4 - Congés payés et maladie : le point sur la saga de la directive européenne du 4 novembre 2003
Jean-Julien Perrin
Avocat au barreau de Clermont-Ferrand, Chargé d’enseignement à l’école de droit de Clermont-Ferrand
Cabinet d’avocats JURIS LITEM
jean-julien.perrin@avocat-conseil.fr
La directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail a bousculé le droit français sur un certain nombre de points, notamment en matière de congés payés, dans un sens favorable aux salariés, obligeant à une modification des pratiques RH.
Toutefois, faute de transposition totale par la France notre droit interne n’est pas conforme au droit de l’union européenne, puisqu’un salarié n’acquiert pas de congés payés durant un arrêt de travail pour maladie (hors accident du travail et maladie professionnelle). Ainsi, il peut être privé d’une période minimale incompressible de quatre semaines dont doit bénéficier tout travailleur au sens de la directive.
Une décision du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand rendue le 6 avril 2016 témoigne de son impact sur le droit national. La juridiction a estimé que la responsabilité de l’État devait être engagée et le salarié indemnisé, faute d’avoir pu bénéficier d’une période de quatre semaines de congés payés.
Pour l’heure, la plupart des employeurs du secteur privé ne risquent aucune condamnation en l’absence de faute de leur part, puisqu’ils ne font qu’appliquer la loi française.
En revanche, la transposition effective par la France de la directive sur ce point conduirait l’ensemble des entreprises à régler aux salariés au minimum quatre semaines de congés payés malgré les périodes de congés maladie. Mais sur ce point, la balle est dans le camp des pouvoirs publics.
Le droit français n’est pas conforme au droit de l’Union européenne
La directive de 2003 impose un minimum incompressible de quatre semaines de congés payés par an
La directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail prévoit, en son article 7, les dispositions suivantes :
« Congé annuel
1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. »
Un socle minimal de quatre semaines de congés payés est donc consacré par le droit de l’Union Européenne (UE).
La CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne) a par ailleurs rappelé lors d’une décision (CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez) que « le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé […] ».
En droit français, certaines absences peuvent diminuer le nombre de jours de congés payés dû par l’employeur
Le code du travail français prévoit que le salarié a droit à un congé de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur et que la durée totale du congé exigible ne peut excéder 30 jours ouvrables (c. trav. art. L. 3141-3).
De nombreuses absences sont assimilées à du temps de travail effectif et plus particulièrement celles listées à l’article L. 3141-5 du code du travail. Il en est ainsi en cas de congés maladies en raison d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle (c. trav. art. L. 3141-5, 4°).
En revanche, la période de suspension de son contrat de travail en raison d’un arrêt de travail pour origine non professionnelle ne permet pas au salarié d’acquérir des congés payés, ce cas de figure n’étant pas mentionné à l’article L. 3141-5 du code du travail.
La législation française est clairement contraire à la directive de 2003.
En 2010, à l’occasion d’un litige qui lui était soumis, la Cour de cassation a interrogé la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin qu’elle indique si un État pouvait opérer une distinction en matière de droit à congés payés en fonction du caractère professionnel ou non de la cause de leur absence.
La CJUE a profité de cette question pour affirmer que la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ne fait aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents pour cause de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de cette période. Il s’ensuit que, s’agissant de travailleurs en congé de maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut pas être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État :
Ainsi que l’a dit la CJUE, « selon l’article 7 de la directive 2003/88, tout travailleur, qu’il soit en congé de maladie pendant ladite période de référence à la suite d’un accident survenu sur le lieu du travail ou ailleurs, ou à la suite d’une maladie de quelque nature ou origine qu’elle soit, ne saurait voir affecté son droit au congé annuel payé d’au moins quatre semaines » (CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez, point 30).
En conséquence, l’absence de droits à congés payés durant un congé maladie est contraire au droit de l’Union Européenne.
À noter
Il convient toutefois de noter que certaines conventions ou accords collectifs considèrent que tout ou partie d’un arrêt de travail ayant une origine non professionnelle est assimilé à du travail effectif pour l’acquisition des congés payés. Il est donc important de prendre connaissance des dispositions conventionnelles sur ce point pour connaître le droit applicable à l’entreprise.
La position de la jurisprudence française face à cette non-conformité du droit interne
Les évolutions de la Cour de cassation : accidents de trajets et report des congés payés
Il faut rappeler que, par le biais du mécanisme de l’interprétation conforme, la Cour de cassation est parvenue à étendre la règle d’acquisition des droits durant une absence pour accident de trajet (cass. soc. 3 juillet 2012, n° 08-44834, BC V n° 204).
