CAA de LYON, 5ème chambre, 01/07/2021, 19LY03338, Inédit au recueil Lebon
Président :
M. BOURRACHOT
Rapporteur :
Mme Pascale DECHE
Avocats :
AGIS AVOCATS
Commissaire :
M. VALLECCHIA
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1805681 du 25 juin 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 25 août 2019 et 20 avril 2020, M. et Mme C..., représentés par Me Rossi, avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 25 juin 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions susmentionnées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que les loyers litigieux qu'ils ont perçus ne pouvaient être imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
- les sommes qu'ils ont perçues au titre des loyers correspondant au bien situé 3 bis rue Louis B... à Soucieu-en-Jarrest (69510) ne pouvaient être regardées comme un abandon de loyers consenti par la mère de Mme C... et les sommes en cause ne pouvaient être imposées dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ; ils peuvent également, à ce titre, se prévaloir du paragraphe 30 de la doctrine administrative BOI-RFPI-CHAMP-30-30 du 12 septembre 2012 ;
- le coût des travaux effectués qui s'intègrent dans la catégorie des dépenses d'entretien, réparation et amélioration, aurait dû faire l'objet d'une déduction en totalité, ou à tout le moins faire l'objet d'une déduction partielle.
Par des mémoires enregistrés les 13 février 2020 et 15 février 2021, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il s'en remet à l'appréciation de la cour en ce qui concerne la régularité du jugement ;
- les sommes litigieuses perçues alors que Mme C... ne détenait que la nue-propriété du bien concerné sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
- le coût des travaux litigieux qui constituent des travaux de construction ne sont pas déductibles, même pour partie, tant sur le terrain de la loi fiscale que sur celui de la doctrine.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
- les observations de Me D..., représentant Mme B... et M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C... ont déclaré, au titre de l'année 2015, des revenus fonciers tirés de la perception de loyers concernant un bien situé 3 bis rue Louis B... à Soucieu-en-Jarrest (69510). A l'issue d'un contrôle sur pièces dont les intéressés ont fait l'objet, par proposition de rectification du 1er juin 2017, l'administration d'une part, a estimé que les loyers perçus par les intéressés devaient être imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, dès lors qu'en 2015, Mme C... avait la qualité de nu-propriétaire du bien concerné. D'autre part, l'administration a remis en cause le déficit foncier déclaré par les intéressés en 2015, au titre de ce bien, pour un montant de 81 975 euros. M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 25 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces cotisations.
Sur la régularité du jugement :
2. A l'appui de leur demande, M. et Mme C... soutenaient notamment que les loyers litigieux qu'ils ont perçus ont été régulièrement déclarés en tant que revenus fonciers et qu'ils ne pouvaient être imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, le jugement attaqué est, pour ce motif, entaché d'irrégularité et doit être annulé.
3. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Lyon.
Sur le bien-fondé :
4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 12 du code général des impôts : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année. ". Aux termes de l'article 14 de ce même code : " Sous réserve des dispositions de l'article 15, sont compris dans la catégorie des revenus fonciers (...) 1° Les revenus des propriétés bâties (...) ". Aux termes de l'article 29 de ce même code : " Sous réserve des dispositions des articles 33 ter et 33 quater, le revenu brut des immeubles ou parties d'immeubles donnés en location, est constitué par le montant des recettes brutes perçues par le propriétaire (...) " et aux termes de l'article 92 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 578 du code civil : " L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à charge d'en conserver la substance. ". Aux termes de l'article 582 du même code : " L'usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l'objet dont il a l'usufruit. " et l'article 584 de ce code précise que : " Les fruits civils sont les loyers des maisons (...) ".
