1 - Rupture conventionnelle : remettre la convention au salarié sous peine de nullité
Valérie Bardin-Fournairon
Avocat associé, Barthélémy Avocats
Co-auteur de « Procès aux prud'hommes, de la saisine au jugement » (Groupe Revue Fiduciaire, 4e édition 2019)
Depuis sa création en août 2008, la rupture conventionnelle individuelle connaît un succès incontestable. Il s’agit d’un mode de rupture négocié du contrat de travail entre l’employeur et le salarié, y compris un salarié protégé. La Cour de cassation a affirmé sa jurisprudence au fil de ses arrêts et, si ce mode de rupture s’est banalisé, il est très strictement encadré. Notamment sur les différentes étapes de la procédure de rupture et le formalisme à respecter pour mettre en place ce processus de rupture.
La cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt rendu le 29 mai 2019, a eu à se prononcer sur les conséquences de l’absence de remise de l’exemplaire de la convention de rupture du salarié lors de l’entretien pour définir les modalités de rupture du contrat de travail. Cet arrêt rappelle que l’employeur doit respecter cette formalité de remise d’exemplaire au salarié lors de l’entretien qui définit les modalités de rupture afin de garantir son libre consentement en lui permettant d’exercer son droit de rétractation en connaissance de cause, sous peine de se voir appliquer la sanction de la nullité de la convention.
L'affaire soumise à la cour d'appel d'Orléans : un défaut de remise de la convention de rupture au salarié
Alors qu’aucune des dispositions du code du travail sur la rupture conventionnelle n’impose d’établir la convention en double exemplaire, la Cour de cassation a décidé dans un arrêt du 6 février 2013 de le rendre obligatoire (cass. soc. 6 février 2013, n° 11-27000, BC V n° 29), sous peine de nullité de la rupture, ce qui vaut licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La cour d’appel d’Orléans dans son arrêt du 23 mai 2019 a eu à traiter de cette question. Dans ce litige, si la procédure de rupture conventionnelle n’était pas remise en cause, l’ex-salarié avait sollicité devant le conseil de prud’hommes de Tours la nullité de la rupture conventionnelle pour défaut de remise par l’employeur de la convention de rupture, non remise le jour de son établissement. En effet, en l’espèce, il était établi que l’exemplaire original de la convention de rupture n’avait pas été remis au salarié, puisqu’il avait dû le réclamer à son employeur, lequel lui avait adressé l’exemplaire qui lui revenait à une date postérieure à la fin du délai de rétractation.
Si la demande d’homologation transmise à l’autorité administrative doit être accompagnée d’un exemplaire de la convention de rupture (c. trav. art. L. 1237-14), toutefois la loi s’abstient de préciser si chacune des parties doit disposer en amont d’un exemplaire de la convention.
En l’espèce, l’employeur avait adressé le document à la DIRECCTE à une date postérieure à la fin du délai de rétractation, ce qui interdisait dès lors au salarié le moindre renoncement à la procédure. L’employeur en transmettant directement à la DIRECCTE la convention établie sur formulaire Cerfa et le salarié n’ayant pas été mis en possession de cet acte, la cour retient que cela ne lui avait pas permis de vérifier son contenu et le cas échéant d’exercer, à tête reposée, toute démarche qu’il estimerait utile après la signature.
La solution rendue par la cour d’appel d’Orléans obéit à une certaine logique car selon l’article L. 1237-14 du code du travail « la partie la plus diligente adresse une demande d’homologation à l’autorité administrative avec un exemplaire de la convention de rupture ».
Comment le salarié pouvait-il transmettre une telle demande s’il n’était pas en possession de la convention ? La convention doit ainsi être établie en double exemplaire : un exemplaire pour chacune des parties.
À noter
Pour la cour d’appel de Lyon, il s’agit d’un exemplaire original de la convention. La remise au salarié par l’employeur d’une simple photocopie de la convention est insuffisante (CA Lyon 29 avril 2016, n° 15/02457). Idéalement, c’est même en trois exemplaires que la convention doit être établie un pour chaque partie et un pour la DIRECCTE ou l’inspection du travail pour un salarié protégé.
Or, si le salarié ne dispose pas d’un exemplaire de la convention, il risque au pire de ne pas connaître l’existence de cette faculté de rétractation, au mieux de ne pas pouvoir apprécier les avantages et les inconvénients des clauses de la convention au regard des renseignements qu’il aura pu obtenir dans les 15 jours suivants sa date de signature.
