3 - La réforme des prud’hommes vue par le Conseil d’État
Valérie Bardin-Fournairon et Olivier Barraut
Avocats associés, Barthélémy Avocats
Auteurs de « Procès aux prud’hommes, de la saisine au jugement » (Groupe Revue Fiduciaire, 4e édition 2019)
La décision du Conseil d’État du 30 janvier 2019, saisi dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre du décret 2016-660 du 20 mai 2016 réformant la justice prud’homale, était très attendue tant les moyens juridiques développés par les différents syndicats à l’origine du recours étaient nombreux et convergents pour tenter de faire annuler tout un pan de la réforme prud’homale initiée par la loi 2015-990 du 6 août 2015 et confortée par plusieurs décrets parus en 2016 et 2017.
À l’arrivée, le Conseil d’État procède seulement à l’annulation de la deuxième phrase de l’article R. 1454-23 du code du travail, laquelle a très peu d’incidence sur le sens de la réforme entreprise, et à la correction de l’article R. 1454-17 qui ne visait pas les bons articles… à un tiret près, correction qui avait déjà été faite quelque temps avant sa décision. C’est dire que les efforts déployés par les requérants sont restés vains malgré les critiques formées à l’encontre de la quasi-totalité du décret. Tout ça pour ça !
En revanche, le Conseil d’État s’est prononcé sur une difficulté procédurale qui avait ému les avocats en son temps, et portant sur l’assistance et la représentation des justiciables devant la cour d’appel. Avec cette décision, plus aucun doute n’est permis : tout avocat, quelle que soit sa résidence professionnelle, peut assister ou représenter toute personne devant n’importe quelle cour d’appel sans avoir recours à un « postulant ». Cet apport est l’élément le plus intéressant de la décision commentée, pour les avocats.
Sur les critiques qui ont été rejetées par le Conseil d’État
Contrôle de la légalité externe et de la légalité interne du décret
Après avoir rejeté les moyens tirés de la légalité externe du décret présentés au motif que le ministre n’avait pas consulté préalablement tant le Conseil national de l’aide juridique que le Conseil National des Barreaux (CNB) partie au litige, le Conseil d’État a examiné la légalité interne du décret dans son entier pour en conclure qu’il ne disposait pas de précisions suffisantes pour dire si ledit décret était entaché d’erreur manifeste d’appréciation (CE 30 janvier 2019, n° 401681 ; décret 2016-660 du 20 mai 2016, JO du 25).
Sur le fond de la réforme, le contrôle du Conseil d’État s’est exercé au visa des textes communautaires suivants :
-convention n° 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ;
-convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;
-charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ;
-charte sociale européenne révisée.
De ce contrôle il est ressorti que la plupart des critiques n’étaient pas sérieuses.
Sur l’obligation de rédiger une requête et de communiquer les pièces dès le bureau de conciliation et d’orientation
Les requérants ont d’abord contesté la légalité de l’article 8 du décret 2016-660 du 20 mai 2016 (JO du 25 ; c. trav. art. R. 1452-2) selon lequel le fait d’imposer la rédaction d’une requête pour saisir le juge prud’homal, et la communication des pièces entre les parties dès le bureau de conciliation et d’orientation (BCO), en raison des formalités contraignantes que cela suppose, porterait atteinte au principe d’égalité entre les justiciables.
Il n’en est rien pour le Conseil d’État qui considère que dans la mesure où les justiciables peuvent être assistés ou représentés, notamment par des professionnels (avocat ou défenseur syndical), de telles modalités ne sont pas des obstacles insurmontables limitant l’accès au droit.
En outre, il a été rappelé que si en application de l’article R. 1452-2 du code du travail (issu du décret 2016-660 du 20 mai 2016) le demandeur se voit imposer, dès le début de la procédure, la communication de ses pièces alors que le défendeur est seulement invité à faire de même, cette disparité, qui n’est pas prescrite à peine de nullité mais est destinée à faciliter la mise en état du dossier et le traitement des affaires, ne contrevient pas au principe d’égalité.
