10 - Quand la rigueur s’impose dans la rédaction des conclusions de première instance et de son dispositif
Valérie BARDIN-FOURNAIRON
Avocat associé
Cabinet HDV Avocats
Sandrine BACIGALUPI
Avocat
Cabinet HDV Avocats
La loi sur la croissance et l’activité 2015-990 du 6 août 2015 a procédé à une importante réforme de la justice prud’homale.
Le décret 2016-660 du 20 mai 2016 a mis en œuvre cette réforme. Les articles 11 et 12 du décret ont atténué l’oralité des débats devant la juridiction prud’homale en renforçant et en réglementant le recours à l’écrit. L’article 11 prévoit un nouvel article R. 1453-4 du code du travail qui dispose que : « les parties peuvent se référer aux prétentions et aux moyens qu’elles auraient formulés par écrit ». L’article R. 1453-5 du même code, introduit par l’article 12, impose dorénavant l’obligation de structuration et de consolidation des écritures « lorsque les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit » et qu’elles « sont assistées ou représentées par un avocat », et ce pour les instances introduites depuis le 1er août 2016.
Par ailleurs, l’article 564 du code de procédure civile dispose que : « Les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. » Il souffre de plusieurs exceptions puisque « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent » (c. proc. civ. art. 565) et que « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire » (c. proc. civ. art. 566).
C’est aux visas de ces articles que la cour d’appel de Douai a rendu son arrêt du 23 avril 2021, tout en rappelant également les principes régissant les demandes nouvelles en cause d’appel.
Rappels des règles applicables
L’obligation de structuration et de consolidation des écritures
L’article R. 1453-5 du code du travail prévoit une règle particulière de structuration et de consolidation des écritures. Il dispose que « Lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, elles sont tenues, dans leurs conclusions, de formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées. Un bordereau énumérant les pièces justifiant ces prétentions est annexé aux conclusions. Les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. Le bureau de jugement ou la formation de référé ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. À défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et il n'est statué que sur les dernières conclusions communiquées ».
Ainsi, lorsque toutes les parties comparantes sont assistées ou représentées par un avocat :
-les écritures doivent formuler les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées ;
-un bordereau doit énumérer les pièces justifiant ces prétentions et doit être annexé aux conclusions ;
-les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif ;
-il n’est statué que sur les prétentions énoncées au dispositif ;
-les prétentions et moyens non repris dans les dernières conclusions sont réputés abandonnés et il n’est statué que sur les dernières conclusions communiquées.
Il convient de souligner que ces principes ne s’appliquent pas lorsque l’une des parties comparaît en personne ou est représentée par une personne qui n’est pas avocat (un défenseur syndical par exemple) et cela quand bien même les autres parties comparantes seraient représentées par un avocat. Il appartient donc à la juridiction prud’homale de veiller au respect de ces principes si une partie prend un avocat en cours de procédure afin de permettre à ce dernier de se mettre en conformité avec la règle de structuration et de consolidation des écritures.
Une rigueur dans la rédaction du dispositif des écritures
L’article 12 du décret du 20 mai 2016 dispose notamment que « les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. Le bureau de jugement ou la formation de référé ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » (c. trav. art. R. 1453-5).
D’un point de vue pratique, il en ressort un parallélisme évident entre le jugement prud’homal rendu et les écritures des parties, lesquelles comprennent un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Le juge prud’homal ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examiner les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre dans leurs dernières écritures les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures : à défaut, elles sont réputées les avoir abandonnées et la juridiction ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
Apports de l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 23 avril 2021
Le contexte
Dans le cas d’espèce soumis à la cour, un salarié licencié pour faute grave pour des faits qualifiés de vols a saisi le conseil de prud’hommes d’Avesnes-sur-Helpe et sollicitait des dommages et intérêts pour licenciement abusif, outre une indemnité de licenciement et une indemnité de préavis. Les premiers juges, sur le fondement de l’article R. 1453-5 précité, ont débouté le salarié de ses demandes au motif que « la demande de requalification du licenciement pour faute grave en licenciement abusif n’est pas inscrite au dispositif ».
Le salarié a interjeté appel de cette décision en formulant en cause d’appel un premier moyen de défense en arguant qu’avait été débattue dans ses écritures de première instance une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail sur laquelle les premiers juges ne s’étaient pas prononcés.
Demande nouvelle formulée en cause d’appel
Pour rappel, les articles 564 à 566 du code de procédure civile précisent que les demandes nouvelles en cause d’appel sont irrecevables, sauf à ce qu’elles soient l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes formulées en première instance.
