8 - Motif économique : comment apprécier la période de baisse du chiffre d'affaires ?
Pour qu'un recul du chiffre d'affaires puisse justifier un licenciement économique, il faut comparer la période contemporaine de la rupture avec la même période de l'année précédente. Dès lors que la situation s'est légèrement améliorée juste avant la rupture, il n'y a plus de motif économique.
Cass. soc. 1er juin 2022, n° 20-19957 FSB
À partir de 300 salariés, 4 mois consécutifs de baisse du chiffre d’affaires pour caractériser des difficultés économiques
La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi El Khomri » ou « loi travail », a profondément modifié la définition du motif économique de licenciement (loi 2016-1088 du 8 août 2016).
Elle a essentiellement cherché à « objectiver » la notion de « difficultés économiques », en précisant que ces difficultés pouvaient être caractérisées par « une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation » (c. trav. art. L. 1233-3 ; voir « Rupture du contrat de travail », RF 1128, § 558).
S'agissant de l'évolution des commandes ou du chiffre d'affaires (CA), la baisse doit être « significative ». Plus précisément, elle doit être au moins égale, en comparaison avec la même période de l'année précédente, à :
-1 trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ;
-2 trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés ;
-3 trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés ;
-4 trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus.
Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation interprète ces dispositions et, plus particulièrement, indique comment apprécier la période de baisse des commandes ou du chiffre d'affaires.
L'affaire : 4 trimestres de baisse du chiffre d'affaires, suivis d'un léger sursaut
Une salariée, « assistante au développement produit » dans une entreprise d'au moins 300 salariés, est convoquée à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique. Elle quitte finalement l'entreprise dans le cadre d'un contrat de sécurisation professionnelle le 14 juillet 2017, après que l'employeur lui a notifié le motif économique à l'origine de la rupture (voir RF 1128, § 1138).
Elle conteste par la suite ce motif économique. En effet, l'employeur a mis en avant le recul du chiffre d'affaires observé sur les 4 trimestres de l'exercice 2016, par rapport aux 4 trimestres de l'exercice 2015 (– 22 835 millions d'euros). Selon lui, il y a bien une baisse du chiffre d'affaires sur 4 trimestres consécutifs, donc une « baisse significative » au sens du code du travail.
Cependant, la salariée réplique qu'au premier trimestre 2017, donc peu de temps avant la rupture de son contrat de travail, le chiffre d'affaires de l'entreprise était timidement remonté de 0,5 % par rapport au premier trimestre 2016. De son point de vue, la condition d'une baisse sur 4 trimestres consécutifs n'était donc pas remplie.
La cour d'appel donne raison à l'employeur et considère que le chiffre d'affaires avait subi une baisse significative, de sorte que les difficultés économiques étaient avérées et qu'il y avait bien un motif réel et sérieux à l'origine de la rupture.
Les juges du fond ont en effet choisi de raisonner sur la base des derniers exercices clos, donc des exercices 2015 et 2016. La légère remontée observée au premier trimestre 2017 (dernier CA connu au jour de la rupture) n'était selon eux pas significative, car « très en deçà du chiffre d'affaires du premier trimestre 2015 ». Elle ne suffisait pas à « signifier une amélioration tangible des indicateurs ».
Il faut comparer la période contemporaine de la rupture avec la même période de l'année précédente
La Cour de cassation censure l'arrêt de la cour d'appel et s'en tient à une lecture stricte des dispositions du code du travail.
Elle rappelle ainsi que, en règle générale, le caractère réel et sérieux du motif de licenciement s'apprécie à la date du licenciement (cass. soc. 21 novembre 1990, n° 87-44940, BC V n° 574 ; cass. soc. 26 février 1992, n° 90-41247, BC V n° 130 ; voir RF 1128, § 567).
La Cour de cassation poursuit en posant pour principe, et c'est là le cœur de l'arrêt, que « la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires [au sens du motif économique de licenciement] s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période. »
Dans cette affaire, la période contemporaine de la notification de la rupture correspondait au mois de juillet 2017. En théorie, il fallait donc remonter 4 trimestres en arrière à partir de juillet 2017 (début du troisième trimestre 2017) et comparer cette période aux 4 trimestres précédents.
Cependant, on croit comprendre de l'arrêt que, au moment de la rupture, les derniers résultats connus étaient ceux du premier trimestre 2017 (T1 2017). Il fallait donc :
-prendre comme période de référence les 4 trimestres allant du deuxième trimestre 2016 (T2 2016) au premier trimestre 2017 (T1 2017) inclus ;
-puis les comparer aux 4 trimestres allant du deuxième trimestre 2015 (T2 2015) au premier trimestre 2016 (T1 2016).
Autrement dit, il fallait comparer T2 2015 et T2 2016, T3 2015 et T3 2016, T4 2015 et T4 2016 et, en dernier lieu, T1 2016 et T1 2017. Et observer une baisse sur chacune de ces comparaisons.
Or, dans le cas présent, le chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 était en hausse par rapport à celui du premier trimestre 2016. En d'autres termes, « la durée de la baisse du chiffre d'affaires, en comparaison avec la même période de l'année précédente, n'égalait pas quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail pour cette entreprise de plus de trois cents salariés. » Les difficultés économiques n'étaient donc pas « significatives », ce qui rendait la rupture sans cause réelle et sérieuse.
L'arrêt d'appel est donc cassé et l'affaire renvoyée devant une autre cour d'appel.