Il en est de même en ce qui concerne les modalités d’information du demandeur et du défendeur du lieu et de l’adresse de la tentative de conciliation : le premier est informé par tous moyens alors que le second est nécessairement convoqué par lettre recommandée avec AR. Une telle différence de traitement n’est pas de nature à désavantager le demandeur dès lors que les moyens électroniques actuels de communication lui permettent d’être informé de manière certaine du rendez-vous judiciaire.
Sur la fin de l’obligation de comparution personnelle
L’article R. 1453-1 du code du travail dispose que les « parties se défendent elles-mêmes. Elles ont la faculté de se faire assister ou représenter ». La comparution personnelle n’est donc plus exigée (décret 2016-660 du 20 mai 2016, art. 9, JO du 25).
Pour les requérants, le fait de supprimer l’obligation pour les parties d’être présentes devant le BCO constitue une atteinte même au principe de conciliation édicté par la loi.
Certains praticiens y ont vu une absurdité car on ne saurait favoriser le rapprochement des parties si celles-ci ne sont pas tenues de se présenter personnellement à l’audience.
Pour le Conseil d’État, le principe de conciliation énoncé par l’article L. 1411-1 du code du travail n’est pas remis en cause par cette modification dès lors que l’article L. 1454-1-3 prévoit que le BCO peut juger l’affaire en l’état des pièces et moyens que la partie comparante a contradictoirement communiqués à la partie défaillante dont l’absence n’est pas légitime.
En d’autres termes l’absence non justifiée induit la volonté de ne pas concilier et permet au juge de poursuivre la procédure engagée sans remettre mettre en cause les droits de la partie absente.
Sur la suppression des délégués des organisations syndicales et la création des défenseurs syndicaux
La réforme a supprimé les délégués permanents ou non permanents des organisations syndicales d’employeurs ou de salariés de la liste des personnes habilitées à assister ou représenter les parties devant le conseil de prud’hommes (décret 2016-660 du 20 mai 2016, art. 10, JO du 25).
Corrélativement avait été créé, par la loi du 6 août 2015, le « défenseur syndical » dont la mission consiste justement à assister ou représenter les parties spécifiquement devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel (c. trav. art. L. 1453-4).
En procédant de la sorte, le législateur de 2015 a entendu renforcer l’efficacité de la représentation prud’homale puisque ledit défenseur syndical, qui est issu des organisations syndicales représentatives, notamment au niveau national, est formé et bénéficie de garanties particulières, tout en préservant la liberté de choix du défenseur.
Au demeurant le défenseur syndical fait jeu égal avec l’avocat devant la chambre sociale de la cour d’appel puisque ces deux professionnels se partagent le monopole de la représentation devant cette juridiction.
Pour le Conseil d’État il n’y a donc aucune atteinte à la liberté syndicale ou à la protection du droit syndical.
Sur la réforme des règles d’échanges des conclusions
L’oralité des débats est la règle devant le conseil de prud’hommes par application des dispositions de l’article R. 1453-3 du code du travail. Dans la plupart des procès prud’homaux où interviennent avocats et/ou défenseurs syndicaux, il est d’usage d’échanger des conclusions écrites, qui rappellent en droit et en fait, pour le demandeur les raisons de son procès, et pour le défendeur, les motifs de s’y opposer. Cela permet également au juge d’avoir à portée de main les règles de droit invoquées par les parties et de s’y référer dans le cadre de son délibéré.
Le décret attaqué a réformé profondément les règles d’échanges des conclusions puisqu’il impose dorénavant, aux seules parties qui sont assistées ou représentées par un avocat, de formaliser des conclusions reprenant les moyens de fait et de droit, et de viser les pièces à l’appui de l’argumentation, étant précisé que les demandes doivent être récapitulées dans un dispositif qui seul s’imposera juge (décret 2016-660 du 20 mai 2016, art. 12, JO du 25 ; c. trav. art. R. 1453-5).
