2 - Les conséquences indemnitaires de l'annulation de l'autorisation de licenciement
Deux arrêts apportent des précisions sur la délicate question de l'indemnisation du salarié protégé lorsque l'autorisation de licenciement a été annulée. Les hypothèses soumises à la Cour de cassation sont dans les deux cas assez particulières.
Cass. soc. 8 juillet 2020, n° 17-31291 FSPB ; cass. soc. 8 juillet 2020, n° 19-10534 FSPB
L'essentiel
Principe : indemnisation du salarié au titre de la période d'éviction
L'employeur qui rompt le contrat de travail d'un salarié protégé – représentant du personnel, délégué syndical, conseiller prud'hommes, etc. (voir « CSE, représentants de proximité, conseil d’entreprise », RF 1099, §§ 6900 et s.) – doit avoir obtenu au préalable une autorisation de licenciement auprès de l'inspection du travail.
En cas d'annulation de cette autorisation, le licenciement est nul et l'employeur doit réintégrer le salarié dans son emploi ou dans un emploi équivalent, sous réserve que celui-ci en ait fait la demande dans les deux mois suivant la notification de la décision d'annulation. En l'absence de demande de réintégration, le salarié bénéficie des indemnités de rupture et, le cas échéant, d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (voir RF 1099, §§ 7150 et 7151).
En tout état de cause, que le salarié ait demandé ou non sa réintégration, l'employeur doit l'indemniser au titre de la « période d'éviction », c'est-à-dire lui verser les salaires qu'il aurait dû percevoir alors qu'il était écarté de l'entreprise. Cette période va (c. trav. art. L. 2422-4) :
-du licenciement à la réintégration ;
-du licenciement à l'expiration du délai de 2 mois suivant la notification de la décision d'annulation si le salarié n'a pas demandé sa réintégration.
L'indemnité étant fonction du préjudice subi, il convient de retrancher, le cas échéant, les sommes perçues pendant la période d'éviction (salaires en cas d'exercice d'une autre activité professionnelle, allocations de chômage, pensions de retraite).
Première affaire : obligation d'indemnisation dès lors que l'annulation de l'autorisation de licenciement est définitive
Deux procédures de licenciement successives
Dans une première affaire (cass. soc. 8 juillet 2020, n° 19-10534 FSPB), un salarié titulaire de plusieurs mandats de représentant du personnel avait été mis à pied à titre conservatoire le 27 juin 2012 en raison de faits commis pendant ses heures de délégation, puis, après autorisation de l'inspecteur du travail, licencié pour faute grave le 9 août 2012.
Toutefois, le 23 juin 2015, la décision d'autorisation du licenciement avait été annulée par la cour administrative d'appel pour des raisons de motivation. En effet, s'agissant de faits commis pendant les heures de délégation, l'inspecteur du travail ne pouvait pas se borner à constater que les faits reprochés au salarié rendaient impossible son maintien dans l'entreprise. Il lui fallait constater la violation d'une obligation découlant de son contrat de travail (CAA Nancy, 23 juin 2015, n° 14NC00551 ; voir RF 1099, § 7015).
L’employeur avait donc réintégré le salarié le 21 juillet 2015 (le pourvoi qu'il avait formé contre l'arrêt de la cour d'appel sera finalement jugé irrecevable le 27 janvier 2016).
Cependant, il avait immédiatement relancé une procédure de licenciement pour les mêmes faits, obtenu le 4 septembre 2015 l'autorisation de l'inspecteur du travail (autorisation qui, on l'imagine, était cette fois correctement motivée) et rompu une nouvelle fois le contrat de travail du salarié.
Demande d'indemnisation au titre de la période d'éviction dans le cadre de la première procédure
Le contentieux soumis à la Cour de cassation ne portait pas à proprement parler sur la nouvelle procédure de licenciement, mais sur les conséquences financières de la première procédure. Le salarié demandait en effet, à la suite de sa réintégration le 21 juillet 2015, à être indemnisé au titre de la période d'éviction, qui allait du 27 juin 2012, date de sa mise à pied conservatoire, au 21 juillet 2015, date de sa réintégration. Soit une somme de 61 000 €.
L'employeur refusait de payer, car, selon lui, il n'y avait pas deux procédures de licenciement, mais une seule, qui avait simplement connu un raté, avec l'annulation de la première autorisation de licenciement. En définitive, la rupture avait bien été avalisée par l'administration.
Pas de régularisation a posteriori du premier licenciement
Pour la Cour de cassation, la décision d’annulation d’une autorisation administrative devient définitive :
-lorsqu’il n’a pas été formé de recours dans les délais ;
-ou lorsqu’aucune voie de recours ordinaire ne peut plus être exercée à son encontre.
L'affaire en question correspondait à la seconde hypothèse, puisque le pourvoi de l’employeur devant le Conseil d’État à la suite de l'annulation de l'autorisation de licenciement avait été déclaré irrecevable.
La Cour de cassation considère ainsi que le fait que, après l’annulation de l’autorisation administrative de licenciement par une décision définitive, l’employeur puisse reprendre la procédure de licenciement pour les mêmes faits et demander une nouvelle autorisation de licenciement est sans effet sur le caractère définitif de la décision d’annulation de la première décision d’autorisation et sur l’application des dispositions permettant au salarié d’être indemnisé pour la période où il était hors de l’entreprise.
