9 - Pas de rupture conventionnelle collective dans le cadre d'une fermeture de site
Un employeur qui s'apprête à fermer un site ne peut pas proposer aux salariés de quitter l'entreprise dans le cadre d'un accord de rupture conventionnelle collective. En effet, dès lors que ces salariés savent qu'ils ne pourront pas conserver leur emploi une fois que l'accord aura cessé de s'appliquer, leur consentement ne saurait être considéré comme libre et éclairé. L'administration du travail ne peut donc pas valider un tel accord. Les juges administratifs rejoignent ici la position du ministère du Travail.
CE 21 mars 2023, n° 459626
Un accord de RCC validé dans un contexte de fermeture d'établissement
Une société du secteur de l'imprimerie envisageait, dans le cadre d'une réorganisation, de vendre l'un de ses établissements après « désindustrialisation » et de transférer les activités et les personnels concernés au sein d'autres établissements.
L'employeur avait informé le comité social et économique (CSE) de ses intentions dans une note du 23 octobre 2020. Le transfert des salariés nécessitant, faute de clause de mobilité, de modifier leur contrat de travail, cette note indiquait que, au-delà de dix refus, il était envisagé de soumettre au CSE un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).
On rappellera que, dans une entreprise d'au moins 50 salariés, lorsqu'au moins 10 salariés ont refusé la modification de leur contrat de travail pour motif économique et que leur licenciement est envisagé, la mise sur pied d'un PSE n'est pas une option, il s'agit d'une obligation (c. trav. art. L. 1233-25 ; voir « Rupture du contrat de travail », RF 1138, § 1061).
En parallèle, l'employeur avait négocié avec les syndicats un accord de rupture conventionnelle collective (RCC), dans lequel il s'engageait à ne notifier aucun licenciement économique pendant la période d'application de l'accord. La négociation avait abouti le 15 décembre 2020. L'employeur avait alors soumis l'accord au DIRECCTE (aujourd'hui le DREETS) et obtenu sa validation le 5 janvier 2021.
Mais un syndicat, a priori non signataire de cet accord, avait contesté la décision de l'administration. Après un premier échec devant le juge administratif, ce syndicat avait obtenu satisfaction auprès de la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles 20 octobre 2021, n° 21VE02220).
Amené à se pencher sur cette affaire à la suite du pourvoi formé par l'employeur, le Conseil d'État confirme l'arrêt d'appel et considère que, effectivement, le DIRECCTE n'aurait pas dû valider l'accord de rupture conventionnelle collective.
Le dispositif de RCC repose sur la liberté de consentement du salarié
La rupture conventionnelle collective est un plan de départs volontaires qui a pour particularité de prendre la forme d'un accord collectif validé par l'administration (voir RF 1138, §§ 1730 et s.).
Dans la mesure où il s'agit d'un mode de réduction des effectifs, se pose inévitablement la question de son articulation avec un éventuel licenciement collectif.
Comme l'a indiqué le ministère du Travail dans une série de questions/réponses publiées le 19 avril 2018, « la RCC est conçue comme un dispositif de restructuration à froid » (ministère du Travail, « La rupture conventionnelle collective », questions/réponses, 19 avril 2018, Q/R n° 6). C'est pour cette raison que l'accord de RCC doit exclure tout licenciement (c. trav. art. L. 1237-19). Cette exigence garantit la liberté du consentement des salariés : s'ils choisissent de partir dans le cadre de la RCC, c'est en toute connaissance de cause, pas parce qu'ils sont sous la menace d'un licenciement.
Le fait que l'accord de RCC soit conclu dans un contexte de difficultés économiques ne remet pas en cause sa validité, pourvu, une fois de plus, que l'employeur s'engage à ne pas licencier les salariés qui n'auraient pas choisi la voie du départ volontaire (CAA Versailles 14 mars 2019, n° 18VE04158).
Il n'est pas pour autant interdit de jouer sur les deux tableaux (départs volontaires + licenciement collectif), mais l'employeur ne peut alors pas passer par la RCC. Il lui faut mettre en œuvre un plan de départs volontaires classique, en complément du PSE.
Il n'y a pas de consentement libre et éclairé si, au terme de l'accord de RCC, la perte d'emploi est inéluctable
Ce rappel du cadre juridique de la RCC permet de mieux comprendre le sens de la décision du Conseil d'État dans cette affaire.
Pour rappel, l'employeur avait décidé de fermer l'établissement. Il ne faisait donc aucun doute que, une fois que l'accord de RCC aurait cessé de s'appliquer, les salariés qui n'avaient pas fait le choix du départ volontaire allaient perdre leur emploi.
Certes, l'employeur prévoyait de transférer les salariés vers d'autres établissements, mais, en l'absence de clause de mobilité, chaque transfert nécessitait de recueillir l'accord du salarié et de licencier ceux qui refuseraient la modification de leur contrat.
Pouvait-on dès lors affirmer que le départ des salariés dans le cadre de l'accord de RCC serait vraiment volontaire ?