Certains praticiens, dont les requérants, ont vu dans cette exigence procédurale une atteinte à l’oralité des débats et ce d’autant que l’article R. 1453-4 du code du travail prévoit que « les parties peuvent se référer aux prétentions et moyens qu’elles auraient formulés par écrit ».
Le Conseil d’État, pour sa part, réaffirme qu’aucun principe général du droit ne prescrit que les débats doivent se dérouler oralement devant les conseils de prud’hommes. À ce titre, et dès lors que l’oralité des débats n’est prévue que par un décret (codifié à l’article R. 1453-3 du code du travail), le Conseil d’État a estimé que le moyen tiré de la violation d’un texte de même valeur, en l’occurrence un autre décret, était totalement inopérant.
Il était donc possible d’imaginer des obligations procédurales supplémentaires pour les seules parties représentées par un avocat ; celles-ci ne s’appliquant pas en effet lorsqu’une des parties comparait en personne, ou est représentée par un défenseur syndical.
Au surplus, cette exigence procédurale, qui favorise « une meilleure identification des litiges » se justifie par la volonté d’assurer une bonne administration de la justice, sous-entendu, une meilleure compréhension des demandes et arguments de la part des juges qui pourront alors se fier aux écrits qui leur sont remis.
Enfin, le Conseil d’État a considéré que si le justiciable qui se défend seul, ou assisté d’un défenseur syndical, est placé dans une situation différente de celui qui a recours à un avocat, pour autant cela ne saurait constituer une atteinte à l’égalité ou au libre choix du défenseur, dès lors que « l’article 12 soumet les justiciables se trouvant dans la même situation à la même procédure ».
Sur le caractère paritaire de la juridiction prud’homale
L’article L. 1454-1-2 du code du travail donne au BCO la faculté de désigner « un ou deux » conseillers rapporteurs lesquels peuvent prescrire, au demandeur comme au défendeur, toutes mesures nécessaires pour que l’affaire soit mise en état d’être jugée.
L’article R. 1454-3, du code du travail, dans sa rédaction issue de l’article 13 du décret attaqué, confirme cette possibilité pour le BCO, de désigner « un ou deux » conseillers rapporteurs (décret 2016-660 du 20 mai 2016, art. 13, JO du 25).
Quant à l’article R. 1454-4 du code du travail, force est de relever qu’il a prévu la possibilité de ne désigner qu’un seul conseiller, comme la loi le permet au demeurant, puisque son deuxième alinéa expose expressément que « lorsque deux conseillers rapporteurs sont désignés dans la même affaire, l’un est employeur, l’autre est salarié… ».
Il ressort de la combinaison de la loi et du décret que le BCO a en effet la faculté de ne désigner qu’un seul conseiller rapporteur pour gérer la mise en état, ce qui pouvait susciter certaines craintes au titre du respect de la parité.
Pourtant, un tel dispositif existait déjà si l’on se reporte aux anciens articles R. 1454-1 et R. 1454-2 du code du travail de sorte que le nouveau texte n’a rien changé à ce titre : théoriquement un seul conseiller peut être désigné.
Pour autant, il n’y a aucune atteinte au caractère paritaire de la juridiction prud’homale dans la mesure où le nouveau texte trouve sa raison d’être dans un texte législatif (article L. 1454-1-2, et non comme l’a indiqué inexactement le Conseil d’État, l’article L. 1454-18-2, qui n’existe pas) et que dans la pratique, ce sont deux conseillers prud’hommes qui sont systématiquement chargés de mettre les affaires en état.
On retrouve d’ailleurs le même schéma devant le bureau de jugement (BJ), lequel, en application de l’article R. 1454-19-1 du code du travail, peut désigner « un ou deux conseillers rapporteurs qui disposent des pouvoirs mentionnés à l’article R. 1454-4 ».
On n’imagine pas qu’une mesure d’instruction, quelle qu’elle soit, puisse être confiée, par une juridiction dont la parité est le socle, à un seul conseiller, sans que les parties ne s’en offusquent, ce qui signifie que la formulation « peut désigner un ou deux conseillers » n’est qu’une figure de style et n’entraîne aucune conséquence sur l’équité du procès.
