8 - La désignation du délégué syndical au cœur de l'actualité jurisprudentielle d'avril 2023
Le mois d'avril a été marqué par une série de décisions de la Cour de cassation qui apportent d'importantes précisions sur les conditions de désignation du délégué syndical, notamment lorsque, faute de candidat aux élections ayant recueilli au moins 10 % des suffrages, le syndicat doit se tourner vers les solutions alternatives proposées par le code du travail.
Cass. soc. 5 avril 2023, n° 21-24752 FB ; cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-17916 FSB ; cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-23348 FSB ; cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-23483 FB ; cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-60127 FB ; cass. soc. 19 avril 2023, n° 22-15668 D
L'essentiel
Pour que l'employeur puisse désigner un adhérent ou un ancien élu, les derniers candidats aux élections disponibles doivent avoir renoncé par écrit à être délégué syndical (DS). Mais ce n'est que pour les candidats ayant réalisé un score d'au moins 10 % que la renonciation doit être préalable à la désignation d'un « non-candidat ». / 8-2
Le candidat qui a renoncé à son droit d'être DS peut revenir sur sa décision sans attendre les prochaines élections professionnelles. / 8-3
L'employeur ne peut pas reprocher à un syndicat de s'être tourné vers un adhérent plutôt que vers le dernier candidat aux élections disponible dès lors que ce dernier n'avait pas réglé ses cotisations syndicales depuis 2 ans. / 8-4
Le syndicat peut choisir comme DS un candidat aux élections qui s'est présenté sur une liste d'un autre syndicat, même dans les entreprises de moins de 50 salariés. / 8-5
Lorsqu'un représentant de la section syndicale a perdu son mandat après avoir échoué à faire de son syndicat une organisation représentative, aucun syndicat ne peut lui confier un nouveau mandat de RSS jusqu'aux 6 mois qui précèdent les élections suivantes. / 8-6
Désignation dans les entreprises d'au moins 50 salariés
Rappel des conditions de désignation des DS
Dans les entreprises et les établissements d'au moins 50 salariés, chaque syndicat représentatif désigne son ou ses délégués syndicaux (DS) parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli, à titre personnel et dans leur collège, au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique (CSE) (c. trav. art. L. 2143-2). En pratique, chaque syndicat désigne son ou ses DS parmi ses candidats, mais rien n'interdit d'aller chercher un DS sur une liste présentée par un autre syndicat (voir « Négociation collective », RF 1139, § 7716).
S'il n'y a plus de candidat disponible remplissant ces conditions (les intéressés ont déjà été désignés DS ; le cas échéant, ceux qui n'ont pas pris de mandat ont renoncé par écrit à leur droit d'être désigné DS), le syndicat dispose de solutions alternatives. Il peut ainsi :
-désigner un DS parmi les autres candidats (c'est-à-dire n'ayant pas atteint 10 %) ;
-ou, à défaut, désigner un DS parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint le nombre maximal de mandats successifs en qualité d'élu du CSE (trois mandats en principe ; c. trav. art. L. 2314-33 ; voir RF 1139, § 6806).
Le caractère préalable de la renonciation à exercer les fonctions de DS ne concerne que les candidats ayant atteint 10 %
Un syndicat représentatif avait désigné l'un de ses adhérents en qualité de DS.
Il justifiait ce choix par le fait que les candidats aux élections qui avaient atteint ou dépassé 10 % des suffrages avaient soit déjà pris un mandat de DS soit renoncé à exercer un tel mandat.
Il y avait également un candidat aux élections qui n'avait pas atteint les 10 %, mais l'intéressé avait décliné l'offre du syndicat de le représenter en qualité de DS. C'était du moins ce qui ressortait d'une attestation établie après la désignation de l'adhérent.
L'employeur contestait cette désignation, invoquant la règle jurisprudentielle selon laquelle la renonciation aux fonctions de DS doit être préalable à la désignation d'un salarié ne remplissant pas le critère d'audience (cass. soc. 9 juin 2021, n° 19-24678 FP ; cass. soc. 28 septembre 2022, n° 21-19005 D ; voir RF 1139, § 7718).
Mais la Cour de cassation rejette cet argument après avoir rappelé que l'exigence que la renonciation soit préalable ne concerne que les candidats qui sont naturellement appelés à exercer les fonctions de DS, c'est-à-dire les candidats aux élections qui ont atteint ou dépassé les 10 %. En ce qui concerne un candidat qui est en dessous de 10 %, il importe peu que la renonciation aux fonctions de DS soit préalable ou, comme dans cette affaire, établie postérieurement à la désignation de l'adhérent, au moyen d'une attestation (cass. soc. 5 avril 2023, n° 21-24752 FB).