Ainsi, la juridiction considère désormais que l’absence d’un salarié pour accident de trajet doit être assimilée à un accident de travail et ce, alors même que la loi ne le prévoit pas explicitement (ce cas ne fait pas partie absences qui sont assimilées à du temps de travail effectif par l’article L. 3141-5 du code du travail).
Enfin la directive de 2003 a également eu un impact important sur le droit à report des congés payés pour le salarié absent pour maladie puisque la Cour de cassation a consacré le droit au report, dans une décision du 24 février 2009 (cass. soc. 24 février 2009, n° 07-44488, BC V n° 49) :
« Mais attendu qu’eu égard à la finalité qu’assigne aux congés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année prévue par le Code du travail ou une convention collective en raison d’absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail ».
Une question peut alors se poser dans ce cas particulier. Existe-t-il un délai maximum de report au-delà duquel les congés seraient perdus ?
La CJUE a précisé que le cumul illimité de droits au congé annuel payé, acquis durant une telle période d’incapacité de travail, ne répondrait plus à la finalité même du droit au congé annuel payé. Elle a considéré qu' « une période de report du droit au congé annuel payé, fixée à quinze mois par les dispositions ou les pratiques nationales, telles que des conventions collectives » était raisonnable (CJUE 22 novembre 2011, aff. C-214/10, KHS AG).
S’agissant de la Cour de cassation, même si elle réaffirme régulièrement le droit au report (ex : cass. soc. 28 mai 2014, n° 12-28082, BC V n° 129), à notre connaissance elle ne s’est encore jamais prononcée sur la question du cumul des congés payés dans le temps. Il n’est pas impossible qu’elle adopte une solution plus favorable que la CJUE dans ce domaine.
La problématique non résolue : l’absence d’acquisition des congés payés durant les congés de maladie non professionnelle
La jurisprudence et la doctrine dénoncent depuis de nombreuses années ce défaut de transposition totale de la directive de 2003 et, plus particulièrement, l’absence de dispositions permettant de garantir quatre semaines de congés payés au salarié.
En France, en l’état actuel du droit, la Cour de cassation n’a pu utiliser le mécanisme de l’interprétation conforme (comme elle a pu le faire pour les accidents de trajets) à l’égard des arrêts maladie non professionnels puisqu’elle ne peut se livrer à une interprétation « contra legem » ni même appliquer directement les dispositions de la directive entre un employeur et son salarié (cass. soc. 13 mars 2013, n° 11-22285, BC V n° 73).
Pourtant, réforme après réforme, la transposition totale et effective de cette directive n’a pas été effectuée. Suite à l’arrêt de la CJUE de janvier 2012, la loi du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives a imposé que l’ouverture du droit à congés payés des salariés ait lieu dès le premier jour de travail (c. trav. art. L. 3141-3 modifié ; loi 2012-387 du 22 mars 2012, art. 50, JO du 23). Auparavant, ce droit à congés payés n’était ouvert qu’aux salariés ayant totalisé au moins 10 jours de travail effectif chez le même employeur.
À l’heure où nous rédigeons ces lignes, le projet de loi El Khomri ne résout pas non plus la difficulté que la Cour de cassation a pourtant clairement mise en exergue dans son rapport annuel de 2014.
Comme chaque année, la Haute juridiction formule, au regard notamment des difficultés rencontrées à l’occasion des contentieux dont elle a été saisie, des suggestions de modifications législatives ou réglementaires. Un focus particulier était porté sur la législation interne relative aux congés payés. La Cour de cassation proposait ainsi au législateur de consacrer, à l’article L. 3141-5 du Code du travail, le principe d’acquisition des droits à congés payés durant le congé maladie d’origine non professionnelle. La juridiction précisait que cette modification législative permettrait « d’éviter une action en manquement contre la France et des actions en responsabilité contre l’État du fait d’une mise en œuvre défectueuse de la directive » de 2003 (Cour de cassation, Rapport annuel 2014, p. 44 et Rapport annuel 2013, p. 66).
C’est justement une action en responsabilité de l’État qu’un salarié a engagé avec succès devant le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand ayant conduit à l’indemnisation de ce dernier par un jugement en date du 6 mars 2016 (TA Clermont-Ferrand, 6 avril 2016, n° 1500608).
Les conséquences de la non-conformité du droit français
Conséquences à l’égard des employeurs
Entreprises du secteur privé n’assurant pas une mission de service public
À l’heure où nous rédigeons ces lignes, par un arrêt du 13 mars 2013, la Cour de cassation a confirmé qu’une période de maladie ne permet pas de solliciter auprès de son employeur des droits à congés payés (cass. soc. 13 mars 2013, n° 11-22285, BC V n° 73).