6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'usufruitier qui bénéficie d'un droit de percevoir des fruits civils sur un bien immobilier déterminé, et en l'absence de renonciation de sa part à ce droit, doit être regardé comme disposant des loyers qui en sont issus, et comme étant en conséquence imposable sur ces revenus, conformément à l'article 12 du code général des impôts. L'abandon des loyers par l'usufruitier au profit du nu-propriétaire ne suffit pas à caractériser la renonciation à l'usufruit mais constitue une libéralité imposable entre les mains du nu-propriétaire dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, en application des dispositions précitées du code général des impôts.
7. Il résulte de l'instruction, que pour imposer entre les mains de M. et Mme C..., dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, les revenus correspondant aux montants des loyers perçus au titre du bien immobilier situé 3 bis rue Louis B... à Soucieu-en-Jarrest, l'administration a considéré que le bien en cause était grevé d'un usufruit et que Mme C... en était nu-propriétaire.
8. Il résulte des articles 1 et 2 composant la " masse active à partager " définie par l'acte authentique de donation-partage en date du 25 septembre 2006 consenti par Mme H... B..., la mère de la requérante à sa fille, que Mme C... s'est vue attribuer d'une part, la nue-propriété " d'une maison d'habitation avec cour " figurant au cadastre rénové de la commune de Soucieu-en-Jarrest, " comme suit : - Section AB n° 30 " Le Pillot " de 2a 50 ca " (article 1), d'autre part, la pleine propriété " d'un bâtiment à usage d'atelier " figurant au cadastre rénové de la même commune, " comme suit : - Section AB n° 732 " Le Pillot " de 7a 43ca " (article 2).
9. Le 28 décembre 2017 un acte rectificatif établi à la demande des mêmes parties par le même notaire qui a rédigé l'acte précédemment cité, est intervenu pour constater que " matériellement, une partie des constructions comprises dans la parcelle AB 30 attribuée en nue-propriété à Mme E... C..., sous l'usufruit de Madame H... B..., faisait en réalité partie de l'immeuble AB 732 attribuée en pleine propriété à Mme E... C.... ". Cet acte procède à une rectification de l'acte du 25 septembre 2006 en indiquant qu'au lieu des mentions précitées des articles 1 et 2, " il y a lieu de lire ", que Mme C... s'est vue attribuer d'une part, la nue-propriété " d'une maison d'habitation avec cour " figurant au cadastre rénové de la commune de Soucieu-en-Jarrest, " comme suit : - Section AB n° 924 " Le Pillot " de 1a 37 ca " (article 1), d'autre part, la pleine propriété " d'un bâtiment à usage d'atelier " figurant au cadastre rénové de la même commune, " comme suit : - Section AB n° 732 " Le Pillot " de 3a 58ca - Section AB n° 925 " Le Pillot de 1a 10 ca " (article 2).
10. Il résulte de l'instruction que l'acte authentique du 28 décembre 2017 est intervenu à la suite de l'établissement, le 10 octobre 2017, d'un document d'arpentage visant à supprimer la parcelle cadastrée section AB n° 30 pour la remplacer par deux parcelles cadastrées section AB n° 924 et section AB n° 925 afin de tenir compte du fait que des constructions situées sur la parcelle cadastrée section AB n° 30 constituaient une partie d'un ensemble immobilier à usage d'atelier dont le restant situé sur la parcelle cadastrée section AB n° 732 avait été attribué en pleine propriété à Mme C.... Cet acte authentique qui permet à Mme C... de bénéficier désormais de la pleine propriété de cet ensemble immobilier ne permet pas d'établir, contrairement à ce que prétendent les requérants, qu'il aurait en réalité pour effet de reconnaître l'intention initiale des parties d'accorder à la requérante la pleine propriété de ce bien dès 2006, ou que la mère de Mme C... aurait renoncé avant l'intervention de cet acte, à l'usufruit de la partie de cette construction située sur la parcelle anciennement cadastrée section AB n° 30, au profit de sa fille. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a considéré que les sommes perçues par M. et Mme C..., au cours de l'année d'imposition en litige, au titre des loyers correspondants à ce bien devaient être regardées comme à un abandon de loyers consenti par Mme B... et que les sommes en cause devaient être imposées entre les mains des requérants dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.