Le salarié qui a renoncé à exercer les fonctions de DS peut revenir sur sa décision
Dans le cadre d'un accord collectif ayant prévu la mise en place de « délégués syndicaux régionaux » au sein de chacun des sept établissements d'un vaste groupe de sociétés, un syndicat avait désigné une élue du CSE en tant que DS régional au sein de l'un de ces établissements.
Cependant, un peu plus de 6 mois plus tard, la salariée avait renoncé par écrit à ce mandat syndical.
Puis, à l'occasion de la fin du mandat de DS d'un de ses collègues, elle avait manifesté le souhait de recommencer à exercer des fonctions syndicales, souhait que le syndicat avait exaucé en la désignant nouveau DS régional, environ un an et demi après sa désignation initiale, en remplacement d'un autre DS régional.
C'est en vain que l'employeur a contesté cette désignation, au prétexte que l'intéressée avait renoncé à exercer de telles fonctions et que, selon lui, elle ne pouvait pas revenir sur cette décision tant que son mandat d'élue du CSE n'était pas arrivé à son terme.
Pragmatique, la Cour de cassation rappelle que le dispositif de désignation à plusieurs degrés mis en place par le législateur (voir § 8-1) a pour objectif d'éviter l'absence de DS dans les entreprises. Elle ajoute que si un syndicat peut se tourner vers des solutions alternatives dès lors que les salariés naturellement appelés à occuper les fonctions de DS ont renoncé à exercer un tel mandat, ce mécanisme « n'a pas pour conséquence de priver l'organisation syndicale de la possibilité de désigner ultérieurement, au cours du même cycle électoral, l'auteur de la renonciation en qualité de délégué syndical ».
Par conséquent, un salarié qui a renoncé à exercer les fonctions de DS est en droit de revenir sur cette décision avant la fin de son mandat d'élu du personnel. Il peut donc être à nouveau désigné en qualité de DS (cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-23348 FSB).
Le salarié doit être à jour de ses cotisations syndicales
Presque 3 ans après l'élection des membres du CSE, un syndicat était arrivé à la constatation qu'il n'avait plus de candidat susceptible d'occuper les fonctions de DS. En effet, sur les quatre salariés qu'il avait présentés aux élections, deux avaient quitté l’entreprise, le troisième avait démissionné de sa fonction et le quatrième n’était pas à jour de ses cotisations syndicales, qu’il avait cessé de payer depuis plus de 2 ans. En outre, ce quatrième candidat avait apparemment décidé de renoncer à son activité syndicale, ainsi qu'il ressortait d’un message adressé à une autre salariée.
Le syndicat avait par conséquent désigné l'un de ses adhérents comme DS.
La société avait cependant contesté cette désignation, car elle estimait que, à partir du moment où le quatrième candidat n'avait pas expressément renoncé à son droit d'être désigné DS, c'était ce salarié qu'il aurait fallu désigner. Le fait que l'intéressé ne soit plus à jour du règlement de ses cotisations syndicales n'avait, de ce point de vue, aucune importance.
Le tribunal judiciaire avait souscrit aux arguments de l'employeur et annulé la désignation de l'adhérent en qualité de DS, mais cet arrêt est censuré.
La Cour de cassation reproche en effet au tribunal de n'avoir pas recherché si, ainsi que le soutenait le syndicat, ce quatrième candidat avait bien renoncé à l'activité syndicale et ne cotisait plus depuis plus de 2 ans à l'union locale (cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-60127 FB).
On comprend donc qu'il est important qu'un salarié appelé à exercer les fonctions de DS ait payé ses cotisations syndicales. Mais le défaut de règlement des cotisations est-il à lui seul susceptible de disqualifier un salarié ?
L'arrêt ne permet pas de trancher ce point avec certitude, puisqu'il met sur un même plan le défaut de règlement des cotisations et la renonciation à l'activité syndicale.
Cependant, dans une décision antérieure, la Cour de cassation a admis qu'un syndicat se tourne vers un adhérent pour occuper la fonction de DS, après avoir constaté que ses candidats ne cotisaient plus depuis plus d'un an ou ne figuraient plus dans les effectifs (cass. soc. 26 mars 2014, n° 13-20398 D). À notre sens, et sous réserve de décisions ultérieures plus explicites, ce « ou » semble indiquer que le seul défaut de règlement des cotisations est à lui seul susceptible d'autoriser le syndicat à se tourner vers des adhérents, faute d'autres candidats.