Dans l’affaire qui lui était soumise, la cour d’appel de Douai a constaté que le salarié, qui soutenait dans ses écritures d’appel que le conseil de prud’hommes n’avait pas statué sur la demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail, avait omis de prendre en compte les dispositions de l’article R. 1453-5 du code du travail applicable en l’espèce. Au visa de cet article, la cour a réaffirmé le principe selon lequel, dans les conclusions d’une partie, les prétentions doivent être récapitulées sous forme de dispositif et le bureau de jugement ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
En outre, le salarié est allé jusqu’à soutenir que cette demande en résiliation judiciaire ne constituait pas une demande nouvelle dans la mesure « où elle était virtuellement comprise dans celles en condamnation à des dommages et intérêts pour licenciement abusif, à une indemnité de licenciement et à une indemnité de préavis ».
Pour tenter d’éviter de se voir reprocher une demande nouvelle en cause d’appel, l’appelant se prévalait des dispositions de l’article 565 du code de procédure civile en considérant que la demande en résiliation judiciaire tendait aux mêmes fins que celles présentées par-devant les premiers juges et qu’ainsi les dispositions de l’article 566 du code de procédure civile selon lequel « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire » devaient recevoir application.
Le salarié considérait en effet que sa demande en résiliation judiciaire avait été débattue dans ses écritures de première instance au travers de ses demandes indemnitaires, à savoir des dommages et intérêts pour licenciement abusif, une indemnité de licenciement et une indemnité de préavis, et qu’en conséquence cette demande de résiliation judiciaire en cause d’appel ne constituait pas une demande nouvelle.
La cour d’appel de Douai, avant de se prononcer sur la demande de résiliation judiciaire qui, pour l’appelant, ne constituait pas une demande nouvelle formulée en cause d’appel, a examiné si les juges du fond avaient été amenés à se prononcer sur une telle demande.
En effet, avant de rejeter une prétention formulée pour la première fois en cause d’appel, la cour d’appel doit examiner, au besoin d’office, sa recevabilité au regard des articles 564 à 567 du code de procédure civile. Pour rappel, une demande formulée pour la première fois en appel se heurte au principe d’irrecevabilité des prétentions nouvelles édicté par l’article 564 du même code, lequel interdit aux parties de soumettre en cause d’appel de nouvelles prétentions au juge sous peine que ce dernier les relève d’office irrecevables « si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ». Cet article souffre de plusieurs exceptions puisque « les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent » (c. proc. civ. art. 565). En outre, dans sa version issue du décret 2017-891 du 6 mai 2017, l’article 566 du code de procédure civile tempère l’interdiction édictée par l’article 564 en autorisant les parties à former en appel des demandes qui, quoique nouvelles, sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de la demande originaire soumise aux premiers juges.
Le couperet tombe !
La cour d’appel de Douai a retenu qu’une demande de résiliation judiciaire ne peut justifier la rupture du contrat de travail que si le juge prud’homal en reconnaît le fondement, et que le contrat de travail subsiste dans le cas contraire, sauf dans l’hypothèse d’un licenciement intervenu postérieurement (CA Douai 23 avril 2021, n° 1416/21 ; https://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/CA_DOUAI_23_avril_2021_1619978669.pdf).
En effet, au regard de l’adage, « rupture sur rupture ne vaut », si le contrat de travail d’un salarié est rompu par la notification d’un licenciement pour faute grave, comme cela était le cas en l’espèce, une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur ne pourrait être formulée par le salarié devant la juridiction prud’homale qu’antérieurement à ladite rupture.
La cour a également retenu qu’il n’était pas fait référence dans le dispositif des conclusions soumises à l’appréciation du conseil de prud’hommes à une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, de sorte que cette juridiction n’avait pas eu à se prononcer sur ladite demande, peu importe que la question ait été débattue dans les motifs des écritures de première instance.
En conséquence, au visa de l’article 564 du code de procédure civile, la cour d’appel de Douai a considéré, et à juste titre, que la demande de résiliation judiciaire formulée par le salarié pour la première fois en cause d’appel ne pouvait être « ni l’accessoire, ni la conséquence ou le complément nécessaire de demandes consistant en une indemnisation d’une rupture du contrat de travail déjà prononcée et qualifiée d’abusive. » En conclusion, cette demande de résiliation judiciaire, qui avait la nature d’une demande nouvelle, a été déclarée irrecevable par la cour d’appel de Douai sur le fondement de cet article 564 du code de procédure civile.
Un arrêt dont les avocats devraient tirer leçon. Gare à la plume !