Dans cette affaire un salarié avait été absent pour maladie du 12 juillet 2006 à fin décembre 2006. En application du droit national, l’employeur ne lui avait logiquement pas calculé de congés payés sur cette période. Invoquant l’article 7, § 1, de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, le salarié avait réclamé une indemnité compensatrice de congés payés.
Selon lui, si les États membre peuvent définir dans leur réglementation interne les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé, ils ne peuvent toutefois pas subordonner à quelque condition que ce soit la constitution même de ce droit, qui résulte directement de la directive.
De son côté, l’employeur rappelait que si l’article L. 3141-5 du Code du travail assimile à un temps de travail effectif ouvrant droit à congés payés la période de suspension pour accident du travail, tel n’est pas le cas de la période de suspension pour maladie.
La Cour de cassation a rejeté la demande du salarié par application d’une solution qui ne surprend pas : « Mais attendu que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d’écarter les effets d’une disposition de droit national contraire, la cour d’appel a retenu à bon droit, au regard de l’article L. 3141-3 du Code du travail, que le salarié ne pouvait prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés au titre d’une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l’article L. 3141-5 du Code du travail ; que le moyen ne peut être accueilli (...) ».
La CJUE l’avait déjà rappelé dans son arrêt de 2012 (CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez) : une directive ne peut pas par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre.
Un salarié ne peut donc invoquer les dispositions de la directive directement à l’égard de son employeur pour présenter des demandes indemnitaires à l’égard de ce dernier ou encore pour solliciter des droits à congés payés en cas d’arrêt de travail ayant une origine non professionnelle.
Les entreprises du secteur privé n’assurant pas une mission de service public peuvent donc continuer d’appliquer le droit français sans risquer de condamnation sur le fondement de la directive du 4 novembre 2003.
Entreprises du secteur public ou privé en charge d’une mission de service public
La CJUE a toujours clairement indiqué que lorsque les justiciables sont en mesure de se prévaloir d’une directive à l’encontre non pas d’un particulier mais d’un État, ils peuvent le faire quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier, employeur ou autorité publique afin d’éviter que l’État ne puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit de l’Union.
« Ainsi, figure au nombre des entités qui peuvent se voir opposer les dispositions d’une directive susceptibles d’avoir des effets directs un organisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été chargé en vertu d’un acte de l’autorité publique d’accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d’intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers. »
Le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand l’a confirmé dans la motivation de son jugement du 6 mars 2016 en indiquant que si un salarié ne peut exiger d’un employeur privé qu’il lui accorde le bénéfice de dispositions non transposées, il en va autrement si l’employeur est une autorité publique ou une personne privée chargée d’une mission de service public et dont l’activité est soumise à un régime exorbitant de droit commun.
La responsabilité de l’État français engagée
Il résulte d’une jurisprudence constante que dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent inconditionnelles et suffisamment précises les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État, soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte.
« Or, l’article 7 de la directive n° 2003/88 satisfait à ces critères, étant donné qu’il met à la charge des États membres, dans des termes non équivoques, une obligation de résultat précise et qui n’est assortie d’aucune condition quant à l’application de la règle qu’elle énonce, consistant à faire bénéficier tout travailleur d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines » (CJUE 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez, points 33 et 34).
Par un jugement du 6 avril 2016, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a appliqué cette solution, rappelant que la transposition en droit interne des directives européennes est une obligation résultant du traité sur le fonctionnement de l’union européenne qui revêt en outre le caractère d’une obligation constitutionnelle (TA Clermont-Ferrand, 6 avril 2016, n° 1500608).
Si le Tribunal a accordé des dommages et intérêts au salarié équivalant au montant des jours de congés payés perdus, il n’a pas indemnisé l’ensemble des congés non acquis, mais simplement ceux qui permettaient au salarié de bénéficier de la période incompressible de repos de quatre semaines (485 € pour 6,5 jours de congé manquants).
Ainsi, les salariés peuvent faire valoir leurs droits directement auprès de l’État en engageant d’une action en responsabilité.
Cette décision marque un volet de plus dans la saga de la directive du 4 novembre 2003. La prochaine étape devrait être une transposition totale de ce texte dans notre législation. Mais le rendez-vous est loin d’être fixé, puisque le législateur ne semble pas encore décidé.
« Congés payés et arrêts de travail », RF 1064, § 4013