Désignation dans les entreprises de moins de 50 salariés : là aussi, le délégué syndical peut être un transfuge
Dans les entreprises de moins de 50 salariés, c'est parmi les élus du CSE que chaque syndicat représentatif choisit son DS, indépendamment du score qu'ils ont pu réaliser au premier tour des dernières élections (c. trav. art. L. 2143-6 ; voir RF 1139, § 7705). Il s'agit par hypothèse d'un élu qui s'est présenté aux élections sur une liste du syndicat en question. Mais s'agit-il d'une obligation ? Autrement dit, un syndicat peut-il désigner comme DS un membre du CSE qui a été élu sur une liste présentée par un autre syndicat ?
Rappelons dès à présent que la question ne se pose plus dans les entreprises d'au moins 50 salariés : depuis que la loi impose que le DS soit désigné en priorité parmi les candidats ayant recueilli aux élections, à titre personnel, au moins 10 % des suffrages exprimés, il est acquis que, « dès lors que le candidat satisfait à cette condition de score électoral, il peut être désigné DS par un syndicat, sans qu'entre en considération le fait que ce salarié ait précédemment exercé des fonctions de représentant d'un autre syndicat ou qu'il ait été élu lors des dernières élections sur des listes présentées par un autre syndicat » (cass. soc. 17 avril 2013, n° 12-22699, BC V n° 104 ; voir RF 1139, § 7716).
Mais ce raisonnement est-il valable dans une entreprise de moins de 50 salariés, où les DS sont nécessairement des élus au CSE ?
La question s'était posée dans une affaire dans laquelle un élu du CSE avait été désigné DS par la CFTC, qui l'avait présenté aux élections, puis qui avait démissionné de son mandat de DS pour être à nouveau désigné DS un mois plus tard, mais par la CFDT.
L'employeur avait contesté cette désignation avec succès devant la cour d'appel, mais celle-ci voit son arrêt cassé. La Cour de cassation décide en effet d'appliquer la même règle que dans les entreprises d'au moins 50 salariés. Par conséquent, « dès lors qu'un salarié remplit les conditions prévues par la loi pour être désigné délégué syndical, il n'appartient qu'au syndicat désignataire d'apprécier s'il est en mesure de remplir sa mission, peu important que ce salarié ait précédemment exercé des fonctions de représentant d'un autre syndicat ou qu'il ait été élu lors des dernières élections sur des listes présentées par un autre syndicat » (cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-17916 FSB).
RSS : après un échec aux élections, la redésignation est impossible, même par un autre syndicat
Pour rappel, le représentant de la section syndicale (RSS) est en quelque sorte l'équivalent du DS, mais pour les syndicats non représentatifs, et avec une différence de taille dans les prérogatives : il ne peut pas négocier d'accord collectif (c. trav. art. L. 2142-1-1 ; voir RF 1139, §§ 7599 et s.).
La principale mission du RSS est en définitive de faire en sorte que son organisation acquière le statut de syndicat représentatif aux prochaines élections professionnelles. C'est la raison pour laquelle le RSS perd automatiquement son mandat à l'issue des élections (voir RF 1139, § 7614). En effet :
-soit son syndicat devient représentatif et c'est un DS qui devra le représenter (rôle qu'endossera a priori l'ancien RSS) ;
-soit le syndicat ne parvient pas à accéder au statut d'organisation représentative et cet échec interdit alors au RSS d'exercer à nouveau un tel mandat jusqu'aux 6 mois précédant les élections professionnelles suivantes.
La Cour de cassation précise la portée de cette interdiction à propos d'une affaire dans laquelle un RSS qui n'était pas parvenu à faire de son syndicat une organisation représentative avait néanmoins été à nouveau désigné RSS deux semaines après les élections professionnelles, mais par un autre syndicat non représentatif.
Saisi par l'employeur, qui contestait cette désignation, le tribunal judiciaire avait estimé que l'ancien RSS pouvait « rempiler » immédiatement après les élections dès lors qu'il n'avait pas été désigné par son ancien syndicat, mais par un autre syndicat non représentatif.
La Cour de cassation censure néanmoins cette interprétation : l'interdiction faite au RSS de briguer un nouveau mandat après l'échec de son syndicat à accéder au statut d'organisation représentative « est opposable à toute organisation syndicale non représentative dans l'entreprise, qu'elle soit ou non celle ayant précédemment désigné le salarié en qualité de représentant de section syndicale » (cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-23483 FB).