La cour d’appel d’Orléans rappelle donc que la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié est une formalité substantielle afin de garantir son libre consentement en lui permettant d’exercer son droit de rétractation en connaissance de cause sous peine de se voir sanctionner par la nullité de la convention (CA Orléans du 23 mai 2019, n° 17/00984).
Cette position est conforme à celle de la Cour de cassation (cass. soc. 6 février 2013, n° 11-27000, BC V n° 29).
La solution rendue : nullité de la convention de rupture
Impossibilité d'exercer le droit de rétractation
Il ressort de l’arrêt rendu qu’en omettant de remettre au salarié le double de la convention, cela ne permettait pas au salarié d’avoir pleine connaissance des termes de la convention pour exercer éventuellement son droit de rétractation. La Cour rappelle ainsi le principe selon lequel « la nécessité de remise d’un exemplaire original au salarié découle, d’une part, de sa qualité de partie à la convention qui doit disposer de la faculté de demander son homologation, et d’autre part, du souci de garantir son libre consentement en ce qu’elle lui permet d’avoir pleine connaissance des termes de la convention de rupture et donc de la faculté d’exercer son droit de rétractation ».
En effet, la faculté de rétractation s’exerce dans les 15 jours suivant la signature de la convention (c. trav. art. L. 1237-13) et, pour faire valoir ce droit « en toute connaissance de cause », il est indispensable que le salarié soit en possession de la convention, d’une part parce qu’elle consigne la teneur des engagements réciproques et, d’autre part, parce que le formulaire de rupture fait précisément état de la faculté de rétractation et de la date d’expiration du délai de rétractation, et ce peu importe les circonstances qui entourent la rupture. Ce délai de réflexion est le garant du consentement libre et éclairé de l'employeur et du salarié.
Rupture intervenant dans un contexte conflictuel
C’est donc bien l’expression d’un consentement libre et éclairé du salarié qui est en jeu. Dans cet arrêt, le salarié considérait qu’il avait été dans un état de contrainte psychologique, ce qui lui permettait de considérer que cette rupture conventionnelle devait être déclarée nulle d’autant qu’il avait été mis sous pression depuis deux ans puisqu’il avait fait l’objet de quatre mises en garde et d’un avertissement avec menace d’un licenciement pour faute grave le jour de la signature de la convention.
La Cour a donc retenu que, dans ce contexte conflictuel, le salarié avait impérativement besoin de relire la convention, seul, à tête reposée, pour en apprécier, en son for intérieur, tous les détails au cours du délai de rétractation. Or, privé des renseignements précis contenus dans la convention, il ne pouvait en faire une analyse suffisante d’où sa demande de copie antérieure à quatre jours à la fin du délai de rétractation, demande qui n’a été satisfaite que postérieurement à ce délai.
Dans cette espèce, la liberté de consentement du salarié était donc compromise, car le salarié n’avait pas été en mesure d’apprécier, dans le délai de rétractation, les avantages et les inconvénients du document qu’il avait signé. La cour d’appel d’Angers, au sujet d’une rupture conventionnelle signée par un salarié le jour de son entretien préalable à licenciement au cours duquel l’employeur lui avait fait comprendre que tous les éléments caractérisant une faute grave étaient réunis, a estimé que « la rupture conventionnelle ne peut valablement intervenir qu’en dehors de tout litige ayant déjà émergé et est incompatible avec une procédure de licenciement déjà engagée » (CA Angers du 20 décembre 2012, n° 10/02401). En revanche, le seul fait que le salarié ait fait l’objet d’un avertissement deux mois avant de conclure une rupture conventionnelle ne suffit pas à la remettre en cause, de surcroît si la sanction n’a pas été contestée et qu’il n’y a donc pas à proprement parler de différend (CA Paris, Pôle 6, ch. 6, du 22 février 2012, n° 10/04217). Dans leurs décisions, les juges du fond portent donc une attention soutenue aux faits et au contexte, éventuellement conflictuel de rupture et au formalisme.
Nullité de la rupture conventionnelle
La sanction tombe : nullité de la convention de rupture ce qui conduit à ce que la rupture soit analysée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes les conséquences indemnitaires que celle-ci emporte. Les vérifications sont effectivement essentielles pour apprécier la réalité du consentement du salarié et si celui-ci a été donné en conformité avec les exigences de l’article 1128 du code civil.