Sur l’information des parties par tous moyens de la date de l’audience
Les critiques formées sur la légalité de ces articles étaient les mêmes que celles ayant trait à l’article 8 du décret précité (voir § 3-2) (décret 2016-660 du 20 mai 2016, art. 17, 18 et 20, JO du 25 ; c. trav. art. R. 1454-20, R. 1454-21 et R. 1454-26).
Le Conseil d’État confirme que toute partie peut être informée, par tous moyens, de la date d’une audience ou des mesures d’administration judiciaire, sans que cela ne soit contraire au droit à un procès équitable ou au principe d’égalité devant la justice.
Sur la représentation obligatoire devant la chambre sociale de la cour d'appel
Les articles 28 à 30 du décret 2016-660 du 20 mai 2016 traitent de l’innovation la plus délicate en matière de procédure puisqu’il s’agit de la représentation obligatoire devant la chambre sociale de la cour d’appel pour toutes les affaires prud’homales (c. trav. art. R. 1461-1 et R. 1461-2 ; c. proc. civ. art. 930-2).
Ainsi, à compter du 1er août 2016, le législateur a prévu que les justiciables doivent être assistés et/ou représentés soit par un avocat soit par un défenseur syndical.
Considérant qu’il s’agissait là d’une atteinte au monopole de représentation des avocats prévu par l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971, l’un des requérants a contesté la légalité du décret.
Au-delà de cette contestation, était également mis en balance le fait qu’en attribuant à des avocats et des défenseurs syndicaux le monopole de la représentation devant la cour d’appel, les justiciables se trouvaient confrontés à une situation qui pouvait relever de la rupture de l’égalité des armes.
Le Conseil d’État a répondu sur ces différents points.
D’une part, il a estimé que le législateur avait pu valablement déroger au monopole des avocats devant la cour d’appel, et ce, au profit des défenseurs syndicaux sans que cela ne soit contraire au principe de l’égalité des armes.
D’autre part, il a estimé que les défenseurs syndicaux bénéficiaient d’un statut tel qu’il permettait de présenter, pour les justiciables, des garanties équivalentes à celles des avocats.
Les parties ont donc le choix d’avoir recours à deux professionnels du droit prud’homal, qui sont placés sur un plan identique, même si les défenseurs syndicaux n’ont pas accès à la communication électronique (RPVA : Réseau Privé Virtuel des Avocats).
À ce titre le Conseil d’État admet expressément que le fait pour eux d’être obligés de remettre au greffe de la cour d’appel leurs actes de procédure, s’il constitue une contrainte particulière, ne méconnaît pas le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Sur la compétence du tribunal d’instance en matière préélectorale
Sur ce point, le Conseil d’État rejette, comme étant irrecevable, le moyen présenté par le CNB et selon lequel l’article 267 de la loi du 6 août 2015 serait contraire aux droits et libertés que la Constitution française garantit, faute d’avoir été présenté dans un mémoire « distinct et motivé ». Pour un motif de pure forme, les articles 34 à 40 du décret 2016-660 du 20 mai 2016 portant réforme de la compétence du tribunal d’instance en matière de contestation relatives à l’électorat, sont donc préservés.
Sur la date d’entrée en vigueur de la réforme fixée au 1er août 2016
Les requérants avaient soutenu qu’en décidant d’une entrée en vigueur fixée au 1er août 2016 (le décret est daté du 20 mai 2016) (décret 2016-660 du 20 mai 2016, art. 45 et 46, JO du 25) un délai insuffisant était laissé aux justiciables, pour appréhender ces nouvelles règles, ce qui heurtait le principe de sécurité juridique.
Le Conseil d’État a répondu ainsi : « En prévoyant une entrée en vigueur le 1er août 2016 des dispositions nouvelles régissant la procédure prud’homale en première instance et en appel, les articles 45 et 46 du décret ont, eu égard à la nature et la portée de ces dispositions, laissé aux avocats et aux défenseurs syndicaux choisis notamment en raison de leur connaissance du droit social un délai raisonnable pour s’adapter à ces modifications. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique et des droits de la défense doit, dès lors, être écarté ».
