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4 - Quand le temps de trajet domicile/travail devient un temps de travail effectif

Un technicien qui, dans ses trajets domicile/travail est amené à transporter des pièces de rechange dans un véhicule de service peut demander le paiement de ce temps de trajet en qualité de temps de travail effectif.

Cass. soc. 1er mars 2023, n° 21-12068 FB

Évolution récente sur le temps de trajet domicile/travail

Cadre légal : le temps de trajet domicile/travail n'est pas un temps de travail effectif

4-1

En principe, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas du temps de travail effectif et n'a donc pas à être rémunéré (c. trav. art. L. 3121-4 ; voir « Temps de travail, salaire et formation », RF 1136, § 2011).

Le salarié peut simplement prétendre à une contrepartie, en temps ou en argent, dans l’hypothèse où le temps de trajet dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu de travail (typiquement en cas de déplacement pour se rendre chez un client) (c. trav. art. L. 3121-7 et L. 3121-8).

Attention, le temps de trajet entre deux lieux de travail (ex. : déplacement entre deux agences, d'un client à un autre, etc.) est en revanche considéré comme du temps de travail effectif (cass. soc. 5 novembre 2003, n° 01-43109, BC V n° 275 ; cass. soc. 26 mai 2016, n° 14-30098 D).

Une application jurisprudentielle stricte, contraire au droit européen

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La Cour de cassation a longtemps appliqué strictement les règles fixées par le code du travail, écartant systématiquement toute qualification de temps de trajet domicile/travail en temps de travail effectif (cass. soc. 30 mai 2018, n° 16-20634 FPPB, BC V n° 97).

Or, cette jurisprudence entrait en contradiction avec le droit européen, qui considère que si le temps de trajet réunit les caractéristiques du temps de travail effectif, c’est le régime du temps de travail effectif qui doit s’appliquer (dir. 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ; CJUE 10 septembre 2015, aff. n° C-266/14, § 48).

Pour rappel, le temps de travail effectif se définit comme « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles » (c. trav. art. L. 3121-1 ; voir RF 1136, § 2007).

Revirement de jurisprudence fin 2022

4-3

La Cour de cassation a finalement choisi de se conformer au droit européen dans un arrêt du 23 novembre 2022, appelé à figurer dans son rapport annuel.

L'affaire concernait un travailleur itinérant qui utilisait son véhicule comme un bureau et qui, muni d’un kit mains libres, fixait des rendez-vous et conversait avec divers interlocuteurs (clients, directeur commercial, assistants, techniciens).

À cette occasion, la Cour de cassation a posé pour principe que « lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif [...], ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L. 3121-4 », c’est-à-dire de l’article qui considère que le temps de trajet domicile/travail n’est pas un temps de travail effectif (cass. soc. 23 novembre 2022, n° 20-21924 FPBR ; voir FH 3966, § 5-5).

Un arrêt de 2020 avait laissé présager une évolution, la Cour de cassation ayant estimé que le temps de trajet domicile-travail constituait du temps de travail effectif dans le cas particulier d’un chauffeur-livreur amené à utiliser, « pour faire le trajet entre les locaux du client de son employeur et son domicile, un véhicule de l'entreprise, contenant parfois des colis appartenant à ce client » (cass. soc. 3 juin 2020, n° 18-16920 D). Mais cette décision n’ayant pas été publiée, on hésitait alors à y voir un revirement de jurisprudence.

Premier arrêt « post-revirement », du moins à notre connaissance, une décision du 1er mars 2023 illustre à nouveau ce principe.

Une nouvelle illustration d'un temps de trajet domicile/travail assimilable à un temps de travail effectif

Un technicien de maintenance qui pouvait se rendre chez son premier client avec un véhicule de service chargé de pièces détachées

4-4

En 2012, un technicien de maintenance appelé à se rendre chez des clients pour le compte d'une entreprise de réparation de machines et d’équipements mécaniques avait saisi les prud’hommes de diverses demandes liées à l’accomplissement d’heures supplémentaires. Il soutenait que le temps de trajet entre son domicile et son premier lieu d’intervention relevait parfois du temps de travail effectif.

Le litige portait plus précisément sur les opérations « de maintenance curatives » (donc de réparation, croit-on comprendre), par opposition aux opérations de maintenance et de vérification. Le salarié soutenait que ces interventions étaient programmées un peu à la dernière minute, ce qui le contraignait à rester à la disposition de l’employeur, et que lorsqu'il quittait son domicile pour se rendre chez un client, il le faisait dans un véhicule de service en transportant des pièces détachées commandées par les clients. Tous ces éléments caractérisaient, selon lui, un temps de travail effectif.

Les éléments constitutifs d'un temps de travail effectif étaient a priori réunis

4-5

Pour la cour d'appel, le temps de trajet entre le domicile et le premier client dans le cadre d'une opération « de maintenance curative » ne relevait pas du temps de travail effectif, d'une part parce que, contrairement à ce que soutenait le salarié, elles étaient planifiées (l’employeur s’enquérait de la disponibilité du salarié avant de confirmer la mission et de délivrer un bon de travail), d'autre part parce que convoyer des pièces détachées était inhérent à la nature de son activité. Le salarié ne pouvait donc pas prétendre rester à la disposition permanente de l’employeur et bénéficiait en tout état de cause d’une certaine autonomie dans l’organisation de son travail.

La Cour de cassation censure néanmoins la décision de la cour d’appel. Après avoir rappelé le cadre juridique posé dans son arrêt de 2022 (voir § 4-3), elle souligne que, selon les constatations des juges du fond, « le salarié était soumis à un planning prévisionnel pour les opérations de maintenance et que, pour effectuer ces opérations, il utilisait un véhicule de service et était amené à transporter des pièces détachées commandées par les clients ».

Du point de vue de la chambre sociale, ces éléments permettent de supposer que les temps de trajet domicile/travail constituaient un temps de travail effectif. L'affaire est donc renvoyée devant une nouvelle cour d'appel qui devra examiner à nouveau les conditions dans lesquelles s'effectuait le trajet domicile/travail.

La solution n’étonnera guère, les faits étant très proches de ceux ayant donné lieu à l’arrêt du 3 juin 2020 précité (voir § 4-3).

Les entreprises doivent donc être conscientes du risque qu'il y a à laisser un salarié conserver un véhicule de service pour pouvoir le lendemain se rendre plus facilement chez un client et y acheminer des fournitures, du matériel, des colis, des pièces de rechange, etc. Il leur faut garder à l'esprit que, dans une telle hypothèse, le salarié doit en principe être rémunéré dès qu'il quitte son domicile… Certaines entreprises seront peut-être tentées d'adapter les horaires de travail, par exemple en permettant au salarié de rentrer chez lui un peu plus tôt, de façon à respecter la durée de travail hebdomadaire contractuelle et d'éviter de payer des heures supplémentaires.

« Temps de travail, salaire et formation », RF 1136, § 2011

Parution: 16/03/2023
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