L’employeur devait donc indemniser le salarié pour ces mois d’éviction, même si finalement il avait pu le licencier après avoir obtenu une nouvelle autorisation de licenciement pour les mêmes faits.
Cette décision est en accord avec la jurisprudence, la Cour de cassation ayant déjà jugé qu’une autorisation administrative de licenciement, délivrée postérieurement à l'annulation par le juge administratif d'une précédente autorisation, ne pouvait avoir pour effet de régulariser a posteriori le licenciement prononcé sur la base de l'autorisation annulée et tenir en échec le droit à réintégration du salarié issu de cette annulation (cass. soc. 10 décembre 1997, n° 94-45337, BC V n° 435).
Deuxième affaire : indemnisation limitée en cas d'atteinte de l'âge légal de mise à la retraite d'office
Demande de réintégration et d'indemnisation d'un salarié qui a fait valoir ses droits à la retraite
La seconde affaire (cass. soc. 8 juillet 2020, n° 17-31291 FSPB) concerne un salarié protégé qui avait été licencié pour motif économique le 13 octobre 2011. L'intéressé avait contesté l'autorisation de licenciement délivrée, sur recours hiérarchique, par le ministère du Travail, tandis que, en parallèle, il faisait liquider ses droits à la retraite.
Son action en justice avait été couronnée de succès, puisqu'elle s'était soldée par l'annulation par le tribunal administratif, le 9 janvier 2014, de son autorisation de licenciement. On aurait pu imaginer que le salarié, qui était à la retraite depuis plusieurs années et qui avait atteint l'âge de 70 ans quelques jours après la décision du tribunal, le 16 janvier, allait se borner à réclamer son indemnisation au titre, d'une part, de la période d'éviction et, d'autre part, de la rupture du contrat de travail (voir § 2-1). Il n'en fut rien : le salarié demanda sa réintégration, ainsi que l'indemnisation du préjudice correspondant à la période d'éviction.
Pas de réintégration possible si le salarié a fait valoir ses droits à la retraite
Sans surprise, la demande de réintégration a été rejetée par la cour d'appel, avec l'approbation de la Cour de cassation. En effet, selon une jurisprudence bien établie, il n'y a pas de réintégration possible lorsque le salarié a définitivement rompu tout lien professionnel avec l'employeur (cass. soc. 29 mai 2013, n° 12-15974, BC V n° 138 ; cass. soc. 3 octobre 2018, n° 16-19836 FPBR). Le fait de liquider ses droits à la retraite caractérise cette rupture définitive de la relation de travail (cass. soc. 14 novembre 2018, n° 17-14932 FSPB).
En revanche, le départ à la retraite ne fait pas obstacle à l'indemnisation de la période d'éviction. Le salarié a donc joué également cette carte, mais sans obtenir totalement satisfaction.
Pas d'indemnisation au-delà de l'âge légal de mise à la retraite d'office
L'indemnité due au titre de la période d'éviction correspond, concrètement, aux salaires versés entre le licenciement et l'expiration d'un délai de 2 mois à compter de la notification de la décision annulant l'autorisation de licenciement, après déduction des revenus éventuellement perçus pendant cette période (voir § 2-1). Deux points étaient en litige.
Tout d'abord, le salarié reprochait à la cour d'appel d'avoir retranché de son indemnité les pensions de retraite perçues pendant la période d'éviction. La Cour de cassation confirme néanmoins la position de la cour d'appel. Dans la mesure où il s'agit d'indemniser le préjudice subi, il est normal de tenir compte des revenus qu'a pu percevoir le salarié pendant la période d'éviction, tels que des pensions de retraite. C'est une solution conforme à la jurisprudence (cass. soc. 26 septembre 2007, n° 05-42599, BC V n° 140).
En second lieu, et là réside le principal apport de l'arrêt, le salarié voulait que son indemnisation aille de son licenciement jusqu'à la fin du délai de 2 mois suivant la notification de la décision d'annulation de l'autorisation de licenciement, ce qui n'était que la stricte application de ces textes.
Or, la cour d'appel avait choisi de s'écarter du code du travail et de faire cesser l'indemnisation au jour des 70 ans du salarié, âge auquel il pouvait être mis à la retraite d'office (voir « Rupture du contrat de travail », RF 1108, § 1444).
La Cour de cassation souscrit à ce raisonnement et considère, pour la première fois à notre connaissance, que le salarié protégé dont l'autorisation de licenciement est annulée alors qu'il a fait valoir ses droits à la retraite, s'il ne peut prétendre à sa réintégration, a droit à une indemnité égale aux rémunérations qu'il aurait dû percevoir de son éviction jusqu'à l'expiration du délai de 2 mois à compter de la notification de la décision d'annulation, sous déduction des pensions de retraite perçues pendant la même période, « sauf s'il atteint, avant cette date, l'âge légal de mise à la retraite d'office ». Dans une telle hypothèse, l'indemnité correspond aux rémunérations que le salarié aurait dû percevoir de son éviction jusqu'à l'âge légal de la mise à la retraite d'office.