En somme, les justiciables étant défendus par des « professionnels » censés connaître mieux que quiconque les règles de procédure, l’application rapide de la réforme ne devait pas leur poser de difficulté majeure pour les mettre en œuvre.
S’il est certain que l’agilité des avocats n’est plus à démontrer, force est toutefois de relever que devant le conseil de prud’hommes les parties, non assistées, sont vraiment très seules face aux chausse-trappes de la procédure et que les difficultés d’application dans le temps d’une telle réforme peuvent les amener à commettre des erreurs irréversibles.
En réalité, certaines mauvaises langues ont pu dire que sous couvert de rendre plus efficace la procédure prud’homale le gouvernement a entendu décourager les justiciables de saisir le juge sauf à se faire systématiquement assister d’un professionnel.
Sur les critiques accueillies par le Conseil d’État
Rappel des textes applicables en cas de défaillance des parties le jour de l’audience devant le BCO
L’article 14 du décret 2016-60 du 20 mai 2016 a notamment modifié les articles R. 1454-12 et R. 1454-13 du code du travail à propos de la défaillance des parties le jour de l’audience devant le BCO.
Ces deux textes doivent être mis en relation avec l’article L. 1454-1-3 qui dispose que si l’une des parties (sans préciser laquelle) ne comparaît pas sans justifier d’un motif légitime, le BCO peut juger l’affaire en l’état des pièces et moyens que la partie comparante a contradictoirement communiqués.
Ainsi, l’article R. 1454-12 (relatif au demandeur) prévoit que lorsque c’est le demandeur qui ne comparaît pas, sans motif légitime, le BCO dispose de trois options :
-soit il applique l’article L. 1454-1-3, c’est-à-dire qu’il peut décider de juger l’affaire en l’état ;
-soit il renvoie la cause et les parties devant le bureau de jugement (BJ) dans sa composition restreinte ;
-soit il déclare la requête et la citation caduques si le défendeur ne requiert pas un jugement sur le fond.
Quant à l’article R. 1454-13 (relatif au défendeur), il prévoit que « lorsqu’au jour fixé pour la tentative de conciliation, le défendeur ne comparaît pas sans avoir justifié en temps utile d’un motif légitime, il est fait application de l’article L. 1454-1-3. Le bureau de conciliation et d’orientation ne peut renvoyer l’affaire à une audience ultérieure du bureau de jugement que pour s’assurer de la communication des pièces et moyens au défendeur ».
En d’autres termes, le gouvernement avait prévu que si le défendeur ne venait pas en conciliation, sans expliquer les raisons de son absence, le BCO disposait des deux options suivantes :
-soit, en application de l’article L. 1454-1-3, il pouvait « juger l’affaire, en l’état des pièces et moyens que la partie comparante a contradictoirement communiqués » en tant que BJ dans sa composition restreinte ;
-soit, en application du second alinéa de l’article R. 1454-13, il pouvait renvoyer l’affaire devant le BJ, mais uniquement pour permettre le respect du principe du contradictoire.
Le lecteur aura noté la disparité de traitement opérée par les deux textes dans la mesure où dans la situation du demandeur, le BCO a la faculté de renvoyer le dossier alors que dans la situation du défendeur, le renvoi s’impose à lui lorsqu’il constate que ce dernier n’est pas en possession des pièces et arguments adverses.
Pour l’un des requérants, cette rédaction, visant à prévoir le renvoi devant le BJ, uniquement afin de faire respecter le principe du contradictoire, méconnaît l’article L. 1454-1-3 du code du travail.
Il est vrai que selon ce texte, de nature législative et non réglementaire, le fait de juger l’affaire immédiatement n’est qu’une faculté laissée à l’appréciation souveraine du BCO alors que le BCO n’a pas le choix s’il constate, qu’en dépit de l’absence du défendeur, les parties ont régulièrement échangé leurs pièces et conclusions.