Le ministère du Travail avait envisagé cette situation dans ses questions/réponses de 2018 et exclu catégoriquement de recourir à la RCC en cas de fermeture de site : « La RCC ne peut et ne doit pas être proposée dans un contexte de difficultés économiques aboutissant de manière certaine à une fermeture de site, ce qui aurait pour effet de fausser le caractère volontaire de l’adhésion au dispositif et de ne pas permettre le maintien dans l’emploi des salariés non candidats à un départ. » (Q/R n° 7)
L'arrêt du Conseil d'État s'inscrit dans la même logique : un accord de RCC « ne peut être validé par l'autorité administrative lorsqu'il est conclu dans le contexte d'une cessation d'activité de l'établissement ou de l'entreprise en cause conduisant de manière certaine à ce que les salariés n'ayant pas opté pour le dispositif de rupture conventionnelle fassent l'objet, à la fin de la période d'application de cet accord, d'un licenciement pour motif économique, et le cas échéant, d'un plan de sauvegarde de l'emploi ».
Dans le cas présent, ainsi que l'avait souligné la cour administrative d'appel de Versailles, les salariés du site « n'étaient pas en mesure d'espérer un maintien dans leur emploi à l'issue de la période d'application de l'accord ». Dans ces conditions, l'administration du travail n'aurait pas dû valider l'accord de RCC, de sorte qu'il y avait lieu d'annuler cette décision.
CE 21 mars 2023, n° 459626 (extrait)
6. Par ailleurs, un accord portant rupture conventionnelle collective peut être, en principe, légalement conclu dans un contexte de difficultés économiques de l'entreprise ou d'autres situations visées à l'article L. 1233-3 du code du travail. Pour autant, dès lors qu'il résulte des dispositions citées aux points 2 à 4 que la rupture du contrat de travail qui lie l'employeur et le salarié n'obéit pas au même régime juridique selon qu'elle est imposée par l'employeur au salarié, notamment pour motif économique, ou qu'elle est décidée d'un commun accord entre l'employeur et le salarié, en particulier dans le cadre de la mise en œuvre d'un accord portant rupture conventionnelle collective, un tel accord, compte tenu de ce qu'il doit être exclusif de toute rupture du contrat de travail imposée au salarié, comme le prévoit l'article L. 1237-17, ne peut être validé par l'autorité administrative lorsqu'il est conclu dans le contexte d'une cessation d'activité de l'établissement ou de l'entreprise en cause conduisant de manière certaine à ce que les salariés n'ayant pas opté pour le dispositif de rupture conventionnelle fassent l'objet, à la fin de la période d'application de cet accord, d'un licenciement pour motif économique, et le cas échéant, d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Dans une telle hypothèse, pour assurer le respect des règles d'ordre public qui régissent le licenciement collectif pour motif économique, il appartient en effet à l'employeur d'élaborer, par voie d'accord ou par un document unilatéral, un plan de sauvegarde de l'emploi qui doit être homologué ou validé par l'administration, ce plan pouvant, le cas échéant, également définir les conditions et modalités de rupture des contrats de travail d'un commun accord entre l'employeur et les salariés concernés.
Sur le pourvoi :
7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour se prononcer sur le moyen tiré de ce que l'autorité administrative ne pouvait valider l'accord collectif portant rupture conventionnelle collective qui lui était soumis sans méconnaître les dispositions des articles L. 1237-17 et suivants du code du travail, la cour a relevé, sans qu'il ne soit argué qu'une telle appréciation est entachée de dénaturation, qu'il résultait de la note d'information transmise par la société [...] à son comité social et économique le 23 octobre 2020 qu'elle projetait de réorganiser ses activités d'imprimerie en France et à ce titre de fermer le site de production de [R], le site devant être vendu après sa « désindustrialisation », ses activités et ses personnels devant être transférés à d'autres établissements de l'entreprise. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que cette même note mentionnait que, dans le cas où plus de dix salariés refuseraient la modification de leur contrat de travail nécessitée par ce transfert, elle envisageait de soumettre aux institutions représentatives du personnel un projet de plan de sauvegarde de l'emploi. Enfin, l'accord collectif portant rupture conventionnelle collective précisait qu'il s'inscrivait dans le cadre de ce même projet de transfert de l'ensemble des personnels de [R]. La cour en a déduit, sans entacher son appréciation de dénaturation des pièces du dossier, que la société [...] avait décidé la fermeture du site de [R] avant la signature de l'accord portant rupture conventionnelle collective validé par l'autorité administrative et que les salariés de ce site, dont il ne ressort pas des pièces du dossier que le contrat de travail contenait une clause de mobilité susceptible d'être mise en œuvre en vue de leur transfert vers d'autres établissements de l'entreprise, n'étaient pas en mesure d'espérer un maintien dans leur emploi à l'issue de la période d'application de l'accord. En statuant ainsi, alors même que cet accord prévoyait qu'il n'y aurait aucun licenciement pour motif économique pendant sa mise en œuvre, la cour administrative d'appel, n'a, eu égard à ce qui a été dit au point 6, pas commis d'erreur de droit ni, contrairement à ce que soutient la société requérante, apprécié la réalité du consentement de chaque salarié à la rupture de son contrat de travail dans le cadre de la mise en œuvre de cet accord, ce qui relève, sauf pour les salariés protégés, du juge judiciaire et n'a donc pas méconnu son office.