11. Enfin, les requérants se prévalent sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales du paragraphe 30 de la doctrine administrative BOI-RFPI-CHAMP-30-30 du 12 septembre 2012 qui fait dépendre le sort fiscal de l'abandon des loyers par l'usufruitier au nu-propriétaire, en produisant une attestation notariée datée du 2 septembre 2013 qui indique que Mme C... se serait vue attribuer la plein propriété " d'une propriété comprenant une maison d'habitation avec cour " figurant au cadastre de la commune de Soucieu-en-Jarrest, sous la référence section AB n° 30 " Le Pillot "pour 2a 50 ca. Toutefois ce document qui concerne un acte du 4 décembre 1999 relatif à un partage des biens dépendant de la succession de M. F... B..., père de Mme C... ne peut être regardé comme constituant une renonciation à l'usufruit détenu par la mère de Mme C... sur les locaux litigieux.
12. En deuxième lieu, et en tout état de cause, aux termes de l'article 28 du code général des impôts : " Le revenu net foncier est égal à la différence entre le montant du revenu brut et le total des charges de la propriété ". Aux termes de l'article 31 du même code : " I. - Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent : / 1° Pour les propriétés urbaines : a) Les dépenses de réparation et d'entretien effectivement supportées par le propriétaire (...) b) Les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation, à l'exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement (...) / 2° Pour les propriétés rurales : a) Les dépenses énumérées aux a à e du 1° (...) ".
13. Au sens de ces dispositions, doivent être regardés comme des travaux de reconstruction les travaux comportant la création de nouveaux locaux d'habitation, notamment dans les locaux auparavant affectés à un autre usage ainsi que les travaux ayant pour effet d'apporter une modification importante au gros oeuvre de locaux d'habitation existants ou les travaux d'aménagement interne qui, par leur importance, équivalent à une reconstruction. Doivent être regardés comme des travaux d'agrandissement, au sens des mêmes dispositions, les travaux ayant pour effet d'accroître le volume ou la surface habitable de locaux existants.
14. Il résulte de l'instruction et notamment des actes notariés précédemment cités que l'immeuble en litige était affecté à un usage d'atelier. La transformation de cet immeuble en vue de son habitation a nécessité d'importants travaux de réaménagement présentant le caractère de travaux de reconstruction. Dès lors, et quand bien même ils n'auraient pas affecté le gros oeuvre, ces travaux ne pouvaient être déduits du revenu global des intéressés. Par ailleurs, les requérants n'établissent pas que les travaux d'entretien et d'amélioration qui ont pu, par ailleurs, être effectués seraient dissociables techniquement et fonctionnellement de ces travaux de construction. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a refusé de prendre en compte les dépenses correspondantes pour déterminer le montant des revenus imposables de M. et Mme C....
15. En troisième lieu, les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir de la doctrine exprimée dans les commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-RFPI-BASE-20-30-10 n° 50 et 110 du 3 février 2014 et BOI-RFPI-BASE-20-30-20 n° 230 et suivants du 30 mai 2016, dès lors que celle-ci ne donne pas de la loi fiscale applicable au litige une interprétation différente de celle dont il vient d'être fait application.
16. Enfin, si les requérants peuvent être regardés comme demandant à titre subsidiaire la prise en compte des travaux de réparation, d'entretien et d'amélioration des locaux d'habitation qu'ils ont effectués, en tout état de cause, de telles dépenses ne peuvent être déduites des bénéfices de l'année.
17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à demander la décharge, en droits et pénalités, des impositions litigieuses. Leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 25 juin 2019 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. et Mme C... aux fins de décharge, en droits et pénalités, des impositions litigieuses et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 10 juin 2021 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme G..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juillet 2021.
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N° 19LY03338