8 - Condamnation du dirigeant pour non-dépôt des comptes
La Cour de cassation a eu récemment l’occasion de se prononcer sur l’incidence des injonctions et des astreintes prononcées en cas de non-dépôt des comptes annuels.
Cass. com. 7 mai 2019, n° 17-21047
L'essentiel
Toute société par actions doit déposer ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce. / 8-1
En cas de non-dépôt des comptes annuels, le président du tribunal peut enjoindre au dirigeant de le faire, sous peine d’astreinte. / 8-5 et 8-6
Le paiement de l'astreinte incombe au dirigeant à titre personnel. / 8-10
Dépôt des comptes annuels
Obligation de dépôt des comptes
Obligation légale
Toute société par actions est tenue de déposer, en un exemplaire, au greffe du tribunal de commerce :
-les comptes annuels (bilan, compte de résultat et annexe) et, le cas échéant, le rapport des commissaires aux comptes, éventuellement complété de leurs observations sur les modifications apportées par l’assemblée aux comptes annuels qui ont été soumis à cette dernière ;
-la proposition d’affectation du résultat soumise à l’assemblée et la résolution d’affectation votée.
Le dépôt doit être effectué dans le mois suivant l'approbation des comptes ou dans les 2 mois pour un dépôt par voie électronique (c. com. art. L. 232-23, I) (voir « Le mémento de la SARL et de l'EURL », RF Web 2018-2, §§ 1115 à 1122 ; « Le mémento de la SA », RF Web 2017-3, §§ 873 à 875 ; et « Le mémento de la SAS/SASU », RF Web 2017-2, §§ 520 à 528).
Publicité restreinte pour les petites entreprises
Lorsque la société répond à la définition comptable des micro-entreprises ou des petites entreprises, elle peut décider, sous certaines conditions, de ne pas rendre public le dépôt de certains documents comptables.
Sont des micro-entreprises, les sociétés qui, à la clôture du dernier exercice clos, ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 350 000 € de total de bilan, 700 000 € de chiffre d'affaires net et 10 salariés permanents (c. com. art. D. 123-200, al. 2).
Sont des petites entreprises, les sociétés qui, à la clôture du dernier exercice clos, ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 6 M€ de total de bilan, 12 M€ de chiffre d'affaires net et 50 salariés permanents (c. com. art. D. 123-200, al. 3 ; voir FH 3797, § 1-1).
Ainsi, la micro-entreprise peut choisir de déposer l’ensemble de ses comptes (bilan, compte de résultat et annexe) de manière confidentielle. À cette occasion, la société devra déposer au greffe une déclaration de confidentialité des comptes annuels (c. com. art. L. 232-25, R. 123-111-1 et A. 123-61-1).
La petite entreprise, quant à elle, peut décider de ne pas publier son compte de résultat. Pour ce faire, elle devra alors remettre au greffe une déclaration de confidentialité du compte de résultat (c. com. art. L. 232-25, R. 123-111-1 et A. 123-61-1).
Présentation simplifiée pour les moyennes entreprises
Pour les exercices clos à compter du 23 mai 2019, la loi 2019-486 du 22 mai 2019 (dite « loi PACTE ») a autorisé les moyennes entreprises à ne rendre publique, sous certaines conditions, qu'une présentation simplifiée de leur bilan et de leur annexe (c. com. art. L. 232-25, al. 3 ; voir FH 3793, § 2-19).
Ces moyennes entreprises sont celles qui, au titre du dernier exercice clos, ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 20 M€ de total de bilan, 40 M€ de chiffre d'affaires net et 250 salariés permanents (c. com. art. D. 123-200, al. 4 ; voir FH 3797, § 1-3).
Sanction pénale
Le fait de ne pas satisfaire à l’obligation de dépôt des comptes et des documents prévue à l’article L. 232-23 du code de commerce (voir § 8-1) peut être puni d’une amende de 5e classe, soit jusqu'à 1 500 € pour une première infraction et jusqu'à 3 000 € en cas de récidive (c. com. art. R. 247-3).
Injonction de dépôt des comptes annuels
Injonction par le président du tribunal
Lorsqu’une société ne dépose pas ses comptes annuels dans les délais légaux, le président du tribunal de commerce peut, à la demande de tout intéressé, du ministère public ou d’office, adresser au dirigeant de cette société une injonction de déposer les comptes annuels de la société (c. com. art. L. 123-5-1 et L. 611-2, II).
À cette fin, le président du tribunal rend une ordonnance faisant injonction au représentant légal de la société de déposer les comptes annuels dans un délai de 1 mois à compter de la notification de l’ordonnance (c. com. art. R. 611-13).
Le greffier notifie cette ordonnance au représentant légal de la société (c. com. art. R. 611-14).