La décision du Conseil d’État
Est donc annulée par le Conseil d’État la seconde phrase de l’article R. 1454-13 du code du travail dans sa rédaction issue du 4° de l’article 14 du décret qui imposait au BCO de juger l’affaire en cas de non comparution du défendeur sans motif légitime alors qu’il s’agissait d’une simple faculté au vu de l’article L. 1454-1-3 précité.
Le BCO est donc souverain pour décider de retenir ou non l’affaire, selon ce qu’avait prévu la loi.
Est également modifiée, pour la forme seulement, la rédaction du dernier alinéa de l’article R. 1454-17 lequel, au lieu de viser les articles R. 1454-12 et R. 1454-13 visait l’article R. 1454-14 ; article non concerné par les conditions de présence des parties devant le BCO.
Mais, au moment où le Conseil d’État a statué, cette erreur matérielle avait en réalité déjà fait l’objet d’une correction par le décret 2017-1008 du 10 mai 2017 de sorte que, dans sa version actuelle, l’article R. 1454-17 vise les bons textes.
Sur le délicat problème de la postulation
Les incidences de la nouvelle procédure d’appel
Ainsi que cela a été évoqué supra, la réforme issue de la loi 2015-990 du 6 août 2015 a souhaité rendre plus rigoureuse la procédure d’appel des jugements prud’homaux en imposant non seulement l’intervention de l’avocat, ou du défenseur syndical, mais également une mise en état écrite qui suppose le respect de délais de procédure impératifs.
À noter
Les jugements rendus par les anciens tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS), devenus le pôle social du tribunal de grande instance suite une réforme applicable depuis le 1er janvier 2019, ne sont pas concernés par cette réforme.
Cette « révolution », pour les avocats travaillistes, a suscité beaucoup de questions et de difficultés dès lors que le non-respect de cette nouvelle procédure se traduit soit par la caducité de l’appel, soit par l’irrecevabilité des arguments et pièces.
Mais au-delà de ces nouvelles règles, les avocats ont été confrontés au mécanisme de la postulation, jusqu’alors inconnue devant les chambres sociales.
Un peu d’histoire sur le mécanisme de la postulation devant les cours d’appels
Avant la réforme, tout avocat pouvait représenter son client devant toutes les chambres sociales de toutes les cours d’appel de France, c’est-à-dire déposer des actes, conclure et plaider…
Depuis la réforme, la procédure étant devenue écrite et supposant l’utilisation du RPVA, il a été admis que seul un avocat appartenant au ressort de la cour d’appel devant laquelle un appel est formé pouvait représenter un justiciable.
Certes le mécanisme de la postulation n’est pas nouveau.
Pour mémoire, avant le 1er janvier 1992, l’appelant et l’intimé devaient avoir recours à un avoué près la cour d’appel qui seul pouvait les représenter devant la cour ; l’avocat ne pouvant alors que plaider le dossier.
Devant les chambres sociales, le ministère d’avoué n’était pas obligatoire et l’avoué avait également le droit de plaider…
Depuis le 1er janvier 1992, en raison de la fusion des professions d’avoués et d’avocats, seul un avocat appartenant au ressort de la cour d’appel peut représenter le justiciable en raison de l’existence d’un monopole de représentation. Par dérogation, cette règle n’était pas applicable devant les chambres sociales.
La question s’est donc posée de savoir si la représentation obligatoire instaurée par la réforme en matière prud’homale devant la cour, devait avoir les mêmes effets que devant les autres chambres civiles.
Une réponse positive s’est très vite imposée dans les faits et ce surtout qu’il fallait éviter toute erreur de procédure qui aurait été irrémédiable et susceptible d’engager la responsabilité civile des avocats.
En réalité, et d’un point de vue strictement juridique, le recours à un avocat dit postulant (pour représenter son client) par un avocat qui a sa résidence professionnelle en dehors de la cour devant laquelle il veut former un appel, n’était pas indispensable en l’absence de tout monopole de la représentation.
En effet, devant les chambres sociales des cours d’appels, l’avocat ne dispose pas du monopole de la représentation car il partage cette faculté avec les défenseurs syndicaux.
