle s’applique donc à ces salariés. Toutefois, l’employeur peut aussi décider d’assurer lui-même le maintien de la rémunération et des avantages découlant du contrat de travail, malgré l’impossibilité de travailler de ces derniers, sans faire appel à l’activité partielle.
Dans cette affaire, l’employeur avait choisi cette deuxième option : plutôt que de recourir à l’activité partielle et ainsi à la solidarité nationale, il avait lui-même financé la dispense d’activité des salariés en maintenant leur rémunération. Mais il lui était impossible de recourir dans le même temps au mécanisme de prise imposée des jours de repos, car, ainsi que le souligne la Cour de cassation dans sa note, cette dernière mesure vise à répondre à la situation concrète de l’entreprise et ne peut être mobilisées en raison de la situation personnelle de certains salariés dans l’impossibilité de travailler.