4 - Coup de projecteur sur le crédit d'impôt cinéma
Le crédit d'impôt cinéma faisait jusqu'à présent partie de ces mesures vierges de contentieux devant le Conseil d'État. La décision commentée est donc une première, avec un contentieux technique sur l'appréciation du plafonnement des aides publiques qui a tourné, dans ce premier épisode, en faveur du contribuable.
CE 15 mars 2023, n° 452317
Cadrage du crédit d'impôt cinéma
Les entreprises de production cinématographique, soumises à l'impôt sur les sociétés (IS), qui assument les fonctions d'entreprises de production déléguées peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre de leurs dépenses de production, correspondant à des opérations effectuées en vue de la réalisation d'œuvres cinématographiques de longue durée (CGI art. 220 sexies ; ann. III art. 46 quater-0 YL et s.).
Cette mesure fait l'objet de différents plafonnements :
-l’assiette des dépenses éligibles est plafonnée à 80 % du budget de production de l’œuvre et, en cas de coproduction internationale, à 80 % de la part gérée par le coproducteur français (CGI art. 220 sexies, III.3) ;
-le crédit d’impôt est plafonné à 30 M€ par œuvre cinématographique (CGI art. 220 sexies, VI) et fait en outre l'objet d'un plafonnement global des aides (CGI art. 220 sexies, VII).
Le montant total des aides publiques accordées au titre de la production d’une œuvre cinématographique, crédit d’impôt inclus, ne peut ainsi excéder 50 % du coût définitif de production de cette œuvre (CGI art. 220 sexies, VII).
Des dérogations à ce seuil peuvent être accordées pour les œuvres remplissant l’une des deux conditions suivantes (BOFiP-IS-RICI-10-20-20-§ 190-08/06/2022) : avoir un budget total inférieur ou égal à 1,25 M€ (films à petit budget) ou être la première ou la seconde œuvre d’un réalisateur (films difficiles). Le pourcentage des aides ne peut alors dépasser 60 % du coût définitif de l’œuvre.
Le Conseil d'État, saisi pour la première fois d'un contentieux portant sur ce crédit d'impôt, a eu l'occasion d'apporter un éclairage sur cette question du plafonnement global des aides publiques.
Synopsis
La société objet du contentieux, ayant pour activité la production de films pour le cinéma, a notamment demandé pour un film, coproduit avec deux entreprises de production déléguée étrangères, la restitution d'un crédit d'impôt d'un montant de 59 458 €.
Estimant le plafond d'aides publiques dépassé (au cas d'espèce dépassement de la limite de 60 % applicable à la société), l'administration a rejeté la demande. Les juges d'appel (CAA Paris 18 mars 2021, n° 20PA02368) confortant l'administration fiscale, la société a soumis l'affaire à l'éclairage du Conseil d'État (CE 15 mars 2023, n° 452317).
Le scénario en deux actes
Les juges d'appel et l'appréciation très (trop ?) stricte du plafonnement des aides publiques
La société objet du litige avait reçu d'une association (organisme institué par la région des Hauts-de-France pour promouvoir la création cinématographique sur son territoire) une somme de 150 000 € pour participer au financement du film. La convention de financement organisait un partage des recettes nettes du film permettant à l'association de percevoir 8,42 % des recettes nettes mondiales jusqu'au remboursement de la somme versée, puis 6 % de ces recettes. En revanche, le contrat ne lui donnait pas la qualité de coproducteur, la société de production demeurant seule propriétaire des éléments corporels et incorporels de l'œuvre.
Se fondant sur ces éléments (et plus précisément l'absence de qualité de coproducteur de l'association), les juges d'appel en ont déduit que la somme versée par l'association avait le caractère d'une aide publique.
Par ailleurs, le seul motif que le crédit d'impôt réclamé avait pour conséquence le franchissement de la proportion majorée d'aides publiques autorisées (soit 60 %) au sein du budget global de production du film devait en interdire la restitution (autrement dit le dépassement du seuil de 60 % entraînait la perte du bénéfice du crédit d'impôt en totalité).
Le Conseil d'État, l'erreur de droit et l'épisode II à suivre
Le Conseil d'État censure la double erreur de droit des juges d'appel :
-qui n'ont pas recherché si et dans quelle mesure la subvention accordée constituait un avantage que la société de production n'aurait pu obtenir dans les conditions normales du marché (critère de l'investisseur privé) ;
-qui ont refusé l'intégralité du crédit d'impôt dont la société requérante demandait le remboursement, et non pas seulement pour la fraction excédant le plafond.
L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Paris, afin de déterminer si la subvention accordée par l'association constitue ou non une aide publique.