L’absence de monopole supposerait donc qu’il n’y a pas de postulation obligatoire.
Pour tenter de s’en assurer, la cour d’appel de Versailles avait saisi, pour avis, la Cour de cassation sur cette délicate question.
Le 5 mai 2017 elle rendait son avis. Selon la Haute Cour « l’application des dispositions du code de procédure civile relatives à la représentation obligatoire devant la Cour d’appel statuant en matière prud’homale n’implique pas la mise en œuvre des règles de postulation devant les cours d’appels, les parties pouvant être représentées par tout avocat, si elles ne font pas le choix d’un défenseur syndical (…) » (cass. avis n° 17006 du 5 mai 2017 ; voir « Procès aux prud’hommes, de la saisine au jugement », 4e éd. Groupe Revue Fiduciaire, §§ 37-2, 37-11).
Certes, si cet avis était favorable à la représentation par les avocats, devant toutes les cours d’appels, il ne s’agissait que d’un avis et, faute pour le législateur, ou le gouvernement, d’intervenir pour définir de manière incontestable les contours de l’intervention des avocats, la prudence restait de mise et nombre d’avocats ont continué à avoir recours à des « postulants ».
Et aujourd’hui ?
La réponse du Conseil d’État
Néanmoins, le décret attaqué devant le Conseil d’État prévoyait, aussi, que la procédure applicable devant la cour d’appel devenait une procédure écrite supposant l’application de l’ensemble des règles applicables en la matière, c’est-à-dire les articles 900 et suivants du code de procédure civile.
Dans le flot des moyens soulevés contre le décret en question (décret 2016-660 du 20 mai 2016, JO du 25) figurait également un moyen tendant à soutenir que l’obligation de recourir à un avocat devant la cour d’appel était une atteinte au principe d’égalité entre les justiciables en imposant des frais supplémentaires.
Après avoir rappelé que le législateur avait entendu déroger au monopole de représentation des avocats devant les cours d'appel, au profit des défenseurs syndicaux nouvellement créés, sans que cela ne puisse constituer une violation tant du principe d’égalité des armes (ou l’égalité entre justiciables) que du droit à l’accès à un juge, la réponse donnée par le Conseil d'État est sans appel : « … Les articles 28, 29 et 30 du décret attaqué n’ont ni pour objet ni pour effet d’étendre, à compter du 1er août 2016, les règles de postulation prévues par l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971 aux procédures d’appel devant la chambre sociale de la cour d’appel d’un jugement d’un conseil de prud’hommes. Les parties devant les conseils de prud’hommes peuvent, par suite, être assistées et représentées devant la cour d’appel par l’avocat de leur choix, quelle que soit sa résidence professionnelle. Par suite, Monsieur R. n’est pas fondé à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le principe d’égalité entre les justiciables en imposant des frais supplémentaires à ceux d’entre eux qui sont représentés par un avocat pouvant postuler devant la cour d’appel ».
Par ailleurs il est acquis, aujourd’hui, que tout avocat assistant ou représentant une partie devant la cour d’appel dans un litige prud’homal n’a pas à acquitter le droit de timbre de 225 € institué par l’article 1635 bis P du code général des impôts. Cette précision avait préalablement été donnée par une circulaire en date du 5 juillet 2016.
Un avocat peut représenter son client devant toutes les chambres sociales des cours d’appel
Il n’y a donc plus aucun obstacle à ce que les avocats interviennent librement sur tout le territoire national si ce n’est qu’ils ne peuvent à ce jour effectuer leurs actes de procédure via le RPVA car celui-ci n’est pas encore accessible à tous au niveau national. Dans ces cas, les avocats seront contraints de procéder comme avant c'est-à-dire en effectuant leurs actes d’appel et la transmission de leurs pièces et conclusions soit par voie de lettre recommandée avec AR soit par voie de signification.
À ce titre, ils font vraiment jeu égal avec les défenseurs syndicaux qui ne sont pas habilités à utiliser le RPVA.