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13 - Un témoignage anonymisé peut permettre de prouver la faute d'un salarié

Dans un arrêt du 19 avril 2023, la Cour de cassation fixe les conditions de recevabilité d’une attestation de témoignage anonymisée comme preuve de la faute d’un salarié. Le juge peut prendre en considération ce témoignage anonymisé si celui-ci est corroboré par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence.

Cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-20308 FB

Un salarié demande l'annulation de sa mise à pied disciplinaire

13-1

Un salarié ayant fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire a saisi le conseil de prud’hommes pour faire annuler cette sanction. L’affaire est allée jusque devant la Cour de cassation.

Comme il se doit dans ce type de contentieux, l’employeur a apporté aux juges la preuve des faits qu’il reprochait au salarié. Il a produit l'attestation d'un autre salarié qui avait accepté de témoigner, mais sous anonymat. Ce témoin craignait en effet des représailles de la part des collègues dont il dénonçait le comportement. L’employeur a aussi fourni aux juges le compte rendu de l’entretien de ce témoin avec un membre de la direction des ressources humaines.

Les juges d’appel ont donné gain de cause au salarié fautif, car ils ont refusé d’examiner les éléments ainsi produits par l’employeur. Selon eux, ces éléments n’avaient pas de valeur probante dans la mesure où le salarié incriminé ne pouvait pas se défendre d’accusations anonymes. Et, sans preuve de la faute du salarié, ils ont décidé que la sanction était infondée et donc nulle.

La Cour de cassation censure cette décision de la cour d’appel. Elle en profite pour poser les conditions de recevabilité d’une attestation de témoignage anonymisée comme preuve de la faute d’un salarié.

Un témoignage anonymisé peut être pris en compte par le juge sous certaines conditions

13-2

La Cour de cassation rappelle d’abord le droit à un procès équitable et le principe de la liberté de la preuve en matière prud’homale (convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, art. 6, §§ 1 et 3). Elle rappelle aussi que le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes (cass. soc. 4 juillet 2018, n° 17-18241 FSPB).

Néanmoins, la Cour de cassation décide que le juge peut prendre en considération des témoignages anonymisés de salariés si ceux-ci sont corroborés par d'autres éléments permettant d'en analyser la crédibilité et la pertinence.

La cour d'appel a donc eu tort d’écarter l'attestation anonymisée produite par l'employeur et le compte rendu de l’entretien du témoin avec un membre de la direction des ressources humaines. Les juges d’appel auraient dû en apprécier la valeur et la portée dans la mesure où l’employeur avait produit d’autres pièces pour caractériser la faute du salarié justifiant sa mise à pied disciplinaire.

L’affaire sera de nouveau jugée par une autre cour d’appel.

Les attestations de témoignage comme mode de preuve

Brefs rappels sur les attestations de témoignage

13-3

Les attestations de témoignage sont des modes de preuve courants dans les contentieux prud’homaux. Elles relatent les faits auxquels leurs auteurs ont assisté ou qu’ils ont personnellement constatés (c. proc. civ. art. 202).

En principe, l’identité du témoin est connue dans la mesure où, comme le prescrit le code de procédure civile, l’attestation mentionne notamment ses nom et prénom et où le témoin y joint tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature (c. proc. civ. art. 202). Il faut aussi que la personne accusée puisse se défendre, notamment en interrogeant ou faisant interroger les témoins à charge (convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, art. 6, § 3).

Cela étant, c’est au juge prud’homal d’apprécier la valeur et la portée des témoignages qui lui sont soumis. Il ne doit pas forcément rejeter une attestation qui ne remplit pas les conditions posées par le code de procédure civile (cass. soc. 20 février 1990, n° 87-43137 D ; cass. soc. 16 février 2010, n° 08-43220 D).

Rappelons aussi que si le juge a un doute sur la valeur d’un témoignage, il peut toujours recourir à une mesure d’instruction, et notamment procéder par voie d'enquête à l'audition de l'auteur d'une attestation (c. proc. civ. art. 203).

Distinguer les témoignages anonymes des témoignages anonymisés

13-4

Il convient désormais de distinguer les témoignages anonymes des témoignages anonymisés. Pour l'un et l'autre, la Cour de cassation s'appuie sur le droit à un procès équitable, et en particulier sur les droits de la défense, pour en fixer les conditions de recevabilité par les juges (convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, art. 6, §§ 1 et 3).

S'agissant de témoignages anonymes, la Cour de cassation considère que le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur de tels témoignages (cass. soc. 4 juillet 2018, n° 17-18241 FSPB). Les juges ont posé ce principe dans une affaire dans laquelle l'employeur s'était basé sur un rapport d'enquête interne pour prononcer le licenciement disciplinaire d'un salarié, puis n'avait produit que ce rapport devant les juges pour prouver la faute du salarié. Or, ce rapport était fondé sur des témoignages de collègues du salarié licencié qui étaient tous restés anonymes. En conséquence de quoi, les juges du fond ne pouvaient pas se fonder sur ce seul rapport pour décider si le licenciement était justifié ou pas. Le fait que le salarié ait eu la possibilité de prendre connaissance dudit rapport et de présenter ses observations était sans incidence. Il convient ici de retenir que l'employeur aurait dû compléter le rapport d'enquête par d'autres éléments de preuve recevables, comme des attestations de témoignages en bonne et due forme (voir § 13-3). C'est à cette condition que les témoignages anonymes inscrits dans le rapport d'enquête auraient pu être pris en compte.

S'agissant d'un témoignage anonymisé, la Cour de cassation prend soin de préciser dans son arrêt du 19 avril 2023 qu'il s'agit d'un témoignage rendu anonyme a posteriori afin de protéger son auteur, mais dont l'identité est néanmoins connue par l'employeur. Dans ce cas, l'employeur doit fournir aux juges d'autres éléments leur permettant d'analyser la crédibilité et la pertinence des témoignages en question.

L’enjeu est que le juge valide, ou pas, la sanction disciplinaire prononcée, les conséquences indemnitaires pouvant être importantes dans le cas par exemple d’un licenciement disciplinaire.

« Rupture du contrat de travail », RF 1138, § 150

Parution: 25/05/2023
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