Dépôt des comptes des 5 dernières années. Selon le Comité juridique de l'ANSA, l'injonction de dépôt des comptes annuels peut porter sur les comptes des cinq dernières années, ce délai correspondant à la prescription de droit commun (c. civ. art. 2224), ainsi qu’au délai de la prescription commerciale (c. com. art. L. 110-4) (ANSA, CJ 7 février 2018, n° 18-004).
Injonction sous astreinte
Le président du tribunal peut accompagner son injonction de dépôt des comptes d’une astreinte (c. com. art. L. 611-2, II).
En pratique, les magistrats prononcent quasi-systématiquement cette astreinte pour son effet comminatoire.
Exemple
Le président du tribunal peut décider qu'à défaut de dépôt des comptes dans le mois de la notification de l'injonction, le dirigeant devra payer une astreinte, par exemple de 300 € par jour de retard, jusqu'au jour où les comptes seront effectivement déposés.
Fixation d’une date d’audience
L’ordonnance mentionne également les lieu, jour et heure de l’audience à laquelle l’affaire sera examinée (c. com. art. R. 611-13).
Lors de cette audience, deux cas sont envisageables (c. com. art. R. 611-15) :
-soit l’injonction de faire a été exécutée dans les délais impartis. L’affaire est alors clôturée ;
-soit le greffier constate le non-dépôt des comptes par procès-verbal.
Dans la seconde situation, le président du tribunal va liquider l’astreinte et condamner le dirigeant à la verser au Trésor public (c. com. art. R. 611-16).
Toutefois, le président du tribunal n'est pas tenu de conserver le montant prévu dans son injonction. Il peut le modifier en tenant compte du comportement du dirigeant et des éventuelles difficultés qu'il a pu rencontrer (c. proc. civ. exéc. art. L. 131-4).
Exemple
Si nous reprenons l'exemple ci-dessus (voir § 8-6) et supposons que le dirigeant n'a pas déposé les comptes pendant 30 jours à compter du point de départ de l'injonction, il ne sera pas nécessairement condamné à régler 9 000 € d'astreinte (300 € × 30 j.). Le président du tribunal pourra liquider l'astreinte pour un montant bien en deçà, en le fixant, par exemple, à 5 000 €.
Obligation reposant sur le dirigeant
Une affaire soumise à la Cour de cassation
Astreinte de 3 000 €
Dans une récente affaire soumise à la Cour de cassation, un dirigeant a été enjoint par le président du tribunal de commerce de déposer les comptes annuels de la société qu’il représente.
Face à son inertie, le dirigeant a été condamné à payer la somme de 3 000 € au titre de la liquidation de l’astreinte (cass. com. 7 mai 2019, n° 17-21047).
Astreinte supportée par le dirigeant
Une question d’ordre procédural…
Le dirigeant a contesté l’astreinte et déposé un recours devant la Cour de cassation en sa qualité de représentant légal de la société.
La Cour de cassation a déclaré irrecevable la demande du dirigeant au motif que le recours ne pouvait pas être présenté, comme il l'avait été, par la société, celle-ci n'étant pas partie au litige.
… génératrice d’une incidence pratique
Même si la solution de ce litige relève d’une question de procédure, la Cour de cassation a eu ici l’occasion de préciser, pour la première fois à notre connaissance, que l’injonction de dépôt des comptes annuels et le paiement de l’astreinte obligeaient le représentant légal de la société à titre personnel.
En effet, c’est bien le dirigeant, et non la société, qui est le destinataire de l’injonction. Il revient donc à lui seul de payer l’astreinte et, le cas échéant, de la contester en justice.
Le paiement ne peut être mis à la charge de la société
Dans l’hypothèse où le dirigeant ferait supporter le paiement de l'astreinte à la société, il s'exposerait, au moins en théorie, à des poursuites pour abus de biens sociaux (c. com. art. L. 241-3, 4° pour les SARL ; c. com. art. L. 242-6, 3° pour les sociétés par actions).
Dans le même ordre d'idées, la société et les associés pourraient souhaiter engager une action en responsabilité civile contre le dirigeant (c. com. art. L. 223-22 pour les SARL ; c. com. art. L. 225-251 et c. com. art. L. 225-252 pour les SA ; c. com. art. L. 227-8 pour les SAS), voire une procédure de révocation (c. com. art. L. 223-25 pour les SARL ; c. com. art. L. 225-47, al. 3 et c. com. art. L. 225-55 pour les SA).
Il nous semble toutefois que, s'agissant uniquement du paiement de l'astreinte, ces risques ne seraient réellement à craindre que lorsque le paiement par la société n'est pas lié à une simple inadvertance régularisée par le dirigeant.
« Le mémento de la SARL et de l'EURL », RF Web 2018-2, §§ 1115 à 1122
« Le mémento de la SA », RF Web 2017-3, §§ 873 à 875
« Le mémento de la SAS/SASU », RF Web 2017-2